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barricade ! Tel autre, farouche ennemi du militarisme et du patriotisme, épouvante ou écœure par ses extravagances de provocateur et, soudain, devient le patriote incomparable qui demande à partir au front et auquel on répond qu’il est plus utile à l’arrière pour maintenir le moral du peuple. Celui-là pleure son frère tué en regrettant de n’avoir qu’un frère à immoler à la patrie ! Que d’autres ! Que d’autres encore on pourrait, d’une ligne, rendre reconnaissables, qui ont tout renié, même le bon sens, pour adorer ce qu’ils brillaient jadis ! Que de faux amants de la Liberté se sont tout à coup révélés de véhéments partisans de la dictature !… Enfin, les renégats abondent quand la lâcheté, l’ambition ou la cupidité leur font entrevoir, le plus avantageux côté de la barricade !… Ces gens-là n’ont de conviction que selon l’écuelle qui leur est offerte. Ils sont bêtes de luxe ou bêtes de somme suivant la hauteur du râtelier.

Les renégats fourmillent ; nul milieu n’en est plus abondamment peuplé que le monde de la politique (voir Politique et Politiciens). À vrai dire, on rencontre partout des spécimens de cette espèce vile et méprisable. L’anarchisme lui-même a fourni quelques-uns de ces spécimens. Qui n’a pas connu d’anciens libertaires, se flattant de l’être encore tout en reniant avec une cynique désinvolture les principes anarchistes ? Pour s’excuser — lorsqu’ils avouent leur volte-face — ils invoquent quelques mauvais clichés dont leur impudence s’accommode avec un déconcertant sans-gêne. Par exemple : « Quel homme d’intelligence et de cœur n’a été, à vingt ans, plus ou moins anarchiste ? » Et ils ajoutent avec suffisance : « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas. »

Si nous entreprenions la publication d’une liste comprenant les cas de reniement plus ou moins retentissants unis qui se sont produits en tous temps, en tous lieux et dans tous les mondes, — sans en excepter le monde ouvrier et les groupements d’avant-garde, — le lecteur serait tenté d’estimer que le « Renégat » est une des variétés les plus nombreuses dans la race humaine. Le philosophe n’en éprouve aucune surprise : l’ambition, l’amour de l’argent, la vanité, sources auxquelles s’alimentent le reniement et la trahison, sont de néfastes effets dont la cause réside dans l’immorale organisation sociale. — Georges Yvetot.


RÉPRESSION n. f. (du latin repressio). Action de réprimer, de sévir, dans le but d’arrêter l’effet, le développement, le progrès d’une action qu’on juge répréhensible, d’un courant, d’une doctrine, d’un mouvement que l’autorité temporelle ou spirituelle estime subversif et contraire aux intérêts religieux ou laïcs que cette autorité a la charge de défendre.

La répression sévit en raison directe de la faiblesse d’un Régime et de la force de l’Opposition. Les gouvernements considèrent la répression comme une manifestation de l’autorité morale dont ils jouissent et de la solidité de leur puissance. Quand la Police – toujours servile – traque les militants subversifs ; quand la Magistrature – toujours à plat ventre – fait pleuvoir les condamnations les plus iniques et les plus dures sur les propagandistes et les hommes d’action d’une organisation révolutionnaire ou des groupements anarchistes ; quand l’Armée – toujours aux ordres des pouvoirs établis – massacre les populations insurgées ; quand les prisons regorgent de détenus et les terres d’exil de proscrits, le Gouvernement s’imagine que la sévérité qu’il déploie contre ses adversaires marque la mesure de sa force et de la faiblesse des persécutés. Il n’y a là qu’une fausse apparence, et la Raison et l’Histoire déposent dans un sens diamétralement opposé. Il suffit d’observer et de réfléchir quelque peu pour acquérir la conviction que la répression dont un Régime fait usage, dans le but de briser l’effort de ceux qui le combattent,

est, tout au contraire, la marque de l’impopularité de ce Régime et, par conséquent, de sa fragilité.

Sur ce point, consultons la Raison. Écoutons-la. Elle affirme qu’un Gouvernement véritablement populaire – j’entends par là estimé et aimé par le peuple – n’a pas besoin de s’appuyer sur la violence : la confiance qu’il inspire aux gouvernés, le respect et la sympathie que ceux-ci ressentent pour les talents et les vertus dont ils se plaisent à combler inconsidérément ceux qui président à leurs destinées, sont, pour les institutions en cours et pour ceux qui les régissent, les assises les plus stables et le gage le plus sûr de la docilité avec laquelle les gouvernés continueront à s’incliner devant l’autorité et le prestige des chefs. Il est donc, par avance, démontré que plus un gouvernement est populaire, moins il est appelé à sévir.

Raisonnons par l’absurde : supposons un régime de liberté si positive, de si stricte équité et d’égalité si réelle qu’il serait délibérément accepté par la totalité de ceux à qui il s’applique. Il est évident qu’un tel régime reposerait sur des bases d’une solidité à toute épreuve ; et il est, en outre, évident que, ledit régime ne suscitant ni mécontentement, ni protestation, ni révolte, la répression ne trouverait pas à s’y exercer. Mais un régime de cette nature ne comporterait aucun gouvernement ; ce serait l’Anarchie.

Revenons donc au régime capitaliste et autoritaire qui, par contre, ne se conçoit pas plus qu’il ne saurait exister sans la répression. En divisant les individus en riches et en pauvres, le capitalisme enfante inévitablement, et sous les formes les plus variées, l’irritation et la révolte des spoliés contre les spoliateurs. En divisant les individus en gouvernants qui commandent et en gouvernés qui sont dans la nécessité d’obéir, l’État engendre inéluctablement, et sous les formes les plus variées, la colère et l’insurrection des asservis contre les maîtres. Pauvres et gouvernés ne se dressent pas seulement contre tels exploiteurs ou tels oppresseurs, ils se dressent contre les formes mêmes de l’exploitation et de l’oppression dont ils ont à se plaindre ; ils se dressent contre les institutions qui consacrent et protègent ces formes ; ils se dressent contre le régime qui s’appuie sur ces institutions ; ils menacent directement le régime lui-même.

En fait, il en est ainsi : la révolte ne gronde, l’effervescence ne se produit, l’insurrection n’éclate que dans la mesure même où, les causes de mécontentement et l’indignation s’étant graduellement multipliées et aggravées, l’opposition – pouvant aller, alors, des éléments les plus modérés aux éléments les plus révolutionnaires, des partis les plus paisibles aux partis les plus violents, des natures les plus réfléchies aux tempéraments les plus impulsifs –, l’opposition, dis-je, se lève résolue, énergique, inflexible, contre le régime dont elle dénonce les méfaits et tente de le culbuter. Ainsi attaqué, le régime se défend et demande son salut aux forces de répression dont il dispose. La nature de ces forces de répression et la férocité avec laquelle l’autorité y fait appel étant conditionnées par l’intensité de la révolte, la gravité de la situation et l’imminence du péril.

Ce n’est donc pas quand un gouvernement est fort, mais, au contraire, lorsqu’il se trouve affaibli par l’accumulation de ses erreurs, de ses fautes et de ses crimes, qu’il a besoin de résister aux assauts qui lui sont livrés et de jeter dans la mêlée les violences, les arbitraires, les cruautés que synthétise la répression. Ce n’est donc pas de la puissance, de la solidité d’un régime ou d’un gouvernement que la répression donne la mesure. Elle donne, au contraire, celle de la force de l’opposition.

La marche d’une idée. — Cette thèse est confirmée par une observation empruntée à des considérations d’un ordre différent et qui sont trop saisissantes pour que je ne les indique pas.