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RAI
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action transforme le phosphore blanc en phosphore rouge, colore les sels alcalins en jaune, bleu ou vert, jaunit puis détruit le papier. Le radium émet un triple rayonnement invisible, mais très intense, formé de trois parties, auxquelles Rutherford a donné les noms respectifs de rayons alpha, rayons béta, rayons gamma. Les premiers sont formés par des atomes chargés d’électricité positive ; ils ont une vitesse de 15.000 à 30.000 km à la seconde et constituent 90 % du rayonnement total. Une couche d’air de 7 cm ou une épaisseur de 5/100 d’aluminium suffisent pour les arrêter, car leur pénétration est faible. Les rayons béta, chargés d’électricité négative, paraissent analogues aux rayons cathodiques mais sont 500 fois plus pénétrants. Ils constituent 9 % du rayonnement global et se divisent en rayons mous, dont la vitesse de propagation est de 30.000 km à la seconde, et en rayons durs qui atteignent une vitesse variant de 200 000 à 300 000 km à la seconde ; les premiers sont arrêtés sans peine, les seconds difficilement. Les rayons gamma se propagent en ligne droite et ne sont pas électrisés ; ils entrent pour 1/100 seulement dans l’ensemble du rayonnement. Comparables aux rayons X, ils ont toutefois un pouvoir de pénétration très supérieur ; ils traversent plus de 100 mm de plomb, alors que 1 ou 2 mm du même corps suffisent presque pour absorber les rayons X.

Ajoutons qu’une substance mystérieuse se dégage, d’une façon permanente et continue, des divers sels de radium. Répandue dans l’air, cette émanation provoque la luminescence du sulfure de zinc, du verre et de plusieurs autres corps ; elle se condense d’une manière très brusque à la température de 150° au-dessous de zéro, ainsi que l’ont montré Rutherford et Soddy. Elle se place chimiquement dans la même catégorie que l’argon, l’hélium et les divers gaz qu’aucun réactif n’absorbe et qui n’entrent dans aucune combinaison ; on la place au 4ème rang parmi les corps ayant les plus hauts poids atomiques. Lorsqu’elle se détruit, cette émanation engendre un peu d’hélium, le gaz le plus léger après l’hydrogène. Sur l’organisme humain, le radium provoque des lésions soit aiguës, soit chroniques ; il possède une action bactéricide, mais encore trop mal connue pour qu’on puisse en tirer parti pratiquement ; sur les formes élémentaires de la vie, il exerce une influence profondément perturbatrice. Au point de vue médical, on l’utilise contre le cancer. « La plupart des cancers de la peau, écrit le Dr Niewenglowski, sont guéris ; sur les cancers des muqueuses, les résultats sont variables : bons pour le cancer de la lèvre, mauvais pour le cancer de la langue. Les cancers du sein inopérables peuvent parfois devenir opérables à la suite d’irradiations en sens divers ; dans les cas rebelles, le radium peut diminuer les douleurs et prolonger l’existence des malades. La guérison est rare, mais l’amélioration est la règle dans le cancer de l’œsophage, du pylore, du rectum, de la prostate et, parfois, une tumeur inopérable devient opérable après les irradiations. Pour nombre d’affections de la peau, le radium a une réelle valeur curative. » Les applications thérapeutiques du radium sont pour beaucoup dans la curiosité universelle dont il est l’objet présentement. — L. Barbedette.


RAISON n. f. Les sens du mot raison sont nombreux. On l’oppose à instinct, quand on déclare que la raison sépare l’homme de l’animal : il signifie, dans ce cas, que nous pouvons saisir l’enchaînement des faits, comprendre leurs raisons d’être, prévoir leurs conséquences. On l’oppose à folie, quand il désigne un comportement logique, réfléchi, bien adapté au milieu et à la situation. Beaucoup confondent la raison avec l’intelligence, ce terme étant pris dans son acception la plus générale ; ou avec le sens commun, qui se ramène à un ensemble d’idées banales et souvent fausses, admises à

une époque et dans une région données ; ou avec le bon sens qui consisterait dans une façon de juger qualifiée saine et droite par ceux qui prétendent maintenir l’entendement humain dans les bornes étroites d’une rigide orthodoxie. En réalité, la raison c’est le pouvoir de mettre de l’ordre dans les faits que nous présente l’expérience, c’est la faculté de relier les divers phénomènes observés, de les comprendre. Elle implique donc un ensemble de principes et de notions qui rendent possible une organisation systématique de nos connaissances. De ces principes, on a dressé des listes plus ou moins longues ; mais il est facile de les ramener à deux : celui d’identité et celui d’universelle causalité, qui constituent les lois générales de notre esprit. Nous avons, dans un précédent article, parlé longuement des principes (voir ce mot). La raison comprendrait, de plus, certaines idées primitives, universelles, irréductibles, d’après la théorie classique. Mais leur nombre varie beaucoup selon les auteurs, une analyse un peu profonde ayant tôt fait de montrer qu’elles résultent, non d’une intuition originale, mais d’un travail de réflexion, d’une interprétation des données sensibles par l’entendement humain.

Trois de ces idées nous intéressent particulièrement, à cause des conséquences métaphysiques et religieuses qu’on a voulu en tirer : celles d’infini, de parfait, d’absolu. L’infini serait ce qui n’a aucune limite dans aucun sens ; il s’opposerait au fini, qui a des limites, et à l’indéfini, capable de croître ou de diminuer sans limites assignables. Et les croyants ajoutent que l’infini est le terme nécessaire des aspirations de l’âme humaine, que nous tendons vers lui par toutes les puissances de notre être, et qu’une telle aspiration, de nature essentiellement religieuse, démontre l’existence de dieu. L’idée de parfait, c’est l’idée de ce qui est complet, achevé ; elle s’applique aux qualités qui ne laissent rien à désirer, auxquelles rien ne manque. On a également prétendu qu’elle réclamait l’existence, hors de nous, d’un être parfait. Quant à l’absolu, il se conçoit par opposition au relatif : c’est l’inconditionnel, ce qui possède en soi sa raison d’être. Hamilton estimant que toute pensée établit des relations, qu’elle conditionne, déclarait en conséquence que, si nous devons croire à l’absolu, nous ne pouvons le penser ; cette idée ne serait qu’une pseudo-idée.

Quoi qu’il en soit, les idées d’infini, de parfait, d’absolu sont de simples constructions de l’esprit, d’une valeur purement subjective, et qui résultent d’un travail de l’entendement sur les données expérimentales. Pour les obtenir, nous n’avons qu’à penser par contraste, à concevoir des êtres dont les caractères sont directement opposés à ceux des objets qu’offre l’univers observable. Ainsi, nous ne percevons que des étendues et des durées finies, mais notre imagination, dont l’activité est inépuisable, peut ajouter constamment des étendues ou des durées finies à d’autres étendues ou à d’autres durées finies ; d’où l’idée d’infini. Par ailleurs, notre intelligence, notre puissance, nos qualités, nos joies, etc., sont loin d’être telles que nous voudrions qu’elles soient ; et cette imperfection, nous la constatons pareillement chez les êtres et les choses qui nous entourent. Enlevons les bornes, supprimons les limites et nous aboutissons à l’idée de parfait. Enfin, concevons un être qui, à l’inverse de ce que nous présente l’expérience ordinaire, ne dépende ni de nous, ni d’aucune autre chose, qui existe en lui-même et par lui-même, nous arrivons à l’idée d’absolu. Il est donc inutile de faire intervenir une intuition spéciale pour expliquer les concepts de la raison qui, de prime abord, semblent des plus mystérieux. Pas davantage il n’est besoin de recourir à l’innéité ; l’activité mentale ordinaire, guidée par les principes d’identité et d’universelle causalité, suffit. Mais, le problème du contenu de la raison ainsi résolu, reste celui de son origine, de sa nature, de sa valeur.