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D’autres faux lui permirent de devenir souverain temporel. « En 756, dit Turmel, l’apôtre saint Pierre écrivit du haut du ciel à Pépin une lettre éplorée pour lui signaler le danger qui menaçait son tombeau, son église et pour lui enjoindre, sous les peines les plus graves, de venir sans retard à son secours. En 774, Charlemagne reçut du pape Adrien 1er une copie de la Donation de Constantin, acte par lequel le premier empereur chrétien accordait en toute propriété à l’Église romaine d’immenses territoires. Il fut, cela va sans dire, chaleureusement invité à remettre en vigueur cette « donation » que le malheur des temps avait anéantie. Or, la première de ces impostures était l’œuvre d’Étienne II ; la seconde avait pour auteur le pape Adrien. Cette dernière fut exploitée par les papes jusqu’au jour où un chanoine de Saint-Jean-de-Latran, Laurent Valla, dévoila la supercherie, en 1450. »

On sait qu’au point de vue temporel, les évêques de Rome prétendront plus tard commander aux rois ; d’où d’interminables luttes entre le sacerdoce et le pouvoir séculier, luttes qui nuiront finalement au prestige de la papauté. L’État pontifical disparut complètement en 1870, l’administration du vicaire de Jésus-Christ étant devenue insupportable à tous, même aux bons catholiques. En excommuniant le roi d’Italie, Pie IX déclara que jamais ni lui ni ses successeurs ne pardonneraient à ses spoliateurs. Pourtant, contre une grosse somme d’argent, de nombreux privilèges et la reconnaissance de son autorité absolue sur un minuscule État, Pie XI s’est réconcilié avec le gouvernement italien.

Au point de vue religieux, l’infaillibilité du pape en matière de dogme et de morale a été proclamée, en 1870, par le concile du Vatican. En conséquence, le pontife romain possède maintenant, dans l’Église, un pouvoir absolu ; et telle est la sottise de la majorité des catholiques qu’ils applaudiraient vigoureusement s’il lui plaisait, demain, de décréter qu’il est une incarnation divine. Prêtres, évêques, archevêques, cardinaux ne sont plus que d’humbles fonctionnaires du Vatican. Étroitement surveillés par les émissaires de Rome, ils sont admonestés vertement, dès qu’on surprend chez eux la moindre velléité d’indépendance. Pour lutter contre le modernisme, une société secrète, la Sapinière, fut même organisée, avec l’approbation de Pie X et sous le haut patronage du cardinal secrétaire d’État ; elle espionnait les prélats et les autres personnages en vue du monde ecclésiastique. Conversations privées, correspondances particulières, rien n’échappait à la surveillance des délateurs. Un accident ayant révélé, en 1915, l’existence de cette mystérieuse association (et le scandale menaçant, après-guerre, de prendre de vastes proportions), le pape se décida à prononcer officiellement sa dissolution. Si elle ne subsiste pas, camouflée avec soin, c’est qu’une autre société secrète l’a remplacée, se proposant, elle aussi, de veiller à la stricte application des volontés pontificales.

Le célibat imposé aux prêtres permet, d’ailleurs, à la puissance vaticane d’obtenir un rendement maximum des fonctionnaires dont elle dispose. Déjà, le pape Sirice avait défendu aux prêtres et aux évêques de se marier, en 385 ; mais son ordonnance ne fut jamais sérieusement appliquée. Au XIe siècle, les ecclésiastiques étaient en majorité pourvus d’épouses ou de concubines, même à Rome.

« La masse du clergé, déclarera le pape Victor III parlant de cette époque, perdit toute retenue. Les prêtres et les diacres, sans souci de la pureté de cœur et de corps requise pour toucher les sacrements du Seigneur, se marièrent, tout comme les laïcs, et transmirent par héritage leurs biens aux enfants issus de leur mariage. Des évêques eux-mêmes se rencontrèrent qui, foulant aux pieds toute pudeur, prirent des épouses. Cette exécrable coutume sévissait surtout à Rome, dans cette ville dont l’apôtre Pierre et ses successeurs avaient fait autrefois le foyer de la religion… La chaire apos-

tolique fut occupée pendant quelques années par des hommes qui n’étaient pontifes que de nom. Après eux, un certain Benoît, grâce à l’argent distribué dans le peuple par son père, fit l’acquisition du souverain pontificat. Ce que fut alors sa vie, ce que furent les turpitudes et les abominations dont il se souilla, je rougis de le dire. »

Hildebrand, devenu pape sous le nom de Grégoire VII, obligea les prêtres à éloigner leurs femmes ; et, comme certains évêques ne voulaient pas appliquer l’ordonnance pontificale, il conseilla aux fidèles de chasser honteusement les membres du clergé qui, publiquement du moins, ne répudiaient pas leurs épouses ou leurs concubines. Avec l’aide du peuple, il réussit à imposer, dans plusieurs régions, une loi dont l’unique résultat fut d’accroître prodigieusement l’hypocrisie sacerdotale. Dès le milieu du XIIIe siècle, saint Bonaventure pourra écrire : « La plupart des vicaires sont tellement vicieux qu’une honnête femme craint de se déshonorer en conversant secrètement avec eux… Nous constatons que la grande majorité du clergé se compose de débauchés notoires, qui ont des concubines soit chez eux, soit à l’extérieur, et qui, au su de tout le monde, ont des relations avec plusieurs femmes. » La réforme d’Hildebrand avait produit des conséquences qu’on ne prévoyait pas.

Si déplorable était la réputation des prêtres au XVIe siècle que l’empereur Charles-Quint et son successeur Ferdinand, le roi de France Charles IX, les ducs de Bavière et de Clèves conseillaient vivement au pape d’abolir le célibat ecclésiastique. Officiellement, l’Église l’a maintenu ; d’où une incroyable floraison de vices, et de continuelles affaires de mœurs, que les tribunaux bien-pensants étouffent de leur mieux, mais que le public parvient à connaître, malgré le silence d’une presse désireuse de plaire au clergé. Le droit de se marier fut l’une des revendications qui, après la guerre de 1914–1918, conduisirent un grand nombre de prêtres tchèques à rompre avec Rome. Dans l’Amérique du Sud et dans certains pays de mission, l’autorité ecclésiastique ferme volontairement les yeux sur le concubinage des curés, qu’elle autorise ainsi d’une façon indirecte. Orthodoxes et protestants estiment, en ce qui les concerne, que le mariage est pour les ministres du culte une garantie de vertu.

Pour terminer, signalons que dans le catholicisme, comme dans l’Église grecque, les cérémonies ont gardé, dans l’ensemble, un caractère magique qui rappelle croyances et rites des peuples de l’Antiquité. C’est à l’aide des sacrements que prêtres ou évêques transmettent la grâce divine aux fidèles ; et tout sacrement requiert un signe visible, un élément naturel, eau, sel, huile, pain, vin, etc., qui exerce une action sanctifiante et devient un ferment de vie spirituelle. Par le baptême, qui simule une noyade, le profane est incorporé à l’Église et purifié du péché originel ; par l’imposition des mains et l’onction du chrême, le confirmé reçoit des grâces de force et de sagesse, le nouveau prêtre une effusion du Saint-Esprit qui le rend apte à l’exercice des fonctions sacerdotales : extrême-onction et absolution lavent la conscience du pécheur qui se soumet aux ordonnances ecclésiastiques ; enfin, le pain et le vin eucharistiques, mystérieusement transsubstantiés par l’officiant qui célèbre la messe, permettent d’ingurgiter le corps et le sang de Jésus.

À la base de ces pratiques, nous retrouvons la croyance à une force mystérieuse et vague, qui donne à certains éléments soigneusement choisis et consacrés d’une façon rituelle, une vertu toute particulière. Comme le sorcier nègre, le curé catholique croit à l’efficacité des gestes qu’il accomplit, des paroles qu’il prononce dans l’exercice de ses fonctions. Mais, parce qu’il place la liberté parmi les attributs divins, le théologien d’Europe aboutit à des complications doctrinales que le magicien