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sol soit étatisé, nationalisé ou individuellement ou collectivement approprié – à remplacer les impôts, tous les impôts, par un impôt sur le sol nu, que Toubeau et Simon (voir la Répartition métrique des impôts et la Cité chinoise), ainsi que le Congrès international pour la réforme agraire (10-11 juin 1889), auquel participèrent Basly, Antide Boyer, Camélinat, Cipriani, Daumas, Hovelacque, Longuet, Benoît Malon, Millerand, Navarre, Élie Reclus, Henry George et Toubeau, ont appelé l’Impôt-Loyer.

Cette thèse a été soutenue aussi par Fels et Georges Darien dans la Revue de l’Impôt unique. Toubeau estimait alors que, moyennant la modique cotisation (sous forme d’impôt) de 25 francs par hectare, la France pouvait abolir les octrois, les droits sur les boissons et sur le sucre, la contribution personnelle et mobilière, celle des portes et fenêtres, l’impôt foncier. Il ajoutait, contre l’immense majorité des législateurs : « Les grands domaines improductifs sont exempts d’impôt sous le vain prétexte qu’ils n’ont pas de valeur, et ils ne restent improductifs que parce qu’ils ne payent pas d’impôts. »

Sa thèse de l’impôt métrique était quelque peu simpliste. Elle a été, par certains côtés, améliorée par l’impôt sur la valeur du sol nu, à laquelle Toubeau s’est rallié.

Dès lors, si le principe de l’impôt loyer est admis (et de l’impôt loyer sur le sol nu se substituant à tous les autres impôts), la voie est ouverte pour une action féconde et synthétique. Les partisans de la réforme foncière peuvent collaborer utilement, quelles que soient leurs tendances concernant l’appropriation du sol. Dans son livre excellent, Le Grand Malaise (5 francs chez Sam Meyer, 18, avenue de la Criolla, à Suresnes), Paul Laffitte a, certes, préconisé la transformation de la propriété perpétuelle en concession viagère, avec prolongation de 50 ans après la mort du propriétaire ; mais il n’est point adversaire de l’impôt loyer. Étudiant le programme de Colins (dans la Terre, n° 5, 1927), tout en conservant ses idées de nationalisation du sol, Soubeyran affirmait, surtout dans les pays neufs, les avantages de l’impôt loyer, cher, d’ailleurs, à Rivadavia. Les georgistes ont reproché à l’impôt loyer de Colins et de Rivadavia de reposer sur les baux emphytéotiques (de 18 à 99 ans). Avec ces baux de très longue durée, la collectivité était privée d’une bonne partie de la rente foncière, notamment dans une société progressive ; mais ce ne sont là que d’insignifiantes nuances. La théorie georgiste est certainement la bonne.

Les Georgistes reprochent aussi à Gossen et Walras d’avoir prévu une intervention abusive de l’État que, dans leur pensée, ces réformateurs subissaient. Mais, à l’époque où ils vivaient, on ne connaissait pas encore les instituts ou offices autonomes dans lesquels l’État, les départements et les communes collaborent, ou peuvent collaborer avec les collectivités et les individus (les usagers). Et ce ne sont pas des collaborations théoriques. La responsabilité des usagers est effective, monnayée. L’action de ces instituts, ou offices, ou caisses (voir Caisse nationale de crédit agricole) repose sur un louable régime fédéraliste et décentralisateur, qui n’a pas les fâcheux inconvénients de l’administration étatique – laquelle est le plus souvent centralisée, actuellement – et le fait de fonctionnaires irresponsables.

Mais, en supposant la nationalisation du sol réalisée par la volonté des électeurs, ne peut-on concevoir que les fonds ad hoc soient attribués à l’office (ou à l’institut national ou à la caisse nationale) du sol et de ses améliorations qui, à son tour, louerait le sol et ses améliorations à des offices départementaux, lesquels loueraient les superficies et les richesses, à eux attribuées, à des particuliers ou à des collectivités constituant des offices communaux ? Et si nous n’allons pas jusqu’à la nationalisation du sol, ce régime ne serait-il pas appli-

qué utilement aux grandes superficies du sol, actuellement national ou communal, qui, à aucun prix, ne devraient être aliénées ? En tout cas, il existe encore dans les colonies ou pays de protectorat d’énormes espaces qui sont encore propriété collective à ne pas aliéner aussi.

Terre et Liberté (mars-avril 1932) a cité le cas d’un terrain de 700 hectares de terrains dunaires que Napoléon Ier avait donné à un de ses généraux. Ce dernier le vendit pour 12.000 francs (17 francs l’hectare) à un certain M. Bortier. Aujourd’hui, ce terrain est évalué à une trentaine de millions. Arthur Wauters a rappelé, dans sa Réforme agraire en Europe, le cas d’un terrain qui, acheté en 1921 7.500 francs, à Elisabethville, par un fonctionnaire, a été revendu par lui 750.000 francs.

Walras a insisté légitimement sur la plus-value énorme qu’une administration progressive (instituts autonomes et responsables) pourrait apporter aux terres et terrains dont elle aurait la gestion, et qui enrichirait la collectivité, au lieu de profiter à des propriétaires absentéistes ou/et paresseux. Nous avons fait (dans la Terre d’avril-mai-juin 1928) une suggestion d’office autonome à propos des terres libres du Maroc, et M. Pacquier-Bronde, adjoint au maire d’Alger, a exposé dans la même revue (numéro de juillet-août-septembre 1928) un plan de colonisation nouvelle s’inspirant d’une adaptation de la production coopérative à la terre louée aux producteurs. D’autre part (dans Terre et Liberté, octobre-novembre-décembre 1932), à propos du plan Delaisi tendant à doter l’Europe agraire de moyens de transports et de fonds de roulement, Sam Meyer a proposé que les États bénéficiaires (de la Finlande à la Grèce) établissent un impôt de substitution sur la valeur du sol, semblable à celui du Danemark (voir plus haut). Quant aux larges zones qu’il y aura lieu d’exproprier pour la construction des canaux, des chemins de fer et des routes, il a suggéré que ces terrains ne soient pas vendus, mais plutôt concédés aux exploitants, à la suite d’une mise aux enchères périodique, selon les modalités en usage en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Ces terrains restant la propriété de l’État seraient gérés par des offices autonomes. De ce chef, les pays qui auraient institué chez eux cette réforme foncière bénéficieraient de ses avantages, au lieu d’une seule classe de propriétaires fonciers privilégiés.

Utopie ou réalité ? — Et si certains nous reprochaient de bâtir de nouvelles sociétés « utopiques », rappelons que le district de Canberra, la nouvelle capitale de l’Australie (voir la Terre, mars 1925), de la superficie de la Belgique, vit et prospère sous le régime de l’appropriation collective du sol et de l’impôt loyer, et qu’il existe plusieurs enclaves agricoles pourvues du même régime (voir Terre et Liberté, article de Paul Passy, janvier-février-mars 1928). La colonie de réforme foncière Eden, à Oranienburg-Berlin (voir la Terre de septembre-octobre-novembre 1926, et Terre et Liberté de janvier-février 1932, article de Glemser), les colonies sionistes de Palestine (Terre et Liberté d’avril-mai-juin 1932), le territoire de Kiao Tchéou (colonie d’abord allemande puis japonaise) et la terre des colonies hollandaises reposent sur le régime de l’impôt loyer et s’en trouvent fort bien. Appliquant à l’agglomération algéroise son programme de réforme foncière, M. Pasquier-Bronde a démontré qu’il est capable de résoudre, bien plus élégamment que dans la Métropole, où la plupart des villes aliènent leur terrain, le douloureux problème des taudis (voir Daudé-Bancel : Taudis et Réforme foncière, dans la Dépêche de Toulouse du 25 novembre 1932).

Nous pensons avoir prouvé que la crise agraire qui sévit aux États-Unis provient, pour une large part, de ce que la terre y a été aliénée (n° 1 de la Terre, 1928) ; et d’un article de Paul Blanchard (dans The New Freeman), il résulte que, si la colonisation avait été faite sur