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non déterminé par une des tendances exclusives examinées précédemment.

Ceci nous enseigne que n’est pas éducateur qui veut, et qu’engendrer un enfant est une toute autre chose que l’élever avec sagesse.

S’il s’agit d’adultes, nous pouvons encore, ici, nous trouver en présence de plusieurs cas, soit qu’il s’agisse de personnes sympathiques et de fréquentation continue ou très espacée ; soit qu’il s’agisse de personnes plus ou moins indifférentes, avec contact prolongé ou intermittent. Toutes ces distinctions nous indiquent nos possibilités d’action sur elles, car le temps, la sympathie et la connaissance sont des facteurs efficaces de toutes modifications individuelles. Si nous avons pu déceler le point défaillant (qu’il ne faut point confondre avec un caractère original et hautement personnel, pouvant même recéler du génie) se traduisant presque toujours par une déficience personnelle du sujet, nous pouvons agir, sur telle ou telle tendance affective très développée, pour inhiber les mauvais réflexes et créer d’autres complexes de réflexes éthiques ou esthétiques. Il est compréhensible que, chez ceux que nous aimons, nous agirons sur le centre génératif et émotif, et peut-être réceptif ; tandis que, pour les indifférents, nous agirons plus spécialement sur la nutrition et la motilité ; autrement dit, sur l’intérêt et l’activité vitale.

Mais il est bien évident que, comme pour l’enfant, notre action sur autrui sera d’autant plus efficace que nous serons plus équilibrés nous-mêmes, et non aussi déséquilibrés que lui. Un excité ou un lymphatique ne seront jamais de bons éducateurs, car leur nature, bien qu’acceptable pour des tempéraments s’harmonisant avec le leur, leur interdit sinon des jugements justes – car nous savons que la connaissance réelle est accessible à tous les êtres sensés – mais certainement d’agir judicieusement. On peut penser correctement et agir très sottement.

Reste enfin le dernier cas, celui de l’amélioration de notre propre personnalité. Il peut paraître contradictoire d’établir à la fois et l’impuissance de la raison et son pouvoir créateur.

Pourtant, la difficulté se résout le plus simplement du monde, par le fait, bien évident, que celui qui veut réellement se modifier est déjà déterminé par un centre affectif énergique. Ne se modifie pas comme cela, tout d’un coup, qui veut, mais qui est antérieurement déterminé, par une cause extérieure, à se transformer. Ces causes extérieures sont nombreuses, mais, toujours, elles se traduisent nettement en nous, dans le domaine de la connaissance, par une déficience, une infériorité de notre organisme vis-à-vis d’une représentation précise que nous avons d’un meilleur fonctionnement de nous-mêmes. Que ce soit dans un combat physique, une lutte d’idées, une extériorisation affective ou intellectuelle, des tentatives de conquête ou de satisfaction organique, toujours la réalité se différencie de notre action subjective.

Nos réflexes sont toujours plus ou moins adaptés aux faits, et cela détermine en nous une réaction plus ou moins vive. L’énergie nerveuse incomplètement libérée, ou entravée dans son cheminement, ne trouve point d’issue normale et crée un état, parfois, pathologique, si une voie nouvelle ne vient utiliser cette énergie. La justification est souvent une de ces voies, et l’inadapté, réagissant, rejette sur l’objectif les causes de son insuccès. Il y a peu de chance d’amélioration avec des réflexes pareils. D’autres vont à l’autre extrémité et, d’une pusillanimité excessive, s’accusent de tous les torts, et finiraient par mourir de peur de vivre, si leurs réflexes organiques ne les propulsaient en avant.

L’homme de raison se différencie en ceci que sa connaissance du monde et de lui-même s’universalise équitablement. L’idée qu’il se fait de son moi n’inhibe pas l’idée qu’il se fait de celui des autres. Ses méditations

nombreuses ont créé des voies synthétiques, harmonisant ses concepts. Qu’une inadaptation survienne, qu’une déception surgisse, qu’une contrariété le surprenne, qu’une inhibition l’indispose, et, comme tous les mortels, il en ressentira très vivement, peut-être même très violemment, les effets. Mais, par les voies nombreuses de la médication, une bonne partie de l’énergie nerveuse se dispersera et son action objective, visible, sera très différente de celle d’un homme irréfléchi.

Par contre, l’échec de sa vitalité ne s’effacera point aisément de son organisme. La complexité de ses réseaux nerveux, leur extrême sensibilité, l’abondance de l’énergie nerveuse, sans cesse sollicitée et produite par cette difficulté fonctionnelle non résolue, finiront par créer des rapprochements, des liaisons dans les centres intéressés, et de nouveaux réflexes s’organiseront, des inhibitions se créeront, et son action future sera désormais autrement orientée vis-à-vis de l’événement excitateur.

Ainsi, c’est sous l’influence des excitations extérieures que nous nous modifions ; influence qui libère en nous l’énergie d’un centre affectif, inhibant un autre centre affectif, par l’intermédiaire des centres intellectuels.

La voie de l’homme qui dit : je veux, ressemble donc aux hérauts annonçant des actes décidés sans leur consentement. C’est la trompette proclamant l’issue du tournoi. Quand la voix dit « je veux », les réflexes conditionnels ont déjà fonctionné, l’acte est en puissance, les réflexes moteurs en action.

Vouloir se modifier, c’est déjà sentir en soi un besoin d’agir autrement. C’est se déterminer selon des réflexes nouveaux, créés par le dehors. Agir raisonnablement, être un humain raisonnable, c’est avoir la chance de posséder en soi, et autour de soi, tous les éléments qui concourent à notre équilibre et à notre harmonie. Cette chance se traduit par un excédent d’énergie nerveuse, non produite par un échec, mais par un bon fonctionnement nerveux n’utilisant pas totalement cette énergie. C’est de l’épargne nerveuse, source de plaisir – lequel ne peut donc jamais être une cause d’action, mais est bien plutôt la conséquence, l’effet de l’action nerveuse –, et la durée de ce plaisir forme le bonheur, ou joie de vivre.

N’est donc pas davantage heureux qui veut, mais bien qui peut.

Cette étude ne transformera pas un anxieux en excité, ni un exclusif en équilibré. D’un pessimiste elle ne fera pas un optimiste, ni d’un esprit faux un esprit judicieux. Elle permettra simplement à ceux qui sont des équilibrés qui s’ignorent, ou des équilibrés possibles, de devenir des équilibrés vrais, s’ils ne sont pas satisfaits de leur état actuel.

La psychologie objective permettrait, peut-être, à la grande majorité des hommes de ne plus se quereller dans des domaines où tous ont tort, ou raison, suivant qu’ils se placent au point de vue personnel et subjectif, ou impersonnel et expérimental.

Employons notre connaissance à cette discrimination nécessaire. Ne molestons plus autrui pour nos divergences. Cherchons un terrain expérimental pour trancher les différends, si cela est possible ; faisons appel à ses tendances affectives, si les centres intellectuels coordonnent, ou universalisent mal sa documentation sensorielle ; et laissons-le en paix, s’il n’y a aucune action positive possible avec lui. À charge de réciprocité, bien entendu.

Ma conclusion sera donc simple. La voici :

Nous sommes formés d’un mélange de personnalité innée et de personnalité acquise. De cet ensemble, hasardeux, il résulte que notre concept de la vie ne peut coïncider totalement avec celui des autres hommes, puisque les causes déterminantes n’ont pas été les mêmes pour tous les hommes. Seules, la spécificité de la nature humaine et l’objectivité des connaissances