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Esprit les phénomènes de glossolalie qui survenaient dans leurs assemblées ; dans les sectes protestantes où ils se renouvellent, on les suppose, même aujourd’hui, d’origine surnaturelle.

Fréquent à toutes les époques, le prophétisme est une forme bien étudiée de l’inspiration. Alors que le prêtre est surtout un administrateur traditionaliste et conservateur par fonction, le prophète se fie aux certitudes intuitives et se découvre fréquemment une mission réformatrice. Le premier redoute les impulsions nouvelles : il reste fidèle à la lettre du dogme et des textes sacrés, mais finalement il sombre dans une routine insipide et un formalisme mort. Animateur enthousiaste, ne craignant pas quelquefois les attitudes révolutionnaires, le second est victime d’une excitation maladive et de troubles psychosensoriels. Nous parlons de ceux qui furent sincères, négligeant ici les fourbes, plus nombreux qu’on ne le suppose. Du sorcier vulgaire, du passionné délirant au prophète qui arrive à personnifier un moment de l’évolution religieuse, il y a d’ailleurs des degrés nombreux ; mais, toujours, l’inspiré prend pour des suggestions divines les idées qui germent dans son cerveau ; et des crises périodiques ou des excentricités, qu’on ne pardonnerait pas à un autre, témoignent de l’état anormal de son système nerveux. Mahomet, saint Paul étaient sujets à des crises d’épilepsie ; on raconte qu’Isaïe se promenait nu dans les rues de Jérusalem, pour montrer à ses compatriotes qu’ils subiraient le même sort s’ils résistaient au roi d’Assur.

Héritière du légalisme et du pouvoir solidement hiérarchisé de l’empire romain, l’Église catholique étouffa de bonne heure le prophétisme au profit de l’omnipotence sacerdotale. Néanmoins, il faudra la prodigieuse adresse des papes pour empêcher que le doux illuminé François d’Assise ne rouvre l’ère de l’inspiration personnelle. Guignebert écrit : « L’esprit de la papauté, écrit Guignebert, n’avait alors rien d’idyllique ; organisée pour conduire les hommes, qu’ils le voulussent ou non, dans les voies du salut, forte de leur consentement ou de leur habitude, elle n’était disposée à tolérer aucune concurrence. On ne pouvait accuser François de mauvaise intention ; son humilité merveilleuse le gardait, non seulement de l’hérésie, mais encore du plus petit mouvement d’orgueil et d’indépendance ; il ne voyait pas lui-même le danger qu’il était ; si bien qu’il semblait impossible de l’arrêter brutalement, ou seulement d’opposer à son touchant effort un obstacle trop visible. La politique ecclésiastique, avec la complicité inconsciente de l’esprit public, fit mieux que de combattre le doux rêveur ; elle l’accabla de ses grâces et l’en paralysa ; puis, au propre, elle escamota son œuvre et la fit sienne, en la transformant jusqu’au bout. » François d’Assise fut réduit au rôle de supérieur de couvents ! D’une façon générale, le succès d’un prophète tient aux circonstances de temps et de milieu, beaucoup plus qu’à ses qualités individuelles.


L’étude impartiale des livres sacrés de tous les peuples démontre que les fondateurs des grandes religions commirent les erreurs scientifiques familières à leurs contemporains et conservèrent maints de leurs préjugés les plus absurdes. Il suffit de lire la Bible, l’Évangile, le Coran, le Zend-Avesta, les Védas avec les yeux de la raison, et non avec ceux de la foi, pour être certain que les inspirés d’en haut furent de pauvres hommes, faillibles et bornés, dont l’ignorance en matière d’astronomie, de physique, de médecine et même d’histoire était prodigieuse. Vu la période où ils vécurent, nous pourrions excuser bien des erreurs, s’il s’agissait de mortels ordinaires. Mais, lorsqu’il s’agit de dieu ou de ses messagers, nous sommes à bon droit choqués par les affirmations saugrenues qu’ils multiplient dans leurs discours.

En outre, l’histoire enseigne que, si l’on excepte Ma-

homet, pourtant déjà environné de bien des légendes, nous ne savons presque rien sur les fondateurs des grandes religions. À peine pouvons-nous connaître quelques traits exacts de la vie de Bouddha ; de Zoroastre, l’existence apparaît problématique ; et beaucoup font remarquer, non sans raison, que les récits fabuleux concernant Moïse et Jésus présentent un caractère mythique très prononcé. « Quand j’ai entendu parler, pour la première fois, écrit le professeur Alfaric, de gens qui soutenaient que Jésus n’a peut-être vécu que dans l’imagination des croyants, je n’ai vu là qu’une de ces extravagances auxquelles l’abus de la critique peut quelquefois conduire. L’idée me semblait floue. Quand je l’ai étudiée de plus près, je ne l’ai plus trouvée tellement absurde. J’ai dû convenir qu’elle offrait quelque apparence de vérité. J’en suis bientôt venu à reconnaître qu’elle pouvait se défendre. Puis il m’a semblé qu’elle offrait bien plus de vraisemblance que la thèse contraire. » Lorsqu’il descend sur la terre et suscite un prophète, dieu devrait laisser assez de preuves contrôlables d’un événement si merveilleux, pour que les chercheurs de bonne foi ne soient pas réduits, plus tard, à douter de la réalité de ce fait extraordinaire.

Et, dans la vie des inspirés modernes, mieux connus malgré les allures mystérieuses qu’ils affectent volontiers, on ne trouve rien qui légitime la confiance que des esprits faibles mirent en eux. Hélène Blavatsky, la fondatrice de la Société théosophique, et Mary Eddy, la fondatrice de la Christian Science, furent d’effrontées menteuses, qui ne manquèrent ni d’audace ni de persévérance, mais ne s’élevèrent pas au-dessus du niveau moral des simples charlatans. Mme de Krudener témoigna d’une sincérité plus grande ; le caractère enfantin des phénomènes qu’elle ressentait éclate, par contre, dès qu’on les examine sérieusement. C’est ainsi que les sensations pénibles qu’elle éprouvait, en s’éloignant d’une personne, étaient considérées par elle comme un ordre céleste d’aller la trouver.

Sous ses multiples formes : artistique, littéraire, scientifique, pratique, etc., l’inspiration est, d’ailleurs, un fait psychologique dont on précise bien le mécanisme. Lorsqu’elle s’exerce dans le domaine religieux, le sujet surajoute, sans aucun motif valable, la croyance à une intervention divine. Son caractère de brusquerie, de spontanéité, de force contraignante que les créateurs de belles œuvres et les inventeurs ont noté, explique cette illusion. « Pour peu qu’on ait gardé en soi la moindre parcelle de superstition, écrit Nietzche, on ne saurait en vérité se défendre de l’idée qu’on n’est que l’incarnation, le porte-voix, le médium de puissances supérieures. Le mot de révélation – entendu dans ce sens que tout à coup quelque chose se révèle à notre vue ou à notre ouïe, avec une indicible précision, une ineffable délicatesse, quelque chose qui nous ébranle, nous bouleverse jusqu’au plus intime de notre être – est l’expression de l’exacte réalité… Telle est mon expérience de l’inspiration. » Histoire et psychologie ont ruiné définitivement la doctrine théologique de la révélation.

Dans l’ensemble, nos contemporains n’admettent pas davantage l’explication que Voltaire a donnée de l’origine des religions. Inventions de prêtres imposteurs, croyances et pratiques cultuelles leur permirent de dominer les peuples ignorants. « Qui fut celui qui inventa l’art de la divination ? Ce fut le premier fripon qui rencontra un imbécile. » Et l’on rappelle souvent, pour les désapprouver, ces vers placés par Voltaire dans la bouche de Mahomet :

« Je viens mettre à profit les erreurs de la terre…
Il faut un nouveau culte, il faut de nouveaux fers.
Il faut un nouveau dieu pour l’aveugle univers. »

Sans parler des croyants, qui prétendent que la reli-