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REL
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Au Tibet, le monachisme tout-puissant a instauré une théocratie qui, pour se maintenir, interdit l’accès du pays aux étrangers et tient les habitants dans l’ignorance des progrès qui s’accomplissent sur le reste du globe. On estime à 500.000 environ le nombre des moines : 1 en moyenne pour 4 habitants. Bien garnis d’armes et de munitions, les couvents ou lamaseries sont de vraies forteresses, juchées sur des hauteurs ; il y en a au moins 3 000. Le dalaï lama, chef spirituel et temporel, vit à Lhassa ; c’est une incarnation permanente de Bouddha, un dieu vivant ; et ses fidèles l’adorent quand il daigne se montrer. Par sa hiérarchie sacerdotale, par la pompe extérieure de son culte, par ses pratiques de dévotion et même par certains de ses dogmes, le lamaïsme ressemble beaucoup au catholicisme. Rome ferait bien d’adopter les moulins à prière tibétains ; ils dispenseraient nos dévotes de marmotter, interminablement, des formules latines qu’elles ne comprennent pas.


Alors que nous sommes réduits à des conjectures touchant l’existence du Christ, et que la vie de Bouddha reste enveloppée d’impénétrables nuages, nous possédons sur Mahomet des renseignements précis et certains ; ce qui n’a pas empêché la formation de légendes pieuses dans les milieux musulmans. Né à La Mecque en 571, orphelin de très bonne heure, il fut berger, puis conducteur de chameaux, dans sa jeunesse. Son mariage avec Khadidja, à 25 ans, lui assura des loisirs et lui permit de s’occuper des questions religieuses. Très pieux, sujet à de violentes crises nerveuses, surexcité par des jeûnes fréquents et des méditations prolongées, il entendit l’ange Gabriel lui annoncer qu’Allah l’avait choisi pour son prophète et son messager. Mahomet était-il sincère, en racontant les visions dont le ciel le favorisait ? Les auteurs chrétiens répondent volontiers par la négative. Cependant, les hallucinations religieuses furent si fréquentes, au cours de l’histoire, et par tempérament le fondateur de l’islam était si prédisposé à des accidents de ce genre, que nous croyons à sa bonne foi, lorsqu’il débuta dans la carrière du prophétisme. Plus tard, il fit comme saint Paul et enjoliva ses rêves, quand il ne les inventa pas de toutes pièces ; son excuse fut d’y être contraint par les nécessités de sa profession. C’est un dur métier, parfois, que celui de messager divin ! Toutefois, la tranquille assurance dont il fit preuve, pendant les longs déboires du début et dans les moments les plus difficiles, montre qu’il crut vraiment à sa mission.

Après plusieurs années d’efforts, Mahomet parvint à convertir les membres de sa famille et quelques habitants de La Mecque : la nouvelle religion se répandait avec peine et très lentement. Néanmoins, la puissante famille des Koraïchites, qui exploitait le temple de la Kaaba, centre de pèlerinage réputé, craignit de voir diminuer ses bénéfices ; elle frappa le prophète d’ostracisme et complota sa mort. En 622, à l’âge de 51 ans, il dut s’enfuir à Yatrib, qu’on appela depuis Médine (Medinat-al-Nabi, la ville du Prophète). L’année de l’hégire (de la fuite) est le point de départ de l’ère musulmane. Très bien accueilli à Yatrib, Mahomet y recruta de nombreux partisans qui l’aidèrent dans ses expéditions contre les païens et les juifs. Vainqueur dans la vallée de Béder, puis vaincu près du mont Ohud, il obtint de nouveaux succès, et entra finalement à La Mecque en 629. Quand il mourut en 632, il avait gagné à sa foi toutes les tribus arabes.

À l’égard de ses adversaires, le prophète se montra impitoyable, massacrant les prisonniers, condamnant à l’esclavage femmes et enfants. S’il ne se vengea point lors de son entrée à La Mecque, ce fut par calcul, afin d’encourager à la soumission ceux qui refusaient encore de croire en lui. « Le paradis, déclarait-il, est à l’ombre des épées. Les fatigues de la guerre sont plus

méritoires que le jeûne, la prière et les autres pratiques de la religion. Les braves tombés sur le champ de bataille montent au ciel comme des martyrs. »

Le Coran (la lecture) est le livre sacré de l’islam ; il contient les préceptes et les enseignements de Mahomet. Lui-même n’écrivait pas, mais ses auditeurs se chargeaient de transcrire ses explications sur des peaux de mouton ou des feuilles de palmier, comme c’était l’usage à cette époque, en Arabie. Ces fragments rassemblés ont donné le Coran ; une première édition parut peu après la mort du prophète ; l’édition définitive fut publiée sous le califat d’Ohtman. L’ouvrage se compose de 114 surates (chapitres), d’étendue très inégale, qui se subdivisent en 6.000 versets environ. On n’y trouve nulle suite, nul plan chronologique ou doctrinal ; les sourates les plus longues furent mises au début, les plus courtes à la fin. Quelques-uns le proclament un chef-d’œuvre littéraire ; d’autres le jugent un pauvre livre, d’une stupidité insigne. Du moins, l’authenticité de l’ensemble n’est pas niable.

La dogmatique musulmane est simple : elle repose sur le monothéisme et le fatalisme. Il n’y a qu’un dieu, éternel et tout-puissant, dont les décrets immuables sont fixés de toute éternité. « Tout est écrit d’avance. L’homme porte son destin suspendu à son cou. » Dieu s’est révélé, au cours des siècles, en suscitant une série de prophètes : Adam, Moïse, Jésus. Mahomet est plus grand que ses prédécesseurs et il sera le dernier. D’où la formule chère à l’Islam : « Allah est le seul dieu et Mahomet est son prophète ! » Après la mort, l’âme, qui est immortelle, sera jugée par Allah. Le réprouvé subira en enfer des tortures indicibles, mais qui ne seront éternelles que pour l’incroyant. Jardin délicieux où coulent le lait et le vin, où les arbres s’inclinent pour offrir des fruits aux promeneurs, le paradis est le séjour des élus. Des houris, aux beaux yeux et aux formes splendides, leur tiennent compagnie ; et l’on sert à tous les breuvages et les mets les plus délicats. En outre, les sages ont la joie « de voir la face de Dieu matin et soir ».

La prière est la principale loi du culte ; elle doit se faire cinq fois par jour. Précédée d’ablutions, elle exige que le musulman se tourne vers La Mecque, puis qu’il s’incline et se prosterne, en marmottant des phrases stéréotypées. Pendant le mois de Ramadan, époque où le prophète reçut les premières visites de l’ange Gabriel, il est interdit de manger, boire et fumer, de l’aube au coucher du soleil ; mais il est permis de faire, durant la nuit, de plantureux festins. Tout musulman qui le peut doit aller à La Mecque, au moins une fois dans sa vie. La croyance aux anges et aux djinns, ainsi que le culte rendu aux nombreux saints islamiques engendrent des superstitions.

Il n’y a pas de clergé ; dans chaque mosquée, un iman, dont la présence n’est pas indispensable, dirige les prières, et un muezzin les annonce du haut du minaret. Marabouts et confréries religieuses constituent la vraie force du mahométisme. Descendant d’un personnage mort en odeur de sainteté, le marabout garde, aux yeux des fidèles, une partie de la puissance surnaturelle qu’avait son ancêtre canonisé. Certains marabouts jouissent d’un prestige considérable ; d’autres vivent péniblement des cadeaux offerts en souvenir de l’aïeul, dont chacun d’eux conserve jalousement le tombeau. Les ordres religieux ou confréries entretiennent le fanatisme ; aux préoccupations mystiques, ils associent fréquemment des visées politiques inavouées. Répartis en groupes provinciaux, les khouans ou frères sont commandés par des moqaddem ou prieurs, qui ont eux-mêmes à leur tête un supérieur général auquel tous appartiennent, corps et âme. Les plus connues de ces confréries sont celles des derviches ; ce ne sont pas les plus puissantes. Derviches tourneurs et derviches hurleurs entrent en communication avec la divinité, les pre-