Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REG
2309

garottent. S’en tenir à des querelles de clocher, s’imposer des œillères, réduire son horizon à l’étendue d’un arrondissement sans s’inquiéter des grands problèmes humains, voilà l’aboutissant d’un régionalisme trop rétréci. Pourtant si Paris rayonne d’une vie sans cesse rajeunie, c’est parce qu’ouvert aux courants universels de la pensée. Son cosmopolitisme reste, avec l’amour de la nouveauté, l’un des éléments qui assurent son règne. Mais, s’il est vrai qu’il faut lutter contre un défaut en cultivant la vertu contraire, c’est son particularisme outrancier que ferait bien de vaincre la province, en devenant accueillante à tout progrès. Eveiller bourgs et campagnes à la vie de l’esprit, élever progressivement leur niveau intellectuel vaudrait mieux qu’accabler la Ville Lumière d’impuissantes malédictions.

Reconnaissons toutefois que les régionalistes voient se dresser contre eux le formidable appareil d’un gouvernement follement centralisateur. Dans les administrations, passer d’une ville plus petite dans une plus grande, pour aboutir à la capitale, voilà l’unique mode d’avancement. Aux Parisiens sont réservés les grasses prébendes et les suprêmes honneurs. Périodiquement, l’on écrème le reste du pays de ses éléments les meilleurs ou les plus remuants ; et, du même coup, l’on jette la défiance sur les hommes de talent qui se refusent à émigrer sur les bords de la Seine. Moyen commode de rendre les échines souples et de semer la division. Dans ce piège, le provincial donne tête basse, car, malgré son dépit fréquent, il vénère le Parisien à l’égal d’un dieu. Persuadez ce naïf qu’on peut être un sot et habiter la capitale ! À son avis, vos beaux discours prouveront que vous êtes un jaloux ou bien une tête sans cervelle. Et il admettra malaisément qu’on puisse avoir de l’esprit loin de Montmartre ou du quartier Latin. L’habitat, chez nous, en impose non moins que le diplôme ; on juge l’homme simplement d’après son plumage. « Il est des Vosges ! », redit l’écho des boutiques à papier de la Saintonge comme de la Seine, lorsqu’y parvient ma prose. Et l’on ne se gêne pas avec ce rustre des montagnes. Peut-être même la presse régionale est-elle pire, pour l’écrivain provincial, que celle de Paris. Et, s’il émerge malgré tout, quelle jalousie chez les muses départementales, quel dédain chez les notables, quels savants coups d’épingle de la part d’autorités qui toisent de haut cet administré gênant ! Et qu’il ne se rabatte pas sur les académies locales, vénérables ossuaires où des réactionnaires chenus se passionnent pour les morts, mais se désintéressent des vivants ! On s’y fige dans l’admiration du site ou des traditions provinciales ; arrière tout ce qui ne possède point la patine du temps !

La province fut toujours une pépinière d’écrivains célèbres. Elle les forma souvent, mais ne les garda presque jamais. À l’âge adulte, et sentant croître leurs ailes, ses fils ingrats la quittèrent pour le doux climat de Paris. Quoi d’étonnant, diront certains. Pour un auteur, quel silence s’il s’édite à Paimpol, quel tintamarre s’il se vend à Paris ! La capitale s’est réservée, chez nous, le monopole du bruit comme du pouvoir. Qui dira les tribulations du malheureux écrivain fidèle à son pays ? Et quel scandale, quelles clameurs s’il s’avise d’être audacieux ou véridique ! Ce que l’on approuve chez un Parisien devient inadmissible chez un provincial. Et l’on s’étonne que les écrivains quittent la province ! Rendons-là habitable pour qu’y puissent demeurer les artisans de la pensée. D’abord, il conviendrait d’assainir une atmosphère empoisonnée par la sottise, l’envie, la rancune et la médisance. De plus, que gagnerons-nous à substituer la toute-puissance de quelques grandes villes à celle de Paris ? Nous perdrons au change, s’il est vrai qu’un tyran éloigné vaut mieux qu’un tyran proche. Une fraternelle collaboration de tous les centres, étrangère à nos mesquines hiérarchies, et qui favorise l’ascension de tous

vers plus de bien-être matériel et de dignité morale, voilà le seul régionalisme que nous approuvions.

Depuis que les autonomistes alsaciens et bretons ont encouru les foudres de nos grands patriotes, le régionalisme, autrefois fort à la mode, est devenu suspect à beaucoup. Pour moi, si je me suis intéressé à la vie provinciale, c’est dans l’espoir d’ébranler un peu la tyrannie étatiste et de contribuer à la libération intellectuelle des pauvres gens qui m’entouraient. Ayant vécu longtemps à Paris, je ne me range point parmi ses détracteurs. Partout, il est en but à la malveillance des autorités, celui qui veut rester indépendant ; et, partout, il rencontre des frères qui ont besoin d’être aidés. — L. Barbedette.


RÉGRESSION n. f. (du radical regredior, rétrograder). En langage biologique et pathologique, la régression désigne le retour partiel ou total de l’organisme à une phase de son existence antérieure. En sciences naturelles, les observateurs s’attachent même particulièrement à l’étude des faits de ce genre qui s’avèrent d’une grande importance pour la bonne compréhension des doctrines évolutionnistes. Lamarck, qui lui attribue un rôle capital, l’explique, d’une façon générale, par le non-usage des organes. « Le défaut d’emploi d’un organe, écrit-il, devenu constant par les habitudes qu’on a prises, appauvrit graduellement cet organe et finit par le faire disparaître et même l’anéantir. » À l’inverse « l’emploi fréquent d’un organe augmente les facultés de cet organe, le développe lui-même et lui fait acquérir des dimensions et une force d’action qu’il na point dans les animaux qui l’exercent moins. » Dans l’ordre psychologique, le phénomène de régression s’observe aussi couramment. Alors que la répétition rend les habitudes mentales de plus en plus fortes, l’absence prolongée de satisfaction, le manque d’activité peuvent déterminer une régression très marquée des habitudes et même provoquer leur disparition totale. Celui qui n’exerce jamais son jugement, sa mémoire, son attention est finalement victime d’une obnubilation intellectuelle qui peut le conduire à un complet abrutissement. Celui qui ne s’habitue pas à rester ferme dans ses décisions devient, à la longue, incapable de vouloir, d’une façon sérieuse et durable. Quand il s’agit des maladies mentales, les phénomènes de régression acquièrent une signification particulièrement importante ; ce sont, pour l’aliéniste, des indices capables de l’éclairer sur la marche des troubles qui suivront.

En elle-même, la régression n’est ni bonne ni mauvaise ; elle le devient seulement en fonction des conséquences qu’elle provoque, du terme où elle aboutit. La disparition d’une mauvaise habitude est excellente ; l’affaiblissement de l’attention ou de la mémoire est, par contre, indésirable. Lorsqu’on parle de régression dans l’ordre biologique ou mental, il importe donc de préciser. Même dans l’ordre social, il existe des régressions heureuses ; la disparition progressive de l’alcoolisme serait à ranger dans cette catégorie. Néanmoins, le mot régression possède généralement un sens péjoratif dans le domaine politique ou économique ; il désigne un retour à des formes d’existence inférieures et pénibles ; il est synonyme de déchéance. De ces retours vers un passé néfaste, l’histoire nous offre de nombreux exemples ; les périodes régressives arrivent même fréquemment à la suite des mouvements révolutionnaires. « Rarement ceux qui profitent des révolutions sont ceux qui les font. En 1793, le peuple tira les marrons du feu et la bourgeoisie les croqua ; les barricades de 1830 favorisèrent surtout Louis-Philippe ; celles de 1848 Napoléon III. Des troubles suscités par des besoins profonds n’aboutirent qu’au changement de l’équipe gouvernementale ; l’argent prima l’hérédité, désormais la fortune, plus que la noblesse, permit l’accès du pouvoir. Mais le travailleur fut grugé par