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PEI
2004

d’œuvres indépendantes, le sens de la couleur et du dessin qui sont à la base de l’art de peindre. C’est à la céramique que nous devons emprunter nos documents.

Les motifs de décoration proprement néolithiques : lignes brisées et figures géométriques (triangle, carré, cercle, spirale, etc.) sont appliqués au moyen d’une incision, remplie de blanc. Les Susiens primitifs y ajoutent une stylisation ingénieuse des formes animales et végétales, en rouge et en noir ; puis le style évolue vers le naturalisme. En Égypte, la technique est plus proprement picturale ; les motifs, mouchetures, spirales, rayures, fleurs, oiseaux, barque funéraire, sont, le plus souvent, posés à froid, au moyen de couleurs broyées, liées par un corps gras ou adhésif. Les îles méditerranéennes emploient les deux techniques, asiatique et égyptienne, mais introduisent dans la décoration un goût très personnel dans l’interprétation naturaliste. Dès qu’apparaît, en Europe occidentale, vers le début du premier millénaire, un art saisissable, nous le voyons marqué d’influences diverses, à la fois septentrionales (et sans doute dérivées par là de l’orient sibérien) et méditerranéennes.

II. Périodes archaïques. — A) Égypte. — L’impression générale hiératique produite par l’art égyptien proprement dit est toute différente de celle que nous donnent les premières manifestations de cet art, aux temps prépharaoniques. Il semble qu’une nouvelle race soit ici intervenue. Quoi qu’il en soit, nous devons noter que l’art égyptien qui nous est parvenu est un art funéraire. Les Égyptiens, au dire de Diodore, considéraient leurs maisons comme des lieux de passage et leurs tombeaux seuls comme des demeures durables. Cela explique le luxe des apprêts des tombes et que nous y ayons trouvé, éternisés par l’art, ainsi que dans les temples, les aspects de la vie et les documents de l’histoire.

La peinture égyptienne funéraire est faite de tons plats, frais et vrais, sans nuances, sans artifices de lumière et d’ombre, cernés par un dessin rigoureux. Elle est, par là, éminemment décorative. Ses lois générales sont les mêmes que celles du bas-relief ; et nous ne devons pas oublier que les bas-reliefs égyptiens, et la sculpture en ronde-bosse elle-même, étaient enluminés de couleurs. La peinture ne joue donc qu’un rôle secondaire dans l’admirable unité de l’art égyptien. Elle n’en est pas moins importante pour nous, et par ses qualités décoratives et par l’abondance des documents qu’elle nous apporte sur la vie égyptienne.

Abstraction de l’illusion optique et de la perspective, souci de ce qui est et non de ce qui se voit, en même temps recherche de l’exactitude, précision scientifique du détail, choix de ce qui est essentiel, tels sont les caractères qui ont fait de l’art égyptien un modèle de vie, de vérité et de style. Au point de perfection où nous voyons, dès le troisième millénaire, le rendu de la forme et la souplesse de la main, nous ne pouvons admettre que des artistes pour qui nul obstacle de matière, nulle difficulté d’expression n’existait, aient ignoré la perspective, ou le raccourci, ou le jeu des couleurs (alors qu’ils ont créé de si chatoyants bijoux) mais plutôt qu’ils les ont jugés inutiles et par là même les ont éliminés. Les artifices qu’ils ont admis et qui composent le corpus de leurs conventions esthétiques, se défendent pour des raisons de vérité permanente, de grandeur dans le style et de nécessité symbolique, L’art égyptien est le triomphe d’une volonté raisonnée, pure de sentimentalisme, sereinement impassible, mais, en même temps — et en particulier dans la peinture — enjouée par la spiritualité. Les conventions hiératiques et la conception architecturale qui président à la peinture égyptienne n’en ont pas exclu la variété et la vie. Nous n’en voulons pour témoins que les portraits, non seulement individuels, mais collectifs, portraits de races

qui accompagnent maintes scènes commémoratives ou familières, les représentations animales et l’ornementation décorative.

L’art égyptien, qui a réalisé ses données essentielles dans la période comprise entre la quatrième et la douzième dynastie (2900 à 1800) n’a, par la suite, que peu évolué. Il convient cependant de signaler une véritable mais courte révolution, sous le règne d’Aménophis IV (1372-1354 av. J.-C.) et de son gendre et successeur Toutankh-Amon. Parallèlement à une tentative religieuse pour remplacer tous les dieux égyptiens par le culte immatériel du dieu solaire « Aten », une rénovation artistique introduisit, avec l’école d’El Amarna, la spontanéité, la fraîcheur, le charme, en même temps qu’elle atteignit une acuité inconnue dans l’expression psychologique. Mais la réforme religieuse échoua, et, avec le pouvoir des prêtres, l’art égyptien retomba dans les conventions rituelles.

Les sujets traités par la peinture égyptienne constituent le recueil le plus complet de documents sur la vie de cette longue civilisation et de celles qui l’ont entourée : les dieux, leur culte et leurs légendes, les croyances funéraires et la vie des vivants, la maison, les jardins, les champs, la chasse et la pêche, le commerce et le travail des métiers, les jeux et les plaisirs, la vie publique, les guerres et les défilés de peuples. Par leur large participation aux préoccupations de la vie populaire, les artistes égyptiens furent les premiers, et longtemps les seuls, à ajouter aux éléments religieux de l’époque primitive un élément social.

B) Asie Occidentale. — En dehors de la céramique décorée dont la production cesse très tôt, nous n’avons aucune œuvre peinte proprement dite des hautes époques de l’Asie Occidentale. Il est probable que la peinture, qui était utilisée, comme en Égypte, sur les stucs de revêtement des palais et des temples, suivit l’évolution des autres arts, que l’on peut résumer ainsi : sur un fond commun asiatique, apparaissant dès le début du 3e millénaire et dont la forme la plus haute se présente, en Sumer, entre le xxve et le xxie siècle, chaque région de l’Asie Occidentale a apporté ses variantes particulières ; les périodes de domination sémitique, à partir du xxixe siècle, sont marquées partout par un appauvrissement de l’invention et une tendance à la stylisation. Cet art, jusqu’à la pénétration hellénique, au iiie siècle, est exclusivement religieux. Les rares peintures murales assyriennes récemment découvertes ne démentent pas les caractères généraux de stylisation hiératique et de force, révélés par la sculpture et les bas-reliefs. On peut rattacher à cet art les grandes décorations en brique émaillées de la Perse Achéménide. La peinture, en Asie Occidentale, reste décorative à la fois par sa conception et par son emploi, voisine du linéament sculptural et tributaire de l’architecture.

C) Pays Egéens : Crète, Chypre, Mycènes. — La civilisation égéenne, qui, du début du troisième au début du premier millénaire, couvrit les îles et les littoraux européen et asiatique de ce qu’on appela plus tard l’Ionie, apporte, dans les formules que nous connaissons par l’Égypte et l’Asie, une nouveauté singulière, ou peut-être un singulier renouvellement. Les découvertes de Mycènes, de Tirynthe, de Cnossos, ont mis à jour, non seulement des vases d’une ornementation toute particulière, mais de grandes peintures murales d’un très réel intérêt. Sur le sol où viendra, plus tard, s’installer la race hellénique, nous voyons se manifester un sentiment nouveau, issu du naturalisme, et qui semble ne plus rien devoir à l’inspiration religieuse. Les animaux, les végétaux, les figures humaines qui peuplent de leur mouvement les manifestations de cet art n’obéissent plus à aucune règle de grammaire sacrée ; leur ordonnance ne semble plus déterminée par le souci du totémisme ou de la magie mais par l’agrément et la vérité.