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en mettant Edouard VI au monde. Sur la foi d’un portrait trop flatté, il épousa alors Anne de Clèves par procuration ; mais il la renvoya bientôt à son père, estimant qu’elle était laide et qu’on l’avait trompé. Catherine Howard, sa cinquième femme, fut décapitée en 1542. La sixième, Catherine Parr, faillit avoir le même sort parce que suspectée d’hérésie ; elle survécut pourtant à son mari. Ce Barbe bleue sanguinaire et grotesque mourut en 1547. Sous son successeur, Edouard VI, on autorisa le mariage des prêtres, et une liturgie nouvelle fut instituée. Mais Marie Tudor usa des moyens les plus sanglants pour contraindre ses sujets à redevenir catholiques. C’est Elisabeth qui assura le triomphe définitif de la Réforme en Angleterre.

Nous n’entreprendrons pas de retracer, même brièvement, l’histoire du protestantisme. Notons cependant que la formation de sectes nouvelles, dont plusieurs très importantes, a continué après la disparition des principaux fondateurs de la religion réformée. Parmi beaucoup d’autres, citons les baptistes qui administrent le baptême aux adultes seulement par immersion totale. Ils n’ont pas d’évêques, mais seulement des anciens, des docteurs et des diacres ; leur esprit rappelle celui des premiers chrétiens. Les méthodistes, qui comptent plus de cinquante millions d’adhérents, reconnaissent pour fondateur le puritain anglais John Wesley, qui mourut en 1791. Cette confession protestante, qui n’était pas sans analogie avec le piétisme allemand, se proposait de réveiller la foi attiédie des fidèles ; mais elle s’adressait de préférence aux masses populaires. Divisé en plusieurs sectes, le méthodisme entretient des missions dans le monde entier. Les darbystes, ou frères de Plymouth, dont l’animateur fut John Darby, un pasteur anglican qui prêchait avec succès vers 1831, et les irvingiens, qui se rattachent au pasteur écossais Irving, mort en 1834, cultivent le prophétisme et attendent une nouvelle venue du Christ.

Dans les pays protestants, en particulier chez les Anglo-Saxons, les revivals ou réveils sont d’ailleurs fréquents ; ils tiennent parfois du délire et s’expliquent par la psychologie des foules. Le pentecôtisme, qui sévit à l’heure actuelle, doit être rangé parmi ces épidémies mentales. Voilà ce qu’écrit, à ce sujet, une protestante de mes amies, qui habite l’Ardèche : « De jeunes ambitieux mégalomanes, afin de s’affirmer eux-mêmes et d’être mis en vedette comme telle étoile de cinéma, se sont donnés pour tâche d’asservir les consciences en semant en elles le trouble, la déraison, le désir exalté du sacrifice (de tous les sacrifices, et d’abord : les pécuniaires). Ces jeunes gens – soit dit en passant, pour signaler l’incongruité de la chose – sont nantis d’une mission ecclésiastique, c’est-à-dire d’une mission d’humilité et de désintéressement, mais, débrouillards comme on l’est en mil neuf cent trente-deux, ils ont trouvé le moyen commode et rémunérateur d’incarner la finance dans le sacerdoce, jusqu’à confondre presque l’un et l’autre : « Le don d’argent fait partie de la sanctification de la vie. L’argent doit être demandé aux chrétiens pour obéir à la parole de Dieu. La dîme doit être le minimum de l’offrande. Il faut donner sans cesse pour l’avancement de l’œuvre du Seigneur. L’argent et le réveil (celui-ci en fonction de celui-là), etc… » Voilà leur code.

« Je n’insiste pas sur ces pieuses opérations d’une mathématique mystique et j’en arrive à l’un des procédés, en vogue dans ma contrée, d’asservissement des âmes. Ce procédé, c’est le pentecôtisme, c’est-à-dire l’annonce faite à tous les chrétiens de la révélation authentique, effective, matérialisée du Saint-Esprit, sous condition implicite, bien entendu, de la soumission préalable et complète du chrétien à celui qui lui a annoncé cette bonne nouvelle… À moins que le ridicule ne les tue très vite, ils ont souvent des séances au cours desquelles certains assistants crient, d’autres chantent,

d’autres éclatent de rire, d’autres « parlent en langues », ce qui produit une cacophonie que le pasteur couvre en indiquant un cantique d’action de grâces. Moi qui, élevée par des esprits sages, n’avais jamais entendu le mot de glossolalie et qui ne croyais pas aux miracles de Lourdes, j’apprends avec stupeur que le don « de parler en langues » a été dévolu à plusieurs de mes semblables, que je tenais jusqu’ici pour des gens aussi bien équilibrés que vous et moi. J’apprends que ces mêmes personnes ont reçu l’imposition des mains d’un guérisseur et que leurs coliques ou leurs maux de dents ont cessé à ce contact (qu’ils disent). Mais comme j’ai le droit de penser que ces gens-là sont des imaginatifs, des hystériques ou des flibustiers, je ne me gêne pas pour le dire. »

Par ailleurs, des enquêtes discrètes sur les établissements charitables de l’Armée du Salut, cette institution protestante dont la presse bourgeoise dit tant de bien, montrent que, là aussi, comme dans les œuvres similaires catholiques, une hypocrite duplicité règne parmi les hauts gradés. Les employés des cadres inférieurs sont habituellement sincères ; chez ces personnes, souvent désireuses d’expier d’anciennes peccadilles, le mysticisme a étouffé la raison. Les chefs, par contre, ne méritent pas les éloges dont on les couvre. Après avoir entendu les apologistes de l’Armée du Salut vanter la charité inépuisable, A. Verdière Le Peletier fit une petite expérience. « Je me suis présentée, écrit-elle, dans un des refuges de l’Armée du Salut, mes vêtements sont misérables, je tiens un petit paquet à la main, ma voix est craintive ; l’officière qui me reçoit me toise et, sans bienveillance, me demande ce que je veux. Je sors de l’hôpital, j’ai été malade pendant deux mois, je n’ai pas de logis, pas de famille, pas d’argent ; cependant, j’ai trouvé du travail, mais ne recevrai mes appointements qu’à la fin du mois. Si je ne trouve un gîte, je ne pourrai pas travailler. — Vous n’avez pas d’argent ! Impossible de vous recevoir. Au Palais de la Femme, la chambrette coûte trente à trente-cinq francs par semaine, un lit en dortoir vingt et un francs la semaine. On doit payer d’avance. La nourriture est-elle comprise ? — Oh non ! Se récrie la salutiste, il y a le réfectoire, vous pouvez avoir un repas à trois francs cinquante-cinq. — Mais comment faire alors, puisque je n’ai pas d’argent ? — Ah ! Cela… (Elle lève les mains dans un geste qui paraît dire : « Débrouillez-vous ! » ) — N’avez-vous pas des asiles qui reçoivent gratuitement ? Ne consentez-vous pas des prêts d’honneur aux personnes qui sont dans mon cas ? — Des prêts d’honneur !… Mais il nous faudrait en faire tous les jours. Dans tous nos refuges, il faut payer. — Même sur la péniche ? — Certainement ; d’ailleurs, la péniche n’est réservée qu’aux hommes. — Ne pourriez-vous me faire une faveur, je vous paierai à la fin du mois ? — Impossible, je vous dis ; d’ailleurs, il n’y a pas de place. »

Et Adr. Verdière Le Peletier ajoute : « Avant de m’éloigner de cet asile inhospitalier, je lance un coup d’œil dans le vaste hall, des inscriptions bibliques ornent les murs ; sur un tableau noir, l’annonce de causeries faites par une « adjudante » ou une « capitaine » prouve que la propagande religieuse n’est pas totalement négligée. Des jeunes filles élégantes, fardées, traversent le hall et se dirigent rapidement vers la sortie. Je les suis, l’une d’elles saute légèrement dans une élégante torpédo et, sans façon, embrasse le jeune homme qui est au volant. D’autres s’éloignent, en causant gaiement. Je m’arrête un instant pour consulter le menu affiché à la porte, tout comme il le pourrait être à celle d’un restaurant. Pas de prix de faveur, puisque le pain coûte trente centimes ; mais l’alcool, le vin et la bière sont proscrits. »

Sans méconnaître les bons côtés de l’Armée du Salut, on aurait tort de fermer les yeux sur les défauts de cette puissante institution. Mais les directeurs de jour-