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REL
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ecclésiastique a perpétué les pires abus commis par les autorités païennes.

Dès qu’elle fut l’amie des princes et disposa des tribunaux, son arme préférée fut la violence. Les apologistes, si loquaces lorsqu’il s’agit de rappeler le souvenir des premiers chrétiens qui souffrirent pour leur foi, et dont le nombre s’avère bien inférieur à ce qu’on prétendit longtemps, oublient de rappeler qu’à peine abritée sous la tutelle d’un Constantin, meurtrier de sa femme et de son fils, l’Église catholique devint persécutrice à son tour. Et elle a fait plus de martyrs, à elle seule, que toutes les religions antiques et tous les empereurs païens réunis. Théodose et Honorius fermeront les temples et, même, prononceront la peine de mort contre les partisans du vieux culte. En 385, l’évêque espagnol Priscillien et six de ses amis furent exécutés pour crime d’hérésie ; à l’instigation de saint Cyrille, la savante mathématicienne et philosophe Hypathie fut massacrée, en 414, par des croyants fanatisés.

Pour imposer leurs idées, saint Augustin et saint Jérôme invoquèrent l’aide des pouvoirs civils ; et, en 447, le pape Léon Ier affirma qu’il était juste et bon de faire mourir les hérétiques. Monstrueuse doctrine, que les canonistes et théologiens de Rome ont toujours approuvée, et qui fit d’innombrables victimes quand le clergé fut tout-puissant. Elle légitima les horreurs commises contre les Albigeois. « Tuez toujours, Dieu reconnaîtra les siens. » proclamait l’un des bourreaux ; et, durant une vingtaine d’années, de bons catholiques gagnèrent le paradis en détruisant des villes entières, en massacrant des milliers d’innocents. C’est encore au nom du principe énoncé par Léon Ier que furent allumés les bûchers de l’Inquisition ; que l’on remplit les geôles du Saint-Office ; que l’on sonna le tocsin de Saint-Germain-l’Auxerrois appelant les pieux catholiques au massacre de la Saint-Barthélemy ; que le duc d’Albe organisa des tueries dans les Pays-Bas, fidèle en cela aux directives de Philippe II, son maître, qui, apprenant qu’il y avait des hérétiques dans une vallée du Piémont, écrivait froidement : « Tous au gibet. » Nous pourrions remplir des pages et des pages avec la seule énumération des meurtres collectifs imputables au catholicisme. « Que nous importe de brûler cent innocents, pourvu qu’il y ait un seul coupable », disait le franciscain Conrad de Marbourg, persécuteur des Hussites.

Ce mépris de la vie humaine inspirera également l’Église dans sa conduite à l’égard des infidèles. Charlemagne ne laissa aux Saxons d’autre alternative que de recevoir le baptême ou de mourir ; en une seule fois, il en tua plus de 4.000. La conversion des Vendes, œuvre des ducs de Pologne, celle des Prussiens, due aux chevaliers Teutoniques, celle des habitants de la Lituanie, de la Livonie et de la Courlande, dont se glorifièrent les chevaliers Porte-Glaive, furent obtenues par des procédés de même ordre. Louis XIV ranimera les persécutions contre les Vaudois ; en guise de missionnaires, il enverra des soudards inhumains chez les protestants des Cévennes ; finalement, il révoquera l’Édit de Nantes, aux applaudissements de Bossuet et des autres évêques français. Voilà comment, en plein XVIIe siècle, les autorités catholiques procédaient encore pour obtenir la conversion des hérétiques !

Et les savants furent surveillés et condamnés sans ménagement. Témoin Galilée, contraint par les inquisiteurs de proclamer fausses les découvertes astronomiques auxquelles l’avaient conduit ses recherches et son génie. Au XIXe siècle, les théologiens, ne pouvant faire emprisonner les biologistes partisans des doctrines évolutionnistes, déverseront du moins sur eux des tombereaux d’injures. Délaissant un peu la lutte contre les hérétiques, avec qui elle parvient même à s’entendre, l’Église romaine tourne sa fureur, à l’heure actuelle, surtout contre les incroyants. En Espagne,

Ferrer fut sa victime ; en Amérique, Sacco et Vanzetti eurent pour bourreaux les puritains. Catholiques et protestants se réconcilient sur le dos des libres-penseurs, leurs adversaires communs.

Au besoin de dominer, à l’amour de la violence, le catholicisme joint un esprit autoritaire qui se manifeste par l’omnipotence pontificale et par le rôle essentiel que joue la hiérarchie ecclésiastique. L’organisation de l’Église fut simple, à l’origine. Des diacres et des diaconesses s’occupaient de tout ce qui concernait la charité ; par ailleurs, un évêque (du grec episcopos, surveillant) ou un prêtre (du grec presbuteros, plus âgé) présidaient les assemblées des fidèles. Ces derniers se réunissaient pour lire les livres saints et prier ; ils célébraient aussi des agapes ou repas d’amour. C’est à l’imitation de la hiérarchie en usage parmi les fonctionnaires de l’Empire que fut instaurée, ensuite, la hiérarchie ecclésiastique : dans l’ordre religieux, l’évêque devint l’équivalent du préfet.


Les évêques des grands centres possédaient une influence plus considérable ; mais la primauté de celui de Rome ne fut reconnue qu’après de longs siècles de résistance, grâce à la politique rusée de papes dépourvus de scrupule. « La primauté de saint Pierre sur l’Église universelle, écrit Turmel (sous le pseudonyme de Louis Coulange), a été inventée pour faire échec à l’accaparement de Paul par Marcion ; elle est le produit artificiel de la polémique antimarcionite. Elle a fait son entrée dans l’Évangile de Matthieu aux environs de 150, quelques années avant le Dialogue de Justin, qui la connaît. Telle est l’origine du premier fondement de la papauté. » Et le même auteur, dont on connaît la merveilleuse érudition, estime, comme beaucoup d’autres, que saint Pierre ne vint jamais à Rome : « Les prétendues attestations de la venue de saint Pierre à Rome sont dénuées de toute valeur historique. Cette venue n’est pas un fait, c’est une thèse destinée à neutraliser le culte dont était l’objet le tombeau de saint Paul situé, disait-on, sur la voie Appienne. Les absents ayant toujours tort, saint Pierre, chef de l’Église, aurait été fâcheusement handicapé par le tombeau de saint Paul s’il n’avait eu lui-même son tombeau à Rome et, par conséquent, s’il n’était venu dans la ville impériale. Aux environs de 150, on enseigna que saint Pierre était venu à Rome, et l’on montra son tombeau près d’un térébinthe, au pied de la colline du Vatican, à l’endroit où, en 64, la férocité de Néron s’était acharnée sur les chrétiens. Et l’on expliqua que le grand apôtre avait été l’une des victimes du monstre impérial. Vers le même temps, aux environs de 165, parurent des textes aux termes desquels les deux apôtres Pierre et Paul avaient fondé ensemble l’Église romaine et avaient remporté le même jour la palme du martyre. »

Le soi-disant hommage rendu par Irénée à la prééminence de l’évêque de Rome repose sur une faute commise par certains traducteurs et n’est qu’une illusion. Saint Cyprien, saint Basile, saint Jérôme, saint Augustin n’ont pas cru à la primauté du siège épiscopal romain ; et c’est en termes pleins de mépris qu’ils ont parlé, à plusieurs reprises, de ceux qui l’occupaient. Le pape Libère, devenu hérétique, condamna saint Athanase et se rangea du côté des ariens. C’est l’édit de Gratien, mettant les forces policières de l’empire au service de l’évêque de Rome, qui fonda la suprématie papale. Maintenu et appliqué par les successeurs de Gratien, cet édit, qui est de 378, obligea les évêques à se soumettre aux injonctions de quelqu’un qui, jusqu’alors, était, pour eux, non un chef, mais un collègue. Grâce à des prodiges de diplomatie et à d’adroites supercheries, en particulier à la publication des fausses décrétales, vers 850, le pape vit sa puissance croître progressivement dans le domaine spirituel.