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C’est dans les arts, en Italie surtout, que la Renaissance fut incomparable. Les premières œuvres, qui témoignent de tendances novatrices, se placent entre les années 1400 et 1450, époque que les Italiens ont appelé le Quattrocento. Quatre florentins, l’architecte Brunelleschi et les sculpteurs Ghiberti, Luca della Robbia, Donatello se dégagèrent, à des degrés différents, des traditions de l’art médiéval. En peinture, l’influence de Giotto resta longtemps encore prépondérante ; néanmoins, on découvre déjà chez Masaccio, mort en 1428, des tendances qui font présager l’évolution qui devait suivre. À partir de la seconde moitié du XVe siècle, la transformation s’accentue rapidement et les réminiscences du Moyen Âge deviennent de plus en plus rares chez les grands artistes. On trouve alors à Florence le sculpteur Verrochio et les peintres Ghirlandaio et Botticelli ; Mantoue se glorifie de posséder Andrea Mantegna ; Venise brille avec Carpaccio et les deux Bellini.

Au XVIe siècle, l’art italien atteindra, dans certaines branches, spécialement en peinture, une perfection qui, au dire de beaucoup, n’a jamais été dépassée. Conçu d’une façon toute païenne, il cesse d’être le serviteur docile de la morale et de la théologie ; s’il imite les modèles gréco-romains, c’est d’une manière originale et libre ; provoquer l’émotion esthétique, exalter la beauté sous ses formes multiples, voilà son unique but. Les progrès de la technique, l’étude très poussée du corps humain, la connaissance des lois de la perspective en peinture contribuèrent à donner aux artistes une habileté professionnelle, un savoir-faire merveilleux. De plus, jamais l’on n’avait encore vu surgir simultanément tant de génies, dont l’incessante activité se prodigua en œuvres admirables. Florence, Milan, Rome, Parme, Venise furent les principaux centres d’art ; néanmoins, une foule d’autres villes italiennes purent s’enorgueillir de monuments fameux et retinrent dans leurs murs des peintres et des sculpteurs de grand mérite. Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, Titien, Paul Véronèse, Corrège, Andrea del Sarto jouissent, même à notre époque, d’une prodigieuse célébrité. Génie universel, Léonard de Vinci, 1452-1519, fut à la fois peintre, sculpteur, ingénieur, poète et savant. Sa Joconde, sa Vierge aux Rochers, son Saint Jean-Baptiste, la Cène dont il décora le réfectoire du couvent de Sainte-Marie des Grâces, à Milan, sont fameux. Raphaël Sanzio, 1483-1520, mena une vie très mondaine à la cour du pape ; il mourut à 31 ans, comblé d’honneurs. Son caractère aimable lui avait fait beaucoup d’amis. Bien qu’il se soit également occupé d’architecture, c’est à la peinture exclusivement qu’il doit d’être si connu, Tous les grands musées possèdent des Madones de Raphaël ; mais c’est au Vatican que se trouvent ses œuvres les plus importantes. Michel-Ange Buonarotti, 1474-1564, était, à l’inverse du précédent, d’un caractère sauvage, ombrageux et rude, obligé de travailler pour les princes et les papes, il ne se résigna jamais au rôle de courtisan. Alors que l’œuvre de Raphaël est toute douceur, toute harmonie, celle de Michel-Ange témoigne d’une force surhumaine et d’une indomptable énergie. Comme sculpteur, il a laissé des statues allégoriques, un Moïse, un Laurent de Médicis justement célèbres ; comme peintre, on lui doit les fresques de la chapelle Sixtine ; comme architecte, il dressa les plans de la coupole de Saint-Pierre. Travailleur infatigable, il exécuta bien d’autres ouvrages, tous remarquables. Titien, 1490-1576, fut le représentant le plus complet de l’école vénitienne ; son œuvre très abondante comprend des portraits, des scènes mythologiques, des tableaux religieux. Paul Véronèse, 1528-1588, doué d’une grande facilité, exécuta des toiles d’une belle ordonnance et décora églises et palais ; il fut sans rival pour rendre le chatoiement des étoffes et la pompe de certaines cérémonies. Grâce et coloris caractérisent Corrège, 1494-1534, dont les œuvres maîtresses sont à Parme. Dou-

ceur, élégance et harmonie plaisent dans les figures peintes par Andrea del Sarto, 1488-1530.

Rappelons encore que Benvenuto Cellini, 1500-1571, dont la vie fut celle d’un aventurier, était un sculpteur et un orfèvre de génie. Son Persée, sa Nymphe de Fontainebleau sont des ouvrages délicieux. L’architecte Bramante, 1444-1514, sut joindre la force à l’élégance, la grandeur de l’ensemble à la finesse de l’exécution ; il construisit la Chartreuse de Pavie et donna le premier plan de Saint-Pierre de Rome. En musique, il convient de citer Palestrina, 1529-1594. Bien d’autres artistes, dans tous les domaines, mériteraient qu’on ne les oublie pas, tant furent nombreux à cette époque les talents qui sortaient de l’ordinaire. Mais, contrairement à ce que l’on affirme, nous estimons que le rôle des mécènes ne fut pas toujours heureux, et que l’art aurait dû s’affranchir de la tutelle encombrante des princes et des papes. Dans l’ensemble, le gain fut exclusivement pour ces potentats, qui obtinrent une gloire durable à bon compte. Quelques-uns étaient pourtant incapables de rien comprendre à la beauté. Un Pierre de Médicis, par exemple, obligeait Michel-Ange à faire des statues de neige pendant un hiver rigoureux ! Tous les mécènes ne furent pas aussi stupides ; tous se sont rendus célèbres, grâce au travail de subordonnés qu’ils payaient assez maigrement. S’il n’était mort si brusquement, Raphaël, le plus favorisé des artistes du XVIe siècle, aurait reçu de Léon X le chapeau de cardinal ; mais, assurent les contemporains, c’était en compensation de sommes considérables que lui devait le pape et qu’il ne voulait pas lui payer. Par malheur, l’histoire, habituellement au service des oppresseurs du genre humain, ne manque jamais de flatter les puissants ; elle les couvre de fleurs, même quand ils ne le méritent pas.

Hors d’Italie, la renaissance artistique aboutit également à la production d’œuvres remarquables. En France, architectes, sculpteurs, peintres resteront originaux, tout en s’inspirant des tendances rénovatrices, Sous François Ier, des maîtres italiens, Léonard de Vinci, Benvenuto Cellini, le Primatice, le Rosso, séjournèrent chez nous. Toutefois, une adaptation de l’art nouveau aux conditions particulières du milieu et du climat s’accomplit assez vite. Avec Pierre Lescot, Philibert de l’Orme, Jean Bullant, l’architecture brille d’un vif éclat. Malheureusement, elle se désintéresse de la demeure du pauvre et ne songe qu’à construire des châteaux et des palais pour les souverains, leurs maîtresses et leurs courtisans. Déplorable effet de l’asservissement de l’art au profit des lois ! En sculpture, l’influence italienne est très sensible chez Jean Goujon ; elle l’est beaucoup moins chez Pierre Bontemps et Germain Pilon, qui gardent une grande indépendance dans leurs créations. La peinture, très médiocre dans l’ensemble, n’a point laissé d’œuvres de premier ordre : François Clouet et Corneille de Lyon ne manquent pas de vigueur ; Jean Cousin ne mérite pas les éloges qu’on lui a prodigués. L’art de l’émail, qui prospérait depuis longtemps à Limoges, adopta le style et les sujets chers à la Renaissance, avec Jean Pénicaud et Léonard Limousin. Bernard Palissy, « le potier d’Agen », qui découvrit le secret des faïences émaillées et fut persécuté comme protestant, était un maître génial dans l’art de la céramique. Ajoutons que certaines œuvres musicales françaises du XVIe siècle sont appréciées avec juste raison, même aujourd’hui.

En Allemagne, l’influence italienne se fait déjà sentir chez le sculpteur Peter Vischer, 1460-1529. Elle est manifeste chez Albert Durer, 1471-1528, le plus grand artiste allemand de l’époque. Outre des toiles et des portraits, il a laissé des gravures sur bois ou sur cuivre qui jouissent d’un renom mérité. Avec Hans Holbein d’Ausbourg, 1498-1543, la Renaissance triomphe complètement. Ce peintre mena une vie errante, puis se fixa en Angleterre ; il est l’auteur de la fameuse Danse