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avait fait de grandes largesses à leurs parents, ils se gardaient de dire leur pensée complète à l’adolescent que j’étais. Ils auraient moins parlé encore s’ils avaient pu deviner que je deviendrais, plus tard, un incroyant notoire. À Pontmain, la Vierge annonçait la fin des hostilités : maigre prophétie, on en conviendra, puisque la défaite française était alors consommée.

Au moment où la dernière guerre battait son plein, une jeune fille de Loublande, commune des Deux-Sèvres, reçut presque quotidiennement la visite du Sacré-Cœur. Sans en avoir officiellement le titre, je remplissais, en fait, les fonctions de chef de laboratoire à la faculté des sciences de Poitiers, cette année-là. Et comme Loublande fait partie du diocèse de Poitiers, ce furent les autorités de cette ville qui s’occupèrent de la visionnaire. J’étais donc bien placé pour étudier cette nouvelle révélation, qui ne fut rejetée par la curie romaine qu’après l’intervention énergique des cardinaux allemands et autrichiens. Jésus déclarait à la voyante que la victoire des alliés serait foudroyante et irrésistible, si ministres et généraux acceptaient de mettre l’emblème du Sacré-Cœur sur le drapeau français. L’évêque de Poitiers, un prélat politicien d’une sottise insigne, se déclara convaincu de bonne heure, car la visionnaire l’assurait qu’il devait jouer un rôle de premier plan dans l’Église. À l’appui de ses dires, elle obtint même du ciel qu’Humbrech, c’était le nom de cet imbécile, assiste un jour à la transformation du vin, contenu dans un calice, en un liquide sanguinolent. Il permit de célébrer des fêtes à Loublande, d’imprimer des images et des prières en l’honneur du nouveau culte, et laissa s’installer une congrégation dirigée par la visionnaire, les Victimes du Sacré-Cœur, qui compta bientôt parmi ses membres des filles de multimillionnaires. Le cardinal archevêque de Bordeaux et l’archevêque de Tours estimèrent, eux aussi, qu’il s’agissait d’une révélation vraiment divine ; les feuilles pieuses de la contrée firent un battage insensé ; la presse de Paris s’émut, et de longs articles furent consacrés aux apparitions de Loublande par les grands quotidiens. Sénateurs et députés réactionnaires du Poitou prirent au sérieux les divagations de cette nouvelle Jeanne d’Arc, c’était le titre que lui donnaient les familiers de l’évêché. Elle fut présentée au président de la République, Poincaré, qui lui fit don d’une épingle à chapeau, sa coiffure étant tombée par mégarde durant leur entretien. À l’armée, des insignes du Sacré-Cœur étaient distribués à profusion aux soldats, et nombre de généraux les arboraient fièrement. Mais les prélats d’Autriche et d’Allemagne firent comprendre au pape que Jésus ne pouvait nourrir de si noirs desseins contre les empires centraux, et que la France anticléricale ne méritait pas un traitement privilégié. On les crut d’autant plus facilement à Rome que le supérieur des Jésuites était germanophile et qu’il contraignit le cardinal Billot, membre de son institut, à écrire contre une révélation nettement hostile à l’Allemagne. Malgré les merveilles déjà accomplies, les apparitions de Loublande furent condamnées par le Vatican. Une enquête personnelle, faite dans l’entourage de la visionnaire, m’avait convaincu qu’il s’agissait d’une pauvre fille au cerveau troublé par des jeûnes trop fréquents et la lecture de sainte Thérèse. Son confesseur, un prêtre qui voulait se procurer beaucoup d’argent, était le principal coupable ; il pensait parvenir à ses fins en créant un centre de pèlerinage ; l’affaire de Loublande liquidée, il se trouva, d’ailleurs, suffisamment nanti pour vivre d’une façon cossue.

Voici quelques années, la Vierge apparut à Ferdrupt, dans les Vosges, à une petite fille dont les parents étaient cultivateurs. Des alentours, on venait déjà en pèlerinage, quand la voyante eut la malencontreuse idée de promettre qu’à une date, par elle indiquée,

l’apparition serait visible pour l’ensemble des personnes présentes. Ce jour-là, une foule immense se pressait sur le lieu du miracle ; mais la madone ne fut aperçue par personne. Pour comble, la visionnaire expliqua que la Vierge s’était trompée en raison du changement d’heure qui s’effectuait à cette époque. Ce fut un éclat de rire général, et le clergé laissa prudemment tomber cette affaire. Une statue s’élève cependant sur le lieu de l’apparition, conformément à la demande formulée par la mère de dieu ; et la famille de la jeune fille, très pauvre auparavant, est fort à l’aise aujourd’hui. Comme Luxeuil n’est qu’à environ 25 kilomètres de Ferdrupt, j’ai pu me documenter sans peine sur ces événements. La voyante, enfant naïve et sotte, semblait prédisposée par nature aux images eidétiques ; néanmoins, le curé de l’endroit avait joué un rôle très actif, en persuadant cette petite que les visions célestes sont choses assez fréquentes.

À l’heure actuelle, on parle beaucoup des apparitions de Beauraing, en Belgique, qui eurent lieu du 29 novembre 1932 au 3 janvier 1933. Cinq enfants auraient vu la Vierge dans le jardin des sœurs de la localité ; et cette dernière leur aurait demandé de faire construire une chapelle. Je ne connais ces événements que par des comptes rendus, articles et brochures. Le travail du Dr Maistriaux, qui écrit pour se « rendre utile à l’Église et à la religion, afin d’éviter les mécomptes du ridicule », suffit pour me démontrer que les apparitions de Beauraing ont des causes très humaines, trop humaines, hélas ! Ce médecin grotesque, d’une prodigieuse ignorance concernant les recherches de psychologie expérimentale, fournit de nombreux détails qui contredisent la thèse de l’intervention surnaturelle. Les voyants avaient promis un miracle pour le 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception ; aucun miracle ne s’est produit, ni ce jour-là, ni les jours suivants. Néanmoins, par respect humain sans doute, les parents se déclarent certains de la véracité de leurs rejetons ; « il ne ferait pas bon d’avoir l’air de rire et de se moquer : l’accueil serait foudroyant ». Et le Dr Maistriaux demande aux incroyants de s’abstenir de toute plaisanterie : « Le scepticisme absolu et surtout la raillerie ne sont plus de mise pour le moment. S’il est question d’âmes de petits enfants, on leur doit le respect le plus absolu… De grâce, respectons-les et attendons. Respectons le mystère qui plane sur ces événements dans lesquels sont mêlés des enfants sains de familles respectables. » S’il ne s’agissait pas d’une comédie dévote ou d’hallucinations religieuses, notre auteur tiendrait un langage très différent. Il avoue, d’ailleurs, que les événements de Beauraing peuvent avoir des répercussions politiques qui l’intéressent particulièrement : « Serait-il impossible que la sainte Vierge se soit manifestée pour approuver et intensifier cette pieuse et réconfortante croisade de notre fière jeunesse ouvrière chrétienne, de notre virile jeunesse agricole catholique, de tous nos jeunes gens et jeunes filles librement et ardemment enrôlés sous l’emblème de la croix ? Est-il déraisonnable d’espérer qu’elle ait choisi pour être témoin d’un renouveau religieux notre patrie qui fut la première à mettre son nom dans les annales de l’Action Catholique ? » Le Dr Maistriaux a raison, les manifestations surnaturelles, les révélations divines restent, d’ordinaire, incompréhensibles, tant qu’on ne fait pas intervenir les considérations politiques et l’intérêt sacerdotal. À Beauraing, comme dans maintes apparitions précédentes, la Vierge se préoccupe d’assurer aux prêtres une nouvelle source de profits et d’accroître l’influence politique du parti des sacristains. — L. Barbedette.


RÉVOLTANT. Qui révolte, qui cause de l’indignation : Des abus révoltants. Pour nous, il n’est guère facile d’énumérer ici tout ce qui est révoltant : il y en a trop.