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RÉSIGNATION. La résignation consiste en l’acceptation par un individu (ou une collectivité) d’une situation que, laissé libre de se déterminer, il (ou elle) ne subirait pas. On peut sommairement diviser l’humanité en deux catégories bien distinctes, la catégorie des résignés et la catégorie des irrésignés. Les résignés comprennent tous ceux qui, par influence, éducation, intérêt, acceptent les choses telles qu’elles sont, évitables ou non, que ce soit au point de vue économique, intellectuel, ou éthique. Ils ne savent pas faire de différence entre l’évitable et l’inévitable, les faits et les circonstances contre lesquels on ne peut réagir, parce que naturels, et ceux contre lesquels on peut se dresser, parce qu’artificiels.

Il y a, en effet, certains faits d’ordre biologique contre lesquels on ne peut se rebeller. On peut trouver que le fonctionnement de l’organisme humain est loin d’être parfait ; que la façon dont s’acquiert, croît, cesse la vie est déplaisante, etc. Il n’y a rien à faire là-contre. Le mécanisme de la pensée, des secrétions, de la circulation du sang, de la marche, par exemple, sont inhérents à notre nature d’êtres appartenant à la classe des vertébrés, au genre humain. Mais on s’aperçoit bientôt que, même dans l’ordre naturel, il est des faits évitables. On peut fort bien essayer d’atténuer les effets de certains accidents météorologiques, comme le froid, la chaleur, la pluie, les inondations, la sécheresse, l’obscurité et ainsi de suite. De même on peut lutter contre la maladie. On peut tenter de réduire à un minimum la nocivité des faits naturels dans une proportion toujours plus grande. Et c’est dans ce combat conscient contre la nature que gît la différence, probablement la seule, entre l’humain et l’animal.

Si la bataille contre les forces naturelles peut donner des résultats indécis, la situation change du tout au tout quand il s’agit des faits artificiels, comme la politique, la religion, les régimes économiques, la morale, les méthodes d’enseignement, etc. Ces faits sont circonstanciels. Ils ne se relativement qu’à des situations passagères. Ils ont varié dans le temps. Ils ne sont pas immuables. Ils reposent sur des abstractions ou des fictions. Ni l’état, ni le capitalisme, ni le christianisme, ni le bouddhisme, ni le patriotisme, ni le mariage, pour ne citer que des exemples, ne sont des impératifs biologiques. On mourra si on ne mange pas ; mais on ne mourra pas parce qu’on ne croit pas en Dieu ou parce qu’on ne produit pas en série, ou parce qu’on n’utilise pas la T. S. F. ou le transport par avion. On sera un ignorant si on ne sait ni lire ni écrire, etc., mais on ne sera pas un ignorant si, au lieu de suivre l’enseignement de professeurs stipendiés par les gouvernements, on est un autodidacte.

On peut, après réflexion, après avoir étudié, comparé, analysé, etc., ne pas vouloir se résigner, dans un domaine ou un autre, à l’état de choses, artiflciel, qui constitue la société organisée.

Les dirigeants, qui sentent le danger de la réflexion, parce que tout être qui réfléchit n’est plus aussi docile que celui qui ne se pose pas de questions, assurent que le bonheur — l’aspiration de tous les hommes, pris individuellement ou en masse — est fonction de la résignation. « Résignez-vous » ont clamé et clament à l’envi les meneurs de troupeaux humains, les accapareurs du sol, de cheptel et de capital-espèces, les chefs d’armée et les capitaines d’industries. « Résignez-vous et vous serez heureux ; ne raisonnez pas, ne demandez pas, ne souhaitez pas au delà de ce qui vous est octroyé ou concédé par Dieu ou ses représentants ; par le prince, le gouvernement, la loi, la constitution, leurs vicaires ou leurs substituts. Contraignez-vous dans vos pensées et dans vos sentiments. Mortifiez vos sens. Éteignez vos désirs. Abstenez-vous. Voilà où se trouve le bonheur. Les prêtres, les chefs et les législateurs ont planté certains poteaux-limites au dedans desquels règne officiel-

lement le bonheur. Ne les franchissez pas. Conformez-vous à ce que vous permettent la volonté ou le caprice des Maîtres, les intérêts de caste, de parti, d’organisation ; la décision des majorités, voire la dictature des minorités ; et vous serez heureux. C’est si simple. » On voit qu’il n’y a rien dans tout cela qui soit naturel, d’ordre biologique, qui ne puisse être évitable. On peut avoir un point de vue diamétralement opposé et vivre cependant, vivre pleinement même. Il y a donc la catégorie des résignés qui acceptent cette conception artificielle du bonheur.

Mais il y a aussi la catégorie des irrésignés : protestataires, dissidents, insoumis, réfractaires. L’histoire nous montre comment les gouvernants, les majorités, ou les minorités dominantes s’en débarrassent. Les procédés d’annihilation ou d’entrave ne varient guère dans le temps, persécutions, mauvais traitements, calomnie, exil, cachot, supplices, mort à plus ou moins brève échéance. L’histoire nous montre, également, malgré ces procédés d’élimination, que l’irrésignation finit par triompher sur la résignation. Il y a des éclipses, des reculs, des marches arrière. Après avoir fait taire par la force les voix contradictoires, les meneurs de civilisations politiques, économiques ou religieuses, décrètent que tous, peuples et individus, jouissent du bonheur parfait. Plus de subversifs ni de non-conforrnistes. Le silence règne — le silence de la servitude, de la stagnation, de l’uniformité, de la peur.

Eh bien non ! Ce n’est que parce qu’ils méditent ou projettent que les irrésignés se taisent. Ce n’est qu’un silence apparent, un feu qui couve sous la cendre. Ils supportent — et supporter n’est pas se résigner. Ils subissent — et subir n’est pas accepter. Ils se contraignent — et se contraindre n’est pas obéir. Ils se savent les héritiers de ceux qui ouvertement n’ont voulu, ni accepter, ni obéir, ni se contraindre, ni se résigner. Ils se tiennent en rapport les uns avec les autres, réalisent entre eux la plus grande somme de bonheur possible. Jusqu’au jour où ils se sentent en possession de la puissance nécessaire pour se faire entendre à nouveau.

C’est ainsi que certaines oppressions, certains préjugés, certains enseignements, certains systèmes politiques ou économiques — pas tous, hélas ! — ont disparu, ne peuvent plus se reproduire sous leur forme antérieure.

Parce qu’il ne veut de bonheur autre que celui qu’il se forge lui-même — en laissant autrui se forger le sien à sa façon — l’individualiste anarchiste — isolé ou associé — est un irrésigné par essence. L’individualisme vise, en dénonçant l’artificiel de la vie en société, à réduire toujours plus les cas de résignation inévitable. — E. Armand.

RÉSIGNATION (du bas latin resignatio, même sens), n. f. Renonciation à un droit, à une charge, à un office en faveur de quelqu’un. (Dict. Larousse). Fig. Acte de la volonté qui accepte une situation, qui renonce à lutter contre elle ou à s’en plaindre : La résignation est la vertu du malheur (Beauchêne). Résignation de soi-même, renoncement à soi-même. (Dict. Larousse).

Il est tout à fait compréhensible que les maîtres, les puissants, les profiteurs, les spoliateurs, les exploiteurs admirent cette vertu chrétienne qu’est la Résignation puisqu’elle est, par cela même, le contraire de la Révolte.

« La patience et la Résignation, sont les principales vertus du chrétien. »

Se résigner, n’est-ce pas capituler devant les plus malins, les plus fourbes ? N’est-ce pas se condamner soi-même à tout subir plutôt que de faire acte humain, fier, viril devant l’odieux, devant le mal ? Si ce n’est qu’une vertu bourgeoise, c’est une vertu aimée des bourgeois, non pour eux-mêmes, mais pour ceux dont ils profitent, contre ceux qu’ils dupent, qu’ils trompent,