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REL
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nées et torturées. Dans les affres de la torture, on leur faisait avouer tout ce qu’on voulait ; on leur imputait la mort de gens décédés naturellement de maladies. Parfaitement innocentes, ces femmes et des hommes aussi, car il y avait des sorciers, étaient voués à une mort violente et cruelle.

Lorsque l’on reproche aux catholiques les crimes de l’Inquisition, ils s’en défendent en alléguant les mœurs violentes du temps. Le rôle de la religion avec ses préceptes de bonté et de douceur n’était-il pas de s’élever contre toute violence. Loin de le faire, elle exerçait elle-même la terreur, contredisant ainsi formellement sa doctrine.

De même que le pape se considère comme le maître du monde chrétien, le curé de campagne se considère comme le chef du village. Non content de dire ses offices, de confesser et de prier, il veut diriger la vie des habitants. Il entre dans les maisons, s’informe, donne des conseils qui sont parfois des ordres. Si une personne a mal agi à ses yeux, il expose le fait dans son prône du dimanche ; l’inculpé est voué au scandale public, et, pour ne pas être boycotté, il doit se soumettre à la volonté du prêtre. Encore aujourd’hui, la religion, reléguée dans son domaine à la ville, est toute-puissante au village. Aux grandes fêtes, la procession parcourt les rues : malheur à qui ne la suit pas ; celui qui oserait ne pas se découvrir ou s’incliner devant elle encourrait les sévices des processionnaires.

Le curé est plus instruit que ses paroissiens, et cela semblerait justifier son pouvoir. Mais sa culture toute spéciale, et en dehors des exigences de la vie moderne, fait que, loin de servir le progrès, il lui est, au contraire, un obstacle. Le curé ne donne aucun conseil d’hygiène ; là où il domine depuis des siècles, on croupit dans le purin et l’ordure. Loin de combattre la malpropreté, il la favorise, parce qu’elle est conforme à la tradition. Laver les rues, c’est déjà s’affranchir, et le prêtre ne veut pas que le villageois s’affranchisse.

Là où l’on parle patois, le curé s’oppose à la diffusion du français. « Parle la langue de ta mère ! », disait un curé de Bretagne à une paysanne qui se confessait en français.

En face du curé, la République a placé l’instituteur laïc ; c’est quelque chose, mais c’est peu. Le curé dirige ses paroissiens durant toute leur vie ; le pouvoir de l’instituteur est borné à l’enfance. Il n’ose pas entrer en conflit avec le curé ; pauvre petit fonctionnaire ; il sait que l’administration le soutiendra mal et qu’en fin de compte, c’est lui qui devra céder.

L’école n’est pas une force suffisante de progrès. Dans chaque bourg, il faudrait créer un établissement qui serait à la fois université populaire, salle de fêtes et petit hôpital. Là, deux ou trois fonctionnaires, pourvus de culture intellectuelle supérieure, seraient chargés d’aiguiller la vie locale dans les voies du progrès. Un service d’hygiène publique entretiendrait la propreté des rues. Un massif de fleurs ornerait la place des villages, avec quelques bancs autour pour permettre de se reposer en les regardant ; les fleurs affinent l’esprit. Des fêtes, des concerts fréquents attireraient la population ; des conférences théoriques et pratiques, le cinéma élèveraient son niveau intellectuel.

La religion est une entrave ; elle empêche le développement de la vie ; il faut la supprimer.

Les juifs pratiquants ont tous les instants de leur vie jugulés par la religion. Ils ne peuvent manger de viande que si l’animal a été tué de façon rituelle (kascher) ; le samedi, défense de toucher à rien, on ne peut même pas allumer une lampe, prendre un omnibus. Le baptême juif est une opération chirurgicale barbare, qui n’a aucune raison d’être. Parmi toutes les pratiques du judaïsme, certaines sont des mesures d’hygiène qui avaient leur utilité autrefois ; mais aujourd’hui, l’hygiène se fait autrement et beaucoup mieux.

Les juifs, cependant, tiennent à leur religion ; des hommes cultivés, savants, écrivains, etc., ne manqueront pas de faire circoncire leur fils sous prétexte que leurs ancêtres ont été persécutés jadis, qu’ils le sont encore dans certains pays et qu’on ne doit pas trahir les siens.

Tout cela est dénué de sens ; ce n’est pas parce qu’on se coupe un morceau de peau qu’on est solidaire avec certaines gens ; on peut parfaitement pratiquer la solidarité sans se rien couper. La circoncision pouvait avoir sa raison au temps où on ne se lavait pas ; aujourd’hui, elle n’en a aucune, et ce n’est, au fond, qu’un sacrifice humain atténué ; on se mutile pour plaire à Dieu.

Les services que rend la religion peuvent être rendus sans elle. Elle n’est qu’un ensemble de cérémonies qui marquent les époques de l’année et les dates de la vie. Noël fête l’hiver ; Pâques n’est que la résurrection du printemps. L’Église fête la naissance par le baptême, la nubilité par la première communion, le mariage, la mort.

L’humanité peut vivre sans fêtes ; mais les fêtes embellissent la vie. Tous les jours ne doivent pas se ressembler ; il faut créer, de temps à autre, des diversions qui stimulent l’esprit.

Mais les fêtes peuvent se libérer des pratiques religieuses et être très belles. On peut fêter les saisons, les âges de la vie, commémorer les grands hommes.

Pourquoi ne pas faire des cortèges d’enfants vêtus de blanc pour fêter la douzième année ? Au lieu de leur raconter une histoire baroque d’union avec le Christ par l’ingestion d’une rondelle de pain, on leur ferait une conférence sur la douzième année, l’enfance qui finit, les devoirs de la jeunesse qui va s’ouvrir. Une telle fête frapperait l’imagination des adolescents ; au lieu que de la première communion ils ne retiennent guère que l’habit neuf (surtout la robe blanche pour les petites filles), et ils s’empressent d’oublier toutes les calembredaines dont on les a saturés à cette occasion.

La commémoration des grands hommes serait d’un grand effet moral. Pourquoi des cortèges avec des fleurs, des enfants parés d’habits de fête ne parcourraient-ils pas les rues à cette occasion ? On porterait en procession le buste du savant, de l’homme d’État, etc., héros de la cérémonie ; cela vaudrait mieux que de promener la statue d’une vierge qui n’a peut-être jamais existé. Dans une allocution, on retracerait la vie du grand homme, les efforts qu’il a fait pour acquérir la valeur qui l’a élevé au-dessus des hommes de sa génération. Son exemple montre jusqu’où l’esprit humain peut atteindre ; et, à l’occasion de sa fête, nombre de jeunes gens se promettent de lui ressembler.

Si les catholiques décrient les fêtes laïques, c’est par esprit de rivalité jalouse. Une fête laïque n’est pas plus grossière qu’une fête religieuse ; on n’a pas besoin d’y mettre de beuveries.

Les pardons bretons, d’ailleurs, pour leurs ivrogneries, surpassent de beaucoup nos quatorze juillet.

La grande révolution a établi des fêtes laïques, dont la réaction a naturellement dit beaucoup de mal. Beaucoup de ces fêtes étaient, en réalité, très belles et très dignes ; le seul tort de Robespierre a été d’y conserver l’Être suprême : vestige du passé.

L’innovation n’a pas duré parce que la Révolution elle-même a été vaincue ; et la réaction triomphante n’a rien eu de plus pressé que de rétablir les vieilles croyances, afin de replonger, au profit d’une minorité de privilégiés, les masses dans l’ignorance et la servitude.

Beaucoup de personnes qui ont rejeté les religions officielles en embrassent de nouvelles. Parmi les nouvelles religions, celle qui réunit le plus d’adeptes est la théosophie. C’est une religion supérieure. Ses temples, débarrassés de tout ornement, ne sont que de simples salles de conférences. En outre, la théosophie, contrairement aux religions officielles, admet les sciences et le progrès. Mais elle admet l’existence du corps astral qui