Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PAT
1993

ses frères ; et Albe à Curiace et ses frères. Mais Sabine, sœur de Curiace est femme d’Horace ; et Camille, sœur d’Horace est la fiancée de Curiace. Le Vieil Horace va démêler cet imbroglio, car il est le gardien de la flamme. Tous, sauf Camille, si humaine, si tendre, si femme, si « antipatriote » — malgré ses préjugés — sont des fanatiques de la patrie.

Et nous voyons que :

1° Il est glorieux de mourir pour son pays. Cela devient presque un plaisir.

Horace :

Quoi, vous me pleureriez, mourant pour mon pays !
Pour un cœur généreux ce trépas a des charmes,
La gloire qui le suit ne souffre point de larmes ;
Et je le recevrais en bénissant mon sort,
Si Rome et tout l’État perdaient moins à ma mort. (II-1.)

Quand on apprend à Curiace qu’il est désigné pour se battre, surpris, il dit :

Je m’estimais trop peu pour un honneur si grand. (II-2.)

Et Horace déclare à son tour :

Mourir pour le pays est un si digne sort,
Qu’on briguerait en foule une si belle mort. (II-3.)

2° Mourir pour la patrie, c’est l’immortalité.

Curiace :

A vos amis pourtant permettez de le craindre ;
Dans un si beau trépas, ils sont les seuls à plaindre ;
La gloire en est pour vous, et la perte pour eux ;
Il vous fait immortel, et les rend malheureux. (II-1.)

3° Le patriote doit obéir aveuglément.

Horace :

Contre qui que ce soit que mon pays m’emploie,
J’accepte aveuglément cette gloire avec joie. (II-3.)

4° Lorsque la défense de la patrie l’exige, il n’y a plus ni parenté, ni amour, ni amitié qui compte.

Curiace :

Dis-lui que l’amitié, l’alliance et l’amour
Ne pourront empêcher que les trois Curiaces
Ne servent leur pays contre les trois Horaces. (II-2.)

Cela frise la folie :

Horace :

Avec une allégresse aussi pleine et sincère
Que j’épouserai la sœur, je combattrai le frère ;
Et pour trancher enfin ces discours superflus,
Albe vous a nommé, je ne vous connais plus. (II-3.)

Dans les recommandations à sa sœur Camille, Horace dit :

— S’il est tué par son futur beau-frère :

Ne le recevez point en meurtrier d’un frère. (II-4.)

— Et s’il tue :

Ne me reprochez point la mort de votre amant. (II-4.)

Comme consolation :

Querellez ciel et terre, et maudissez le sort. (II-4.)

Voilà, c’est simple.

Et Curiace ne prend pas de gants pour éloigner Camille :

Avant que d’être à vous, je suis à mon pays. (II-5.)

La patriote Sabine poussant son mari et son frère à s’entre-tuer, envisageant un recul — impossible — dit :

Si ce malheur illustre ébranlait l’un de vous,
Je le désavouerais pour frère ou pour époux, (II-6.)

Et plus loin :

Enfin, je veux vous faire ennemis légitimes. (II-6.)
Ce qui est évidemment très gentil.

Au troisième acte, elle attend l’inévitable avec une tranquillité de future veuve joyeuse :

La mort qui les menace est une mort si belle,
Qu’il en faut sans frayeur attendre la nouvelle (III-1.)

Enfin, pour qu’on ne l’ignore pas, Horace, après avoir tué sa sœur, répète la formule du patriotisme triomphant :

Qui maudit son pays renonce à sa famille. (IV-6.)

L’amour au-dessus de la Patrie, quelle hérésie ! Horace, assassin de son beau-frère, reproche à sa sœur de penser encore à Curiace :

D’un ennemi public, dont je reviens vainqueur,
Le nom est dans ta bouche et l’amour dans ton cœur ! (IV-5.)

Et, pour la punir, il la tue. Les patriotes sont gens curieux qui ne parlent qu’amour, honneur, devoir, mais le crime est leur suprême ressource.

Le plus hideux personnage est certainement le vieil Horace. Il bénéficie d’ailleurs du privilège de tous ces vieillards — trop décrépits pour payer de leur personne — qui font bon marché de la peau des autres :

a) Il pousse ses fils au combat :

Ne pensez qu’aux devoirs que vos pays demandent. (II-8.)

b) Il menace :

Si par quelque faiblesse, ils l’avaient mendiée (la pitié)
Si leur haute vertu ne l’eût répudiée,
Ma main bientôt sur eux m’eût vengé hautement
De l’affront que m’eût fait ce mol consentement. (III-5.)

Il eût trouvé alors assez de force pour tuer ses fils ; quant à se battre lui-même contre ses ennemis, vous ne le voudriez pas ?

c) Il est fier et heureux de la mort de ses deux fils et regrette seulement que le troisième ait réchappé. O d’un triste combat, effet vraiment funeste !

Rome est sujette d’Albe ! Et, pour l’en garantir,
Il n’a pas employé jusqu’au dernier soupir ! (III— 6.)

Plus loin, il dit encore :

Deux jouissent d’un sort dont leur père est jaloux. (III-6.)

Il ne tenait qu’à lui, certes, de les suivre ; mais il préfère vivre. Ce n’est d’ailleurs pas le chagrin qui le tuera. Sans une larme, il se console en disant :

La gloire de leur mort m’a payé de leur perte. (III-6.)

d) Il souhaite la mort de ce troisième fils lorsqu’il se figure qu’il s’est enfui :

Et nos soldats trahis ne l’ont point achevé ! (III-6.)

Et c’est là qu’il dit le fameux :

Qu’il mourût ! (III-6.)

« Ce trait du plus grand sublime. » (Voltaire.) Sublime comme effet théâtral, sans doute, mais qui révèle une mentalité abjecte.

e) Il deviendra criminel :

Il est de tout son sang comptable à sa patrie ;
Chaque goutte épargnée à sa gloire flétrie ;
Chaque instant de sa vie, après ce lâche tour,
Met d’autant plus sa honte avec la sienne au jour,
J’en romprai bien le cours… (III-6.)

Et encore :

......... ces mains, ces propres mains
Laveront dans son sang la honte des Romains. (III-6.)