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pas le renouveler. Et cet amoral ne poursuivra que mieux l’ascension vers l’idéal qu’il se sera assigné, se perfectionnant sans cesse, sans avoir besoin de jalonner sa route de douloureux, empoisonnants et inutiles mea culpa.

Pour conclure, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire l’admirable page du sage Meng-Tseu. Puissent s’inspirer de l’enseignement qu’elle contient tous ceux qui ont encore l’esprit peuplé de chimères et qui redoutent le remords comme sanction à leurs pauvres actes humains.

« Je suppose ici un homme qui me traite avec grossièreté et brutalité ; alors, en homme sage, je dois faire un retour sur moi-même, et me demander si je n’ai pas été inhumain, si je n’ai pas manqué d’urbanité : autrement, comment ces choses seraient-elles arrivées ?… Si, après avoir fait un retour sur moi-même, je trouve que j’ai été humain ; si, après un nouveau retour sur moi-même, je trouve que j’ai eu de l’urbanité, la brutalité et la grossièreté dont j’ai été l’objet existant toujours, en homme sage, je dois de nouveau descendre en moi-même, et me demander si je n’ai pas manqué de droiture. Si, après cet examen intérieur, je trouve que je n’ai pas manqué de droiture, la grossièreté et la brutalité dont j’ai été l’objet existant toujours, en homme sage, je me dis : cet homme qui m’a outragé n’est qu’un extravagant et rien de plus. S’il en est ainsi, en quoi diffère-t-il de la bête brute ? Pourquoi donc me tourmenterais-je à propos d’une bête brute ? C’est pour ce motif qu’un sage est toute sa vie intérieurement plein de sollicitude, sans qu’une peine l’affecte pendant la durée d’un matin. » — Cl. Boussinot.


RENAISSANCE (Vue d’ensemble, n. f. du radical renaître. On désigne par ce mot le mouvement qui, au XVe et au XVIe siècle, détourna les intelligences des formes artistiques et des idées chères au Moyen Âge, pour aboutir à un l’éveil de l’esprit antique. Contre la scolastique, contre l’autorité de l’Église et des théologiens, contre les préjugés mis en honneur par le christianisme, des érudits, des écrivains, des artistes, des penseurs lèvent alors le drapeau de la révolte. Mœurs, opinion, industrie, goût littéraire et artistique, tout se transforme et se renouvelle ; saisis par la passion de l’éternelle beauté, les esprits repoussent avec dégoût les formules léguées par le Moyen Âge, et c’est à l’Antiquité grecque et romaine qu’ils demandent une conception moins mesquine de l’existence, une plus juste compréhension des harmonieuses exigences de la nature et de la raison. Simple étape dans la voie de la libération des cerveaux, la Renaissance peut sembler timide à nos contemporains, touchant maintes de ses revendications. N’oublions pas cependant qu’il fallait un courage méritoire, au XVIe siècle, pour rompre avec les traditions chrétiennes, consacrées par une longue habitude.

Parmi les causes qui favorisèrent la diffusion des chefs-d’œuvre littéraires, laissés par les plus beaux génies de la Grèce et de Rome, il faut placer l’invention de l’imprimerie. Des textes, réservés jusque-là à de rares privilégiés, devinrent d’un usage assez courant ; et les nombreux ouvrages anciens, retrouvés par les érudits de l’époque, furent connus sans peine de tous les hommes cultivés. Pétrarque et Boccace, dans la seconde moitié du XIVe siècle, avaient déjà donné l’exemple, en s’attachant à l’étude des modèles latins et grecs. Le premier se montrait plus fier de son petit poème Africa, composé en vers latins, que des stances en l’honneur de Laure de Noves, qui lui valurent la célébrité : il mettait une vraie passion à rechercher les manuscrits enfouis dans la poussière des bibliothèques ; et sa joie fut sans borne quand il découvrit, à Liège, deux discours de Cicéron, inconnus de ses contemporains. Le second apportait une ardeur égale à retrouver les textes oubliés et il les faisait traduire à grands frais, quand lui-même ne

les traduisait pas ; il apprit le grec sous la direction de Léonce Pilate et parvint à lire couramment les chefs-d’œuvre de l’Hellade. Mais la brillante époque de Pétrarque et de Boccace devait être suivie d’une éclipse ; et ce furent les savants grecs, venus nombreux en Italie dès la première moitié du XVe siècle, et qui affluèrent davantage encore après la prise de Constantinople par Mahomet II, qui donnèrent une impulsion particulièrement féconde à l’étude des littératures anciennes. Citons, parmi beaucoup d’autres, Manuel Chrysoloras, Théodore Gaza, Jean Argyropoulo, Constantin et Jean Lascaris, Chalcondylas, le premier éditeur d’Homère, le cardinal Bessarion. Bien accueillis en Italie par certains princes, souvent perfides en politique et sanguinaires dans leurs mœurs, mais qui se faisaient gloire de protéger les artistes et les lettrés, ces érudits furent, dans la péninsule, les promoteurs d’une révolution intellectuelle qui s’étendra ensuite à tous les pays d’Occident. Les Médicis à Florence, les Sforza à Milan, les d’Este à Ferrare ; certains papes, comme Jules II et Léon X, ont même laissé dans l’histoire un nom assez sympathique, malgré leurs crimes et leur débauches, à cause de la protection qu’ils accordèrent aux humanistes, aux poètes, aux grands artistes des XVe et XVIe siècle.

Des érudits italiens, tels que Jean Aurispa, Guarino-Guarini, Philelfe, rivalisèrent bientôt avec leurs maîtres grecs ; alors que d’autres, en particulier Gasparin de Bergame, Laurent Valla, Pulci, Ange Politien, le Pogge, s’appliquaient plus spécialement à l’étude des auteurs latins. Pour ne pas gâter le « latin cicéronien », qu’il se vantait d’écrire, le cardinal Bembo ne voulait plus lire l’Écriture sainte. Malheureusement, trop d’humanistes renoncèrent à faire œuvre personnelle, se bornant à imiter les anciens de façon servile. Or, pastiches et copies ne sauraient prétendre à une gloire durable ; hellénistes et latinistes de la Renaissance ont laissé des ouvrages d’une grande valeur pour les érudits, mais d’un intérêt littéraire et humain généralement fort médiocre, souvent même nul. D’Italie, l’amour de l’Antiquité grecque et latine gagna, successivement, les diverses régions de l’Europe occidentale et centrale.

En France, érudits et philologues ne manquèrent pas. Le plus célèbre fut Guillaume Budé, esprit encyclopédique qui fraya la voie à l’humanisme dans notre pays. Robert et Henri Estienne furent, tout ensemble, d’excellents imprimeurs et de remarquables savants ; comme beaucoup d’autres érudits français, ils se convertirent au protestantisme et furent violemment persécutés par les catholiques. Citons encore, tant parmi les hellénistes que parmi les latinistes, Lefèvre d’Etaples, Turnèbe, Estienne Daurat, Dumoulin, Muret, Nizole, Dubois, Scaliger, Casaubon. Le Collège des trois langues, appelé plus tard Collège de France, qui fut créé en 1530 pour donner un enseignement plus moderne que celui de l’Université, contribua puissamment à développer chez nous le goût des humanités. Outre Budé, il compta parmi ses professeurs l’helléniste Pierre Danès, l’hébraïsant Vatable, l’orientaliste Guillaume Postel, le fameux Pierre Ramus, qui fut tué lors du massacre de la Saint-Barthélemy.

Dès la fin du XVe siècle, des novateurs, tels que Conrad Celtes, Peutinger, Bebel, Rhenanus, Agricola de Groningue, répandaient en Allemagne le goût des études grecques et latines. Mais, dans ce pays, la lutte entre les scolastiques, restés fidèles aux méthodes surannées du Moyen Âge, et les humanistes, qui méprisaient le latin de saint Thomas d’Aquin et préféraient Platon à Aristote, fut extrêmement vive. Reuchlin, qui demandait que la science reste indépendante de la religion, fut accusé d’hérésie par les dominicains. Quant à Mélanchton, professeur de grec à l’université de Wittenberg dès l’âge de vingt et un ans, il devait se ranger du côté de Luther et jouer un rôle très important dans