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ce raisonnement logique, certains matérialistes opposent la mobilité des tables qui parleraient et répondraient aux questions posées. Nous ne nous attarderons pas à expliquer que les tables qui semblent (à la suite de certains mouvements qui ne leur sont exclusifs qu’en apparence) formuler une réponse favorable à la conscience de l’acte, ces tables sont sensées participer à cet acte. Dans les mouvements de la table, il y a un comment et un pourquoi, mais dans les actes humains il n’y a ni comment ni pourquoi, parce que c’est superflu, inutile, et qu’il est impossible de connaître le comment et le pourquoi d’un fait primitif, d’une vérité-principe. Si, dans le fait ou le principe, il y avait un pourquoi et un comment à découvrir, il y aurait par cela même, dit De Potter, un fait antérieur, un principe encore plus primitif. Le cercle est vicieux. Cherche-t-on à savoir pourquoi la violette a le parfum que nous lui connaissons, et non celui du jasmin ou de la pensée ? L’homme est envieux et voudrait même savoir ce qui reste dans l’inconnaissable, quoique sans résultat pour son action individuelle et sociale. Ce qu’il y a à faire, logiquement, c’est de constater la réalité du principe ou du fait par un bon raisonnement. Nous avons le sentiment de nous-mêmes et le raisonnement doit partir de là ; ce qui nous permettra de constater que l’ordre physique est ce qui est. Nous verrons alors que ce que nos sens perçoivent est le comment des choses, des phénomènes démontrés nécessaires dans leur enchaînement de causes et d’effets. Ce qui doit être est déterminé par leur pourquoi, et l’enchaînement de tous les pourquoi, déduits par identité d’une vérité qui n’a pas, elle-même, de pourquoi. C’est cette détermination logique qui constitue l’ordre moral.

Ainsi, le raisonnement se présente sous deux aspects et constitue soit un raisonnement simple, soit un raisonnement complexe. Le premier est la modification du soi qui n’est liée à aucune autre modification qu’elle-même ; le second est un enchaînement de deux ou plusieurs propositions qu’on peut ramener à soi et qui en sont des modifications. Ainsi, le raisonnement simple ne peut donner lieu à aucune contestation. C’est la constatation d’un fait affirmé, d’une part, et que personne ne peut contredire. Le raisonnement complexe, seul, peut être bon ou mauvais. Il est d’une manière ou d’une autre, selon que l’enchaînement des propositions se rapportant à la modification du soi est ou n’est pas conforme à la raison. Pour mieux préciser, supposons que je dise : j’entends le son d’une cloche. Si je persiste à affirmer que, réellement, j’entends le son d’une cloche, il est absolument impossible de me prouver, et même de prouver aux autres, que je ne l’entends pas. Cependant, on peut conclure et démontrer qu’il n’existe pas de cloche à la distance où on peut l’entendre régulièrement, ce qui ne prouve pas que je n’en entende pas une, ou plus exactement le son. Nous ne nous étendrons pas davantage sur des faits physiques constatés par le raisonnement simple et se rapportant à un raisonnement complexe. Nous aborderons le raisonnement métaphysique – ou plus que physique – qui, de l’ensemble des faits physiques et du fait de la conscience que le raisonnement a de son existence, au moyen des modifications que ces faits lui font subir successivement, déduit la conséquence qu’il y a, hors et au-dessus de ces faits, une vérité d’un tout autre ordre que celui dont ils font partie. De cet ordre de faits, le raisonnement en compose la nature physique, qui n’a pas d’autre valeur réelle que celle des faits mêmes dont la succession constitue la réalité de l’être qui les perçoit ; et il appartient au seul raisonnement métaphysique de déterminer la réalité qui domine le fait primordial du sentiment de soi.

Ce que nous venons de dire prouve que le raisonnement est une propriété exclusive à l’homme de comparer, de juger, de faire un choix. Dès lors, le raisonnement devient l’animateur de la conscience pour appré-

cier les faits, aussi bien que le guide de la volonté dans son action déterminante. Le raisonnement est personnel, mais la raison qu’il doit déterminer peut devenir raison impersonnelle en n’enchaînant entre elles que des propositions identiques et en partant du fait perçu du sentiment de l’existence. En résumé, dit Colins, c’est parce que les hommes ont mal raisonné, jusqu’à ce jour, qu’ils sont malheureux en général. Si la nécessité sociale les pousse à bien raisonner, comme nous le désirons, le chaos de nos jours fera place à l’harmonie ; et la société, dans son ensemble, sera heureuse. Puissions-nous le comprendre et en hâter l’heure ! — Élie Soubeyran.


RAPACITÉ n. f. On appelle rapaces certains oiseaux à bec fort et recourbé, à griffes puissantes qui se repaissent avec voracité de la chair de leurs victimes. Aussi, la rapacité est-elle devenue synonyme d’avidité à se jeter sur une proie. Malgré des dehors avantageux et des manières polies, beaucoup d’hommes sont de vrais rapaces et vivent de la chair et du sang de leurs contemporains. « Ces graves messieurs, vautours de la finance, de la politique ou de l’académie, crâne chauve et l’œil cerclé d’un monocle d’or, épient sans douceur les faiblesses de leurs partenaires : celui-ci n’est qu’une outre gonflée de vent, celui-là sert de caniche à une maîtresse acariâtre, ce troisième, d’intelligence redoutable, est à vendre au plus offrant. Et, tandis que les bouches n’ont que miel à répandre, quand de partout s’élèvent des congratulations mutuelles et générales, chacun songe au meilleur moyen de frapper celui qu’il encense. » La guerre a montré jusqu’où pouvait descendre la rapacité des fabricants d’armes, des grands banquiers, de tous ceux qui vivent de la misère des peuples. Dans les colonies, rapines et brigandages se parent du beau nom d’action colonisatrice. Les jeunes peuvent tomber dru ; les mères peuvent pleurer. Qu’importe ! « Ce sang, ces larmes, écrit L. Barbedette, des hommes de proie en ont besoin : à l’abri des balles, ils guettent l’heure de la curée. Honneur ou progrès sont pour eux des prétextes, armée et diplomatie des instruments ; ils veulent des concessions fructueuses et sans bourse délier, des dividendes inouïs, de l’or, toujours plus d’or. » Au Moyen Âge, les rapaces furent les nobles ; aujourd’hui, ce sont les capitalistes. Autour des gros oiseaux de proie vole, d’ailleurs, toute une armée d’éperviers de petite taille et de noirs corbeaux qui se nourrissent des débris laissés sur les champs de carnage. Du nombre sont les prêtres aux doigts crochus et aux dents longues, les argousins de tous grades, les juges, les politiciens au plumage passant du blanc de lys au rouge écarlate. Et loin de se liguer contre ces mangeurs de cadavres, les hommes les admirent et se résignent à devenir leurs victimes quand ils jugent utile de décimer les masses moutonnières. C’est afin qu’ils ne manquent ni de viande fraîche, ni de sang vermeil que les femmes procréent sans cesse et que les pères triment pour nourrir leurs rejetons. Souhaitons qu’un jour les travailleurs finissent par comprendre que les rapaces disparaîtront quand on leur donnera la chasse et que les peuples se refuseront à leur servir de proie plus longtemps.


RATIONALISATION n. f. On désigne, sous le nom de rationalisation, l’ensemble des méthodes ayant pour but d’obtenir une triple réglementation : 1° des ateliers, par la standardisation et la taylorisation ; 2° des approvisionnements, par la standardisation et la normalisation ; 3° de la production, par le « fayolisme » et la formation des cartels d’écoulement. C’est, on le voit, toute une politique économique qui s’exprime à l’aide de ce seul mot : « Rationalisation ». Au fond, la rationalisation n’est qu’un mot nouveau employé pour désigner une très vieille chose. La rationalisation