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REL
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Dieu pour complice de son égoïsme et ce sont naturellement les puissants qui réussissent à l’avoir avec eux. Dieu ordonne d’obéir au roi et aux grands, Dieu ordonne à la femme d’obéir à l’homme. Revenant sur sa défense de l’homicide, Dieu ordonne de faire la guerre et de tuer, pour accroître la puissance d’un monarque.

Les religions reflètent les mœurs du temps et du lieu où elles se développent. Il n’en saurait être autrement car leurs fondateurs, alors même qu’ils innovent en quelque matière, restent pour l’ensemble de leur personnalité le produit de la société où ils vivent. L’islamisme, religion sensuelle, avec son paradis plein de houris dont la virginité renaît éternellement pour le plaisir du sexe mâle, convient bien à l’Oriental. Le catholicisme, avec ses statues, ses images, ses saints nombreux spécialisés dans leurs interventions, avec ses cérémonies pompeuses, convient aux peuples latins. Le protestantisme, plus froid, plus philosophique, convient aux peuples du Nord.

La religion console de la mort dans une certaine mesure. L’inquiétude humaine, au nom de laquelle le père Samson voudrait nous ramener au catholicisme, est une réalité. Tout ce que les hommes ont pu faire contre la mort, c’est de n’y pas penser, a dit Pascal. C’est ce que font, heureusement pour eux, la généralité des hommes ; seuls, les malades et les vieillards pensent à la mort.

Pour que la religion réussisse à vaincre la crainte de la mort, il faut que la foi soit très grande. Sainte Thérèse désirait la mort : « Je me meurs de ne point mourir. » Mais rares sont les personnes susceptibles d’une telle foi ; il faut une mentalité spéciale, qui est très rare et même anormale. Celui qui croit avec une telle force n’a pas autre chose à faire qu’à s’enfermer dans un cloître et à y attendre, dans la prière et les macérations, que la mort vienne enfin le délivrer de la prison terrestre.

Si une telle conception devenait générale, c’est la civilisation entière qui sombrerait. À quoi bon le progrès si la vie n’a aucune importance ; à quoi bon la science ; tout ce qui est terrestre n’est-il pas entaché d’erreur ? Et ainsi pensait le Moyen Âge ; ses érudits, au lieu d’observer la nature, se plongeaient, leur vie entière, dans la lecture des livres saints ; et la civilisation progressa très peu. Le progrès ne se déclencha subitement qu’au XVIIIe siècle, lorsque les esprits commencèrent à s’affranchir de la religion.

Si la religion ne détruit pas complètement la vie, c’est parce que la majorité n’y croit pas sérieusement. La vie est la plus forte, et la religion est reléguée à ses heures et à sa place ; elle ne réussit qu’à la condition de ne demander qu’une petite partie de l’existence. Le pénitent, après l’absolution, recommence son péché, et la confession n’est qu’une manière de blanchissage périodique. S’il croyait vraiment, il ne pécherait plus ; de même qu’il se garde de sauter dans un fleuve, de se laisser choir d’un lieu élevé, de même il se garderait du péché mortel, bien autrement dangereux que l’accident terrestre.

Le Moyen Âge croyait cependant. Jeanne d’Arc entendait des voix ; nombre de gens voyaient le diable dont ils avaient peur. Mais la religion n’était guère plus qu’une doctrine dont on prend et on laisse, suivant les nécessités de l’existence.

Réduite à ces proportions modestes, la religion réussit à atténuer un peu la crainte de la mort. La mort est loin, pour la plupart des hommes ; du moins, ils la croient telle et n’y pensent pas. La croyance en une vie future vient encore en atténuer le souci ; le croyant se dit que la mort n’est qu’un passage à une autre vie et que Dieu, qui est très bon, ne manquera pas de lui pardonner ses fautes.

Si la mort est proche, la religion perd de son pou-

voir. La réalité, c’est-à-dire la vie qui nous quitte, s’impose avec toute sa force ; le croyant tremble comme l’incrédule ; et les consolations religieuses, tout à fait hors de proportions avec le danger, sont comme un cataplasme sur un cancer.

On vante volontiers l’influence de la religion sur la morale. Des gens vous assurent que, s’ils venaient à perdre la foi, ils se feraient immédiatement voleurs et assassins pour pouvoir jouir le plus possible de cette vie éphémère. Ce sont là paroles en l’air. N’est pas voleur et assassin qui veut ; il y a les circonstances. Celui qui est dans la société à une place stable, qui se crée une vie aisée, même en travaillant, n’a nulle envie de se mettre hors la loi en vue de l’acquisition plus que problématique de la grande fortune. C’est la société et non la morale, même basée sur la religion, qui organise la sécurité.

Au Moyen Âge, où la foi était reine, la religion n’empêchait pas la criminalité ; elle ne réussissait que dans une mesure très limitée à atténuer la violence des mœurs. Les criminels eux-mêmes croyaient ; ils allaient se confesser, et cela ne les empêchait pas de recommencer. En Italie, le bandit priait Dieu de lui faire réussir ses coups ; la prostituée suppliait la Vierge de lui envoyer beaucoup de clients.

Toutes les religions prêchent la bonté ; et, cependant, les gens religieux, loin d’être meilleurs, sont souvent pires que les athées. Le haut clergé est agité d’ambitions au même titre que les hommes politiques qui n’ont aucune croyance. Les gens dévots, loin d’appliquer les préceptes de douceur enseignés par le Christ, sont, en général, très méchants. Les habitués des églises ne se gênent pas pour médire, calomnier, nuire de toute manière au prochain, même croyant.

« Tant de fiel peut-il entrer dans l’âme des dévots ? »

Nombre de dévots sont avares, affreusement égoïstes : tous sont hypocrites, et on peut dire que les religions ont pour principal effet, non de rendre les gens meilleurs, mais d’en faire des hypocrites. L’incroyant est franchement égoïste ; le croyant se croit obligé, pour masquer son égoïsme, de ruser avec sa foi.

La religion a fait peu de bien et, en revanche, elle a fait, et fait encore, beaucoup de mal. On ne peut pas dire que le christianisme a apporté la civilisation. La civilisation gréco-romaine était beaucoup plus avancée que le féodalisme du Moyen Âge. La preuve en est que c’est dans les écrits des Grecs et des Latins que les savants du Moyen Âge puisaient leurs connaissances. En Russie, la religion orthodoxe a dominé exclusivement pendant deux mille ans, et le moujik est resté à demi sauvage, illettré, effroyablement ivrogne.

Lorsqu’une religion est puissante, son clergé, non content de rester dans son domaine spirituel, prétend au rôle de chef des peuples. Il veut imposer sa conception de la vie et, au besoin, l’imposer par la force. Le pape, au Moyen Âge, disputait à l’empereur la toute-puissance temporelle. Le bras séculier, c’est-à-dire les forces coercitives de l’État, servait à l’Église pour punir de prison et de mort les non conformistes.

La philosophie était considérée comme la servante de la théologie (ancilla theologiae), disait orgueilleusement un père de l’Église. L’esprit humain avait une entrave ; lorsque l’on émettait une théorie, il fallait se demander, non pas si elle pouvait être vraie, mais si elle ne contredisait pas le dogme. L’auteur, assez audacieux pour contredire le dogme, voyait ses ouvrages brûlés solennellement en place publique par la main du bourreau ; on confisquait ses biens ; on le mettait en prison ; parfois, on le brûlait lui-même avec ses livres.

Les demi-folles coupables de sorcellerie, qui allaient, en rêve sans doute, au sabbat, à cheval sur un balai pour embrasser le diable au derrière, étaient emprison-