Et Paul Allard continuait en promettant des révélations sensationnelles — sur les rebellions militaires.
Le samedi 27 août, paraissait le second article. Parmi d’autres choses, on y lisait :
« Ce n’est pas de la gauche ni de l’extrême gauche que partirent les réquisitoires les plus passionnés contre le haut commandement : c’est un député de la droite, le lieutenant Ybarnegaray, qui exerça sur l’assemblée un « effet foudroyant », par le récit pathétique et indigné qu’il fit, d’une voix tremblante d’émotion et les yeux encore pleins d’horreur :
« Je vois et je verrai toute ma vie, sur l’immense plateau de l’Aisne, un quart l’heure après le départ des vagues d’assaut, ces groupes errants de noirs courant au hasard, cherchant leurs chefs, se faisant massacrer par les mitrailleuses et aussi par nos propres 75 !… A six heures du matin, la bataille était commencée : à sept heures, elle était perdue !… Nous étions loin du rêve du matin ! Le rêve, c’était la marche en avant, l’offensive joyeuse, hardie, rapide !… Et alors, de tout ce désordre, de toute cette douleur, de toute cette terre sanglante, c’est une immense désillusion qui monte !… Et aussi le reproche, la colère, les mots violents, vers ceux qui, dans un geste imprudent, ont ainsi sacrifié le meilleur de nos soldats !… »
« Albert Favre, Abel Ferry, de nouveau Ybarnegaray, et enfin, le capitaine d’artillerie Albert Lebrun, apportent, ensuite, un ensemble de faits écrasants.
» M. Albert Lebrun résuma, avec son éloquence sobre, précise et dépouillée de polytechnicien, les fautes commises par les grands chefs militaires.
» Pour sortir de la situation où nous sommes — conclut le futur chef de l’État — il faut trouver autre chose ! Le gouvernement n’a pas su contraindre le haut commandement à abandonner cette sorte d’omniscience qu’il affecte (applaudissements) ni l’obliger à s’adapter aux faits, et à ne pas se laisser surprendre par eux comme nous l’avons été depuis le début de la guerre ! Ce sont ces faits que nous ne voulons plus voir se reproduire ! ” (Vifs applaudissements sur tous les bancs.)
» M. Diagne, défenseur-né des troupes noires, fit, à son tour, un récit émouvant, appuyé de menaces précises, du « massacre des noirs de l’armée Mangin. »
Il révéla qu’avant son interpellation, un officier d’ordonnance du général Mangin était venu lui demander, au nom de son chef, de retirer son interpellation. Faisant allusion aux événements du 16 avril, il lui en a donné cette explication :
« Nous avons été desservis par le temps : le marronnier du 21 mars n’a pas fleuri ! C’est là notre seule faute ! » (Bruit sur tous les bancs.)
» Quant aux malheureux nègres : « fondus par le feu, en débandade par suite de l’absence des chefs tués, obligés par le froid de mettre leur fusil sous le bras, en parapluie, incapables de se servir de leurs grenades, de mettre baïonnette au canon, voués à un véritable massacre sans utilité par l’inimaginable légèreté des généraux. » M. Diagne conclut :
« Et c’est à ces hommes-là que vous demandez de finir la guerre pour vous ? Non, messieurs ! Je n’accepte pas cette idée. Je ne veux pas vous humilier : ce n’est pas digne de la France ! »
Le dimanche 28 août 1932, sous la signature de Paul Allard, paraissait dans l’Œuvre, un troisième article, intitulé : La parole est à M. Laval. Le député d’Aubervilliers avait signalé à la Chambre combien était mauvais l’état moral du pays en général et, plus particulièrement, celui des soldats du front.
C’était bien une révolte militaire, cette rébellion, cette mutinerie si grave, si contagieuse que ceux de l’arrière qui en avaient eu connaissance en tremblaient
Le lundi 29 août, l’Œuvre insérait, sous le titre : Le Rapport du général Pétain, un quatrième article. Voici des extraits de ce rapport :
« Des actes d’indiscipline collectifs — écrit le général Pétain — se multiplient de façon inquiétante depuis quelques jours. Une compagnie qui doit participer aux nouvelles attaques sur le moulin de Laffaux, refuse de monter en ligne. Dans les cantonnements, partout sont posés des papillons : « À bas la guerre ! Mort aux responsables ! » Les hommes déclarent hautement qu’ils ne veulent plus se battre tandis que dans les usines, leurs camarades gagnent 15 à 20 francs par jour. »
« …19 mai : un bataillon qui devait faire la relève se disperse dans les bois.
» 20 mai : un dépôt, divisionnaire désigné pour renforcer un régiment parcourt les rues au chant de l’Internationale, fouille la maison du commandant de dépôt, envoie trois délégués chargés de porter les réclamations.
» 26 mai : Les hommes de quatre bataillons qui doivent remonter dans le secteur se rassemblent dans le cantonnement du quartier général de la division. Les efforts du major et des officiers sont vains pour obtenir la dispersion du rassemblement.
» 27 mai : Dans la région de La Fère-en-Tardenois, un bataillon doit être embarqué en auto pour entrer en ligne. Les meneurs, excités par la boisson, parcourent le cantonnement en poussant des cris. Ils tirent des coups de fusil et empêchent l’embarquement. Au lever du jour, les mutins courent à la gare pour prendre des trains d’assaut. Un fort détachement de gendarmer ! et les en empêche.
» 29 mai : Les régiments qui doivent se mettre en marche manifestent, se forment en cortège et chantent l’Internationale en criant : « On ne montera pas ! On ne montera pas ! »
Le mardi 30 août 1932, un cinquième article sur les Mutineries dans l’Armée française, d’après les documents secrets. Cet article, dans l’Œuvre a pour titre : M. Diagne à la Tribune. L’auteur montre M.Diagne plaidant avec ardeur la cause des troupes nègres particulièrement éprouvées. Il ajoute : « Les nôtres sont venus ici pour accomplir un devoir patriotique. Mais, à aucun moment, il ne saurait être question, — et si le gouvernement ne m’en donne pas l’assurance, je suis décidé à le répéter en séance publique, — en aucune circonstance, ni aujourd’hui ni demain, il ne saurait être question de demander aux nôtres d’accomplir une besogne qui n’est pas celle de soldats. »
Et le mercredi 31 août 1932, le journal l’Œuvre publie son sixième article sous le titre : Au tour de M. Dalbiez.
« Le 29 juin, lit-on, c’est M. Victor Dalbiez qui, à 3 h. 35, la séance publique étant close et les tribunes évacuées, prit la parole :
— Il est indispensable que la Chambre soit mise au courant des renseignements que la Commission de l’armée a reçus du ministre de la guerre. Le pays souffre de ce régime du silence qui lui a été imposé depuis si longtemps. Le résultat de ce silence c’est que la légende — la légende qui se crée et se propage — démoralise beaucoup plus sûrement le pays que la vérité ! Si nous n’avions pas eu peur de la vérité depuis le début de la guerre, et surtout si nous n’avions pas eu peur de la dire au pays, nous ne serions pas, aujourd’hui, en proie à de vives inquiétudes au sujet de l’état moral de nos combattants !
» Non, messieurs, nous ne pouvons pas continuer la guerre les yeux fermés ! Vous savez que cela nous a conduits à deux doigts de l’abîme, car les gouvernements se laissent prendre eux-mêmes aux formules qu’ils servent au pays !