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le pape de la colère du roi, tandis que les partisans de Fénelon, nombreux à la cour de Rome, s’agitaient en sa faveur. Comme il est de mode, dans l’Université, d’attribuer un génie transcendant à l’évêque de Meaux, qui fut pourtant un penseur d’une médiocrité insigne, on lui donne généralement raison. Malgré ses préférences personnelles pour Fénelon, Innocent XII condamna finalement (sur les instances de Louis XIV, qui parlait haut et sec) le livre de l’archevêque de Cambrai intitulé Explication des Maximes des Saints. Dans cet ouvrage était soutenue la doctrine du pur amour, désapprouvée, lors des conférences d’Issy, par Bossuet, de Noailles, alors évêque de Châlons, et Tronson, directeur du séminaire de Saint-Sulpice, les trois juges officiellement chargés d’examiner les écrits de Mme Guyon. Loin de s’associer à ceux qui blâmaient le quiétisme, Fénelon en faisait l’apologie. Toutefois, il n’allait pas aussi loin que Molinos, ni même que Mme Guyon. Alors que cette dernière préconisait une méthode permettant d’arriver à un état de contemplation immuable et d’amour pur qui dispensait des autres pratiques religieuses, son défenseur parlait seulement de la possibilité d’un état habituel d’amour divin qui excluait le désir du ciel et la crainte de l’enfer.

Certes, nous n’avons pas plus de sympathie pour cette conception que pour celle de Bossuet. Comme Voltaire, nous trouvons étrange que l’archevêque de Cambrai se soit laissé séduire « par une femme à révélations, à prophéties et à galimatias, qui suffoquait de la grâce intérieure, qu’on était obligé de délacer et qui se vidait (à ce qu’elle disait) de la surabondance de la grâce pour en faire enfler le corps de l’élu assis auprès d’elle ». Ainsi que d’autres saintes canonisées par l’Église, elle avait épousé Jésus-Christ durant une de ses extases. Rendue frénétique par excès d’amour ou, plus exactement, par manque de satisfaction complète, elle donnait à dieu l’assurance qu’elle l’aimait « plus que l’amant le plus passionné n’aimait sa maîtresse ». Elle s’écriait parfois : « Je veux l’amour qui transit l’âme de frissons ineffables, l’amour qui met en pâmoison. » Puis, quand son divin galant l’avait exaucée, elle lui déclarait toute frémissante : « Si vous faisiez sentir aux personnes les plus sensuelles ce que je sens, elles quitteraient bientôt leurs faux plaisirs pour jouir d’un bien si véritable. » Ainsi, Mme Guyon apparaissait digne d’être placée parmi les saintes hystériques, à côté de Catherine de Sienne, de Thérèse d’Ávila, de Marie Alacoque. Ce fut la jalousie de Bossuet qui rendit la chose impossible ; ce prélat était vexé de n’avoir jamais pu atteindre aux extases des grands mystiques ; il enrageait surtout de voir Fénelon plus apte que lui à éprouver ce genre d’émotions. Il faut un parti pris évident pour ne pas reconnaître que, dans cette querelle, comme dans celles qu’il eut avec le père Caffaro, avec Richard Simon et avec d’autres, l’évêque de Meaux fit preuve d’un sectarisme très mesquin. En acteur consommé, Fénelon termina cette affaire par des scènes de haute comédie. Quand il apprit sa condamnation par le pape et les marques d’hostilité que ne lui ménageait pas Louis XIV, il monta en chaire, rétracta publiquement les idées qu’il avait soutenues et publia un mandement où il déclarait se soumettre sans réserve. Puis, ayant assemblé les évêques de sa province, il souscrivit avec eux le bref pontifical qui le condamnait ; et il fit don à sa cathédrale d’un magnifique ostensoir, en souvenir de sa rétractation. En réalité, plusieurs saints, plusieurs chefs d’ordre, approuvés par l’Église, avaient déjà prétendu, comme Mme Guyon, qu’il était possible à tous d’arriver à un état d’oraison extraordinaire. Parmi ses précurseurs, le quiétisme pouvait ranger, à bon droit, les pères et les écrivains mystiques les mieux accrédités ; il trouvait même dans l’Évangile des textes en sa faveur. Dans les premiers siècles de notre ère, les esprits contemplatifs rattachèrent leur doctrine à

saint Jean, dont l’exaltation amoureuse contrastait avec le tempérament positif et la vie militante des autres apôtres. À toutes les époques, certains ascètes admirent que l’âme absorbée en dieu s’oubliait elle-même pour ne plus songer qu’au céleste objet de son affection. Le quiétisme se rattachait à une tradition qui remontait à l’origine du christianisme et qui lui était même antérieure, car elle avait sa source première dans les élans d’un mysticisme érotique, familier aux peuples de l’Antiquité. Si son nom a disparu, il subsiste, néanmoins, en fait, dans l’Église ; aujourd’hui encore, les grandes hystériques des couvents rêvent d’union amoureuse avec Jésus, ce mâle superbe dont elles sentent les caresses pendant leurs contemplations nocturnes ou au moment de la communion. — L. Barbedette.


QUINTESSENCE n. f. Certains philosophes anciens, dans leurs essais d’explication de l’univers, admettaient quatre éléments primordiaux, et Aristote, reprenant une partie des conceptions d’Empédocle, enseignait que la matière provenait de la Terre, ou sec + froid ; de l’eau, ou humide + froid ; du feu, ou sec + chaud et de l’air, ou humide + chaud. À ces quatre éléments, les anciens en ajoutaient un cinquième (quintessence ou cinquième essence), de nature encore plus subtile, animant probablement les quatre autres éléments.

De tous temps, les penseurs profonds ont cherché, au delà du connu immédiat, les causes profondes de l’univers. Bien que leurs moyens d’expérimentation aient été infiniment plus grossiers et réduits que les nôtres, leurs observations et leurs raisonnements, poussés à des degrés surprenants, leur firent réellement trouver les points difficultueux de la compréhension de l’univers ; et si quelques-uns de leurs essais d’explication nous paraissent naïfs, c’est probablement parce que nous ignorons tous les détails techniques de leurs conceptions. Mieux connues, elles nous paraîtraient peut-être moins simplistes et plus ingénieuses.

Il est d’un usage courant, par exemple, de nier toute valeur scientifique à la conception atomistique de Démocrite, parce qu’il ne nous a point laissé les raisons de sa philosophie et parce que son époque ignorait le microscope ou le calcul infinitésimal. On oublie que ses observations constituaient des données aussi certaines que les observations scientifiques actuelles, mais que, faites sur de plus grandes échelles, elles ne pouvaient engendrer que des concepts plus généraux. C’est ainsi que le spectacle de l’évolution et de la transformation de toutes choses, l’accroissement des êtres vivants, leur disparition progressive et totale suggérèrent l’idée de particules extrêmement ténues, puisqu’elles échappaient à toute observation directe, s’agrégeant les unes aux autres en nombre prodigieux, vu leur petitesse infinie. Mais l’absence d’évaluation exacte et d’observations plus précises ne permit, à ces penseurs géniaux, que des conceptions forcément plus vagues et plus générales que celles plus récentes sur la constitution élémentaire de l’univers.

Ceci nous montre que la connaissance philosophique s’effectue dans deux voies parallèles : l’une strictement expérimentale et analytique, qui nous donne le monde tel qu’il est, au temps présent, dans les limites étroites des expériences sensorielles ; l’autre synthétique, groupant toutes les données sensorielles pour en extraire les rapports, les causalités, les identités, les variations, etc., en vue de découvrir des processus applicables à tous les problèmes posés par la curiosité humaine et les expliquant.

Il est donc évident que, toujours, la synthèse dépendra de l’analyse, et qu’une analyse grossière, imparfaite et superficielle ne saurait aboutir à une synthèse profonde et définitive. C’est pourquoi nous assistons à des modifications successives et incessantes des conceptions de la matière et de l’énergie, conceptions dépas-