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fatigue musculaire générale détermine fréquemment la vie de personnages en mouvement. De même, les images hypnagogiques ont pour substratum habituel des sensations effectivement éprouvées. Tous les sens externes peuvent fournir des excitations qui serviront de point de départ à des constructions oniriques.

Par ailleurs, les sensations internes, les excitations cénesthésiques jouent un rôle que Bacon signalait déjà, et que Maine de Biran estimait capable d’expliquer l’existence et la diversité des rêves. « Il suffit, écrivait Lemoine en 1855, que nous soyons couchés dans une position incommode, par exemple sur le côté gauche, que la respiration soit oppressée, la circulation gênée tant soit peu, pour que les rêves les plus affreux, les plus horribles cauchemars inquiètent notre sommeil qui se serait prolongé sans trouble, et peut-être dans des songes agréables, si nous nous fussions endormis dans une position différente, ou si quelque mouvement instinctif, provoqué par la fatigue, eut rendu plus tôt toute leur liberté aux fonctions du cœur et des poumons. » Faim, soif, excitation génitale, besoin d’uriner provoquent des rêves typiques ; Freud a particulièrement insisté sur l’importance du facteur sexuel dans l’activité onirique.

Ainsi qu’en témoigne l’expérience courante, l’état pathologique des organes intervient aussi. Coryza, dyspnée, affections de la gorge ou des voies respiratoires engendrent des rêves d’étouffement. « J’ai rêvé, écrit un élève de Foucault, qu’il me fallait aller en classe, Ma mère voulait me faire prendre une pèlerine. Mais, comme cette pèlerine était trop étroite, elle me la boutonnait elle-même au cou. J’étouffais, je lui criais de ne pas continuer à boutonner cette pèlerine qui m’étranglait. En vain. Bientôt je ne pus plus parler. Je me débattis encore pendant plusieurs minutes, toujours inutilement. Enfin, je parvins à respirer un peu et je me réveillai : j’avais un fort mal de gorge. » Par un phénomène de transfert très fréquent, certains rêvent que c’est un autre qui étouffe, un cheval par exemple dans le cas suivant : « Une personne ayant de l’asthme depuis plusieurs années, rapporte Max Simon, et qui s’était endormie dans un état d’anxiété respiratoire, se voit en rêve dans une rue montueuse que gravit une lourde voiture : la chaleur est étouffante, les chevaux sont essoufflés, ils ont beaucoup de peine à marcher et, bientôt, l’un d’eux s’abat. La respiration du pauvre animal est haletante ; il est couvert de sueur. Le conducteur fait tous ses efforts pour relever le cheval abattu, et le dormeur vient lui prêter assistance. La personne qui fait un rêve se réveille, elle est elle-même en pleine transpiration et souffre d’une extrême oppression. » Troubles de l’appareil digestif, du foie, des reins se traduisent par des rêves caractéristiques. Un malade qui souffre de l’estomac croit manger des serpents, un autre s’imagine qu’il ingurgite des gâteaux jusqu’au dégoût ; une irritation de l’intestin provoque chez un troisième la vue de couloirs longs, étroits et sinueux, sans doute par analogie avec l’organe atteint. C’est à des malaises digestifs, selon Delage, que seraient dues, d’ordinaire, les terreurs nocturnes des enfants. Aux diverses maladies mentales se rattachent des rêves spéciaux, bien étudiés par les aliénistes ; dans les troubles par intoxication, les constructions oniriques varient avec la nature du poison.

À côté des excitations périphériques et cénesthésiques, il faut faire une place aux facteurs psychologiques. Perceptions et idées de l’état de veille se retrouvent, pendant le sommeil, sous forme d’images souvenirs. Parfois, ce sont des impressions extrêmement fugitives, auxquelles nous n’avions prêté aucune attention, qui renaissent. « Souvent, dit Claparède, je fais jouer un grand rôle, dans un rêve où ils n’ont rien à faire, à des personnes presque inconnues que j’ai croisées dans la rue, le jour précédent, ou dont j’ai lu le nom d’une

façon distraite dans un journal. Au contraire, les images qui ont attiré mon attention pendant la journée ou la soirée, un tableau, un spectacle de théâtre ne m’apparaissent que bien rarement dans mes rêves de la nuit suivante. » Des souvenirs très anciens, et que l’on croyait totalement disparus, revivent dans nos rêves.

Les faits d’hypermnésie onirique paraissent, en certains cas, invraisemblables. « Il y a quelques mois, lit-on dans Maury, je me trouve en rêve transporté aux jours de mon enfance et jouant dans le village de Trilport. J’aperçois un homme vêtu d’une sorte d’uniforme, auquel j’adresse la parole en lui demandant son nom. Il m’apprend qu’il s’appelle C…, qu’il est le garde du port, puis il disparaît pour laisser la place à d’autres personnes. Je me réveille avec le nom de C… dans la tête. Était-ce là une pure imagination ou y avait-il à Trilport un garde du nom de C… ? Je l’ignorais, n’ayant aucun souvenir d’un pareil nom. J’interroge, quelque temps après, une vieille domestique, jadis au service de mon père et qui me conduisait souvent à Trilport. Je lui demande si elle se rappelle un individu du nom de C… ; elle répond aussitôt que c’était un garde du port de la Marne quand mon père construisait un pont. Très certainement, je l’avais su comme elle, mais le souvenir s’en était effacé. Le rêve, en l’évoquant, m’avait révélé ce que j’ignorais. »

Désirs et craintes s’avèrent générateurs de scènes oniriques. Ce que nous avons espéré ou redouté, pendant l’état de veille, devient le thème de rêves d’une interprétation parfois facile. Freud remarque que l’enfant réalise ainsi, en songe, les souhaits que le jour a fait naître et n’a pas satisfaits. « Une petite fille de dix-neuf mois est tenue à la diète pendant un jour parce qu’elle a vomi le matin ; au dire de sa bonne, ce sont les fraises qui lui ont fait du mal. Dans la nuit qui suit ce jour de jeûne, elle prononce en rêve son nom, d’abord, puis : « fraise…, tartine…, bouillie… » Donc, l’enfant rêve qu’elle mange, et voit dans son menu précisément les choses dont elle s’attend à être privée. Un enfant de vingt-deux mois voit de même, en rêve, un plaisir défendu : il avait dû, la veille, offrir à son oncle un petit panier de cerises dont on ne lui avait permis de manger qu’une seule. En s’éveillant le matin, il déclara, enchanté : « Herman a mangé toutes les cerises. » Une petite fille de trois ans et trois mois avait fait une promenade en bateau, promenade trop courte à son gré, car elle s’était mise à pleurer au moment de descendre. Le lendemain, elle raconta qu’elle avait vogué sur le lac pendant la nuit ; elle avait donc continué en rêve le divertissement interrompu. La crainte se traduit non moins que le désir dans les manifestations oniriques ; de nombreuses observations, recueillies par Foucault et par d’autres auteurs, le démontrent de façon incontestable. Chez l’adulte, c’est habituellement d’une manière plus indirecte et plus complexe que se réalise en songe ce qu’il a souhaité ou redouté pendant le jour.

En certains cas, le rêve prend un aspect prophétique, lorsqu’il manifeste des aspirations dont l’individu n’a pas encore une conscience claire, mais qui joueront un rôle essentiel dans l’orientation future de son existence. On en pourrait donner de nombreux exemples, pris parmi les songes merveilleux que rapportent les hagiographes. Malheureusement, pour ne pas froisser les préjugés religieux, les auteurs les plus compétents en cette matière évitent d’aborder ce sujet. Pendant plusieurs années, j’ai pris la peine de noter mes rêves, chaque matin ; j’ai dû constater que le calcul des probabilités suffisait pleinement à rendre compte des rares coïncidences pouvant faire croire à une prémonition. Vingt fois, par exemple, j’aurai reçu en songe la visite d’un ami éloigné que je n’attendais point ; une fois sur vingt, la visite effective le lendemain aura coïncidé avec l’un de ces rêves. Prémonition, diront les esprits superficiels ; pure coïncidence, avoueront ceux qui réfléchissent. Peut-