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forme souleva contre elle l’opposition d’une importante minorité de gros propriétaires. Ils renversèrent Rivadavia du pouvoir. Il fut remplacé par le tyran Rosas qui, lui, aliéna la terre et en donna de grandes surfaces à ses partisans. Ainsi, par suite de l’échec de Rivadavia, la nationalisation du sol a échoué en Argentine, qui subit encore, à l’heure actuelle, les effets de la défaite de Rivadavia.

Le baron belge Colins écrivit, en 1835, un livre, le Pacte Social, dans lequel il exposait la nécessité de la propriété collective du sol (voir dans Terre et Liberté, n° 5, 1926, l’article d’Élie Soubeyran sur Colins). D’après lui, le sol nationalisé serait loué à tout individu qui voudrait le cultiver, soit individuellement, soit en société par actions, soit en société coopérative. Tout jeune ménage devrait être pourvu, par les soins de la collectivité, d’une propriété équipée et des fonds voulus pour la gérer, dont il serait comptable vis-à-vis de la collectivité.

La thèse de la nationalisation du sol a été reprise par Gossen, né à Düren, près de Cologne. Il estimait que la société doit assurer à chaque individu le moyen de produire sur de la terre libre, non écrasée d’impôts. À cet effet, il était partisan de la nationalisation du sol et de la création d’une caisse de prêts, gérée par l’État. Mais l’intervention de l’État n’était pour lui qu’un pis aller ; car, au fond, il était avant tout partisan de la libre initiative. Il estimait que l’État peut acheter la terre des particuliers assez bon marché pour trouver dans la hausse de la rente foncière le moyen d’amortir le prix d’achat. Dans sa Théorie mathématique du prix des terres et de leur rachat par l’État, et dans sa Théorie de la propriété (contenues dans ses Études d’Économie Sociale), Walras a exposé les lignes essentielles de son « socialisme synthétique ». Les facultés personnelles et le travail devant être l’objet de la propriété individuelle, et les salaires devant former le revenu des individus, les terres et la rente doivent être l’objet de la propriété collective, et les fermages doivent former le revenu de l’État. Comme son contemporain Gossen, Walras admet l’intervention de l’État dans une société progressive ; mais il aspirait, en somme, à ce que, dans une société rationnelle, la vie fût organisée coopérativement. Les coopératives qui seraient créées paieraient une redevance : soit par une somme définitivement versée, soit annuelle. Ce système de rachat du sol pourrait être étendu au rachat des mines, des chemins de fer et autres monopoles économiques naturels et nécessaires.

Loria s’est prononcé en faveur de la nationalisation du sol, en collaboration avec les travailleurs de la terre.

Considérez le programme des socialistes allemands, des socialistes fabiens en Grande-Bretagne, celui de Wallace, en Angleterre, et vous constaterez la même tendance à délivrer les agriculteurs de la dépendance où ils se trouvent vis-à-vis des propriétaires monopoleurs de la terre. En France, quelques socialistes, en tête desquels Henri Sellier, maire et conseiller général de Suresnes, tendent à taxer le sol nu, notamment dans les villes, et à affecter le revenu provenant de cette taxation à décharger la propriété bâtie et l’activité ; mais, dans l’ensemble, les socialistes subordonnent la réforme foncière à la conquête des pouvoirs publics. Et, en attendant la conquête de la majorité, la plupart semble ignorer ladite réforme, qui a pourtant au moins autant d’importance (voir Daudé-Bancel, la Reconstruction des cités détruites) que les activités économiques et sociales sur lesquelles le parti socialiste a porté son effort.

Un polémiste, qui était aussi un économiste, Auguste Chirac, a exposé dans sa Prochaine Révolution un plan grâce auquel il prévoyait l’échange des anciens titres de propriété contre des baux emphytéotiques de 25 ans, délivrés par la nation, prise, conventionnellement, com-

me souveraine collective du sol du pays. Les dits baux, renouvelables de plein droit, seraient cessibles et transmissibles, sans qu’une valeur capitale puisse être attribuée au sol, « déclaré immeuble ». L’usufruitier devrait payer chaque année un impôt, après révision du cadastre. Dans sa célèbre étude sur la réforme foncière parue dans le Journal des Économistes de mai 1883, Charles Gide a suggéré une très originale formule pour le rachat des terres par l’État. L’État, décidé à procéder à la nationalisation du sol, l’achèterait, payable comptant et livrable dans 99 ans. L’avantage de l’opération serait que la terre ne coûterait point cher à l’État ; car les propriétaires actuels ne seraient dépossédés de leur titre de propriété que dans 99 ans ; mais, par contre, ils toucheraient une prime d’expropriation qui, au taux de 3 %, serait de 50 francs pour une terre estimée 10.000 francs. Mais on pourrait, en accordant une prime d’expropriation plus élevée, raccourcir la prise de possession du sol par l’État : à la mort, par exemple, du dernier enfant conçu au jour de la promulgation de la loi, c’est-à-dire en limitant la durée de l’appropriation individuelle du sol à deux ou trois générations… Dans le même ordre d’idées, Eugenio Rignano a, dans Un socialisme en harmonie avec la doctrine économique libérale, soutenu une thèse d’après laquelle le sol, le sous-sol, les maisons et les usines seraient rachetés par le produit d’impôts prélevés sur les héritages. Ce serait l’adaptation à la limitation de la propriété du système des brevets d’invention, dont l’inventeur ne jouit que pendant quinze ou vingt ans. Mais les économistes libéraux ne se sont pas déclarés satisfaits de telles suggestions. Ils en sont restés au système de la vieille propriété « quiritaire » quoique, dans la société actuelle, bien des propriétés soient collectives : les routes, les fleuves, les rivières, les océans, les canaux et de nombreuses superficies du sol.

Synthèse indispensable. — Il faut pourtant trouver, pour l’action, une méthode qui s’impose de plus en plus, la synthèse indispensable. À cet effet, il importe d’envisager le problème du sol aussi objectivement que possible. Actuellement, le nombre des propriétaires augmente sans cesse, notamment depuis le partage des terres en Europe centrale et orientale. Certes, en Russie, la nationalisation a été théoriquement opérée ; mais, en fait, le moujik aspire actuellement, comme sous les tzars, à posséder le « papier bleu », signe de l’appropriation individuelle de la terre. Et il a subi, il subit le coopératisme des terres qui lui a été imposé sous la forme de sovkhozes ou de kolkhozes. Dans ces conditions, cette coopération n’est pas recommandable ; car elle ne devrait reposer que sur la bonne volonté des individus libres, et librement associés (voir Daudé-Bancel : La réforme agraire en Russie).

En Europe centrale, comme partout dans le monde entier, les efforts des gouvernements tendent généralement à créer et à renforcer, là où elle existe, la petite et la moyenne propriétés. C’est un fait. Or, il est impossible de nationaliser effectivement et utilement là où, à tort ou à raison, la majorité des producteurs est indéfectiblement attachée à son lopin de terre, quels que soient les inconvénients de ce genre de tenure. Par conséquent, en présence de cet état d’esprit, il est impossible, sous peine d’aboutir, comme en Russie, à un fâcheux mais réel malthusianisme de la production, de songer à la nationalisation du sol. Mais, d’autre part, sous quelque régime que ce soit, les dépenses publiques de l’État, du département et des communes doivent être couvertes par l’impôt qui existe et existera, sous n’importe quel régime d’appropriation terrienne. Le gouvernement bolchéviste lui-même a préconisé un impôt unique (comme les georgistes) sur la terre. En fait (voir Daudé-Bancel, La Réforme agraire en Russie), cet impôt « unique » est multiple. Il faut tendre – que le