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ses nouveaux comme par ses anciens maîtres ; son sort resta misérable, que l’empire succédât à la monarchie ou la république à l’empire. Toujours les aristocraties se montrent expertes dans l’art de canaliser à leur profit les mouvements révolutionnaires : les traditions païennes des nobles romains corrompirent, jusqu’à la moelle, le christianisme vainqueur, et nos modernes démocraties sont déjà confisquées par une nouvelle féodalité financière. Stratèges de l’intrigue et magiciens du verbe adaptent leur phraséologie au goût de l’heure ; avant la lutte, ils flattent les pires instincts populaires et leur main s’ouvre, prodigue de promesses insensées. Le triomphe assuré, les chefs pourvus, personne n’accepte de solder le troupier meurtri. » Le Règne de l’Envie. On peut assurer qu’à l’heure actuelle, en France, nous sommes en pleine régression. Prêtres, généraux, capitalistes manœuvrent à leur guise parlementaires et ministres, qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre. De plus, journaux, revues, hebdomadaires, toute notre grande presse n’est qu’un vaste étouffoir, une vaste entreprise de mensonge. Il est presque impossible d’atteindre le peuple et de lui dire la vérité.

Dans l’ensemble du monde contemporain, l’idéal libertaire subit, d’ailleurs, une éclipse fâcheuse. Partout, on prône les dictatures et les gouvernements forts ; communistes et socialistes autoritaires sont d’accord sur ce point avec les hitlériens et les fascistes. On fait de l’obéissance aux ordres des chefs le premier devoir du citoyen. Et l’on affecte de croire que l’anarchie c’est l’incohérence et le chaos ; même dans les milieux les plus avancés, ces idées sont courantes. Aussi nos contemporains se détournent-ils de doctrines qu’ils supposent purement négatives et incapables de fournir une base constructive sérieuse. Pourtant L. Barbedette a montré que la liberté la plus complète n’implique nullement l’incohérence et l’absence d’organisation, et que la raison vaut mieux que la contrainte pour engendrer l’harmonie. La science véritable exclut rigoureusement toute intrusion du principe d’autorité ; elle ne se soumet qu’à l’expérience et à la raison. Néanmoins, elle s’avère féconde en résultats pratiques et en conséquences heureuses lorsqu’elle est bien dirigée. Des œuvres merveilleuses seront possibles quand l’amour se surajoutera à la liberté. Notre idéal peut subir une régression passagère ; finalement, il s’imposera parce qu’il répond à d’indestructibles besoins du cœur et de l’esprit.


RELATIVITÉ, RELATIF subst. et adj. Chasser l’idée d’absolu, si chère à la pensée théologique et métaphysique, pour lui substituer celle de relativité, voilà un travail urgent pour le philosophe et le savant contemporain. L’absolu désigne ce qui est en soi et par soi, ce qui se suffit pleinement. Le relatif, au contraire, ne peut se suffire à lui-même, qu’il s’agisse d’existence ou d’intelligibilité ; il a besoin de réalités étrangères à lui, distinctes de lui, mais avec lesquelles il supporte des rapports. Centrale dans les systèmes de Platon et d’Aristote, la notion d’absolu était déjà combattue, chez les Grecs, par Protagoras : « L’homme, déclarait-il, est la mesure des choses, de ce qu’elles sont, dans la mesure où elles sont, de ce qu’elles ne sont pas, dans la limite où elles ne sont pas. » Les pyrrhoniens s’inspirèrent également de cette idée. Au XIXe siècle, Hamilton devait adresser des critiques fameuses au concept d’absolu. Penser, déclarait-il, c’est conditionner, puisque toute pensée établit une relation ; la loi de relativité constitue l’ossature de l’intelligence. Penser l’absolu s’avère donc impossible, car ce serait conditionner l’inconditionnel et rendre relatif ce prétendu absolu. Mais c’est Kant qui, précédemment, avait donné des bases solides et durables à l’idée de relativité. Pour lui, toute connaissance est relative parce qu’elle dépend des lois de

l’esprit qui l’organise. « On avait admis jusqu’ici, dit-il, que toutes nos connaissances devaient se régler sur les objets ; que l’on cherche une fois si nous ne serions pas plus heureux, en supposant que les objets se règlent sur nos connaissances. » À l’inverse des dogmatiques, qui cherchent dans des réalités extérieures la raison des lois de la pensée, il trouve dans la pensée l’explication des lois qui régissent le réel. Nous ne reviendrons pas sur ce système exposé précédemment. (Voir article Kant.)

Disons néanmoins que, transposant le subjectivisme du plan psychologique dans le plan physiologique, biologistes et physiciens ont démontré que les sensations en quoi se résout notre perception du monde extérieur, comme aussi les sensations internes, sont relatives à la constitution de notre organisme. Si nos yeux, nos oreilles étaient constitués différemment, les données visuelles et auditives perçues par nous seraient autres que celles que nous percevons. Lentement, la notion de relativité a pénétré dans toutes les branches du savoir humain ; et partout elle s’est révélée féconde en résultats heureux. En mathématiques, en physique, elle a servi de point de départ à des travaux du plus haut intérêt. Einstein s’est appliqué à étendre à la physique le principe de relativité déjà admis en mécanique. De ce qu’aucune expérience ne saurait déceler le mouvement de translation uniforme d’un système, il a conclu, dans la doctrine de relativité restreinte, que les lois des phénomènes physiques demeurent les mêmes pour différents groupes d’observateurs, en mouvement de translation uniforme les uns par rapport aux autres ; dans sa doctrine de relativité généralisée, il a étendu ce principe aux mouvements accélérés et à la gravitation. (Pour l’exposé des idées d’Einstein, voir l’article Mouvement.)

Et la notion de relativité, si féconde dans l’ordre scientifique, suffit encore, pense L. Barbedette, à expliquer une foule de phénomènes moraux, sans cela incompréhensibles. En éthique, elle doit nous guider constamment et rend parfaitement intelligibles des concepts aussi obscurs que ceux de la liberté et du bonheur. « Toujours, la causalité intellectuelle provoque le sentiment de liberté, comme, dans le monde extérieur, les ondes sonores engendrent des sensations auditives, les vibrations lumineuses des impressions colorées… Pas plus que ne sont mensongères les sensations provoquées par les objets extérieurs, le sentiment de liberté n’est illusoire ; il a, comme elles, une valeur symbolique et relative. Pour le mieux comprendre, il faut pousser plus loin, jusqu’à sa cause productrice, l’activité volontaire. Ce n’est point en dissertant sur les nuances qualitatives du rouge ou du bleu que le physicien arrive à les expliquer ; il les rattache à des vibrations quantitatives qui les engendrent sans leur ressembler. Comme les couleurs dépendent et du nerf optique et de l’excitant lumineux, la liberté, subjective apparence, s’avère un compromis entre le conscient et l’inconscient. » Vouloir et Destin. La liberté n’implique donc pas commencement absolu, pouvoir créateur de la volonté, comme le supposent les partisans du libre arbitre, mais elle répond à ce fait qu’en pratique l’homme parvient à modifier la trame des causes et des effets, dont le déroulement constitue et sa propre vie et le devenir de l’univers qui l’environne.

Le bonheur n’a rien d’absolu, lui non plus, il dépend de conditions multiples et variables. « Source d’erreurs innombrables, prêtant, à tout, une nuance ou des formes illusoires, le prisme métaphysique et social fige en un bonheur abstrait nos joies fugitives et changeantes, il schématise et appauvrit nos plaisirs hétérogènes et multiformes. Pour un chimérique espoir, fruit de rêveries collectives, nous dédaignons les bonheurs passagers qui s’offrent ; pour une déesse inexistante, nous effeuillons les pétales des plus divines fleurs. Pourtant