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pur esprit, éternel, infiniment bon, juste, parfait, miséricordieux, omnipotent et omniscient, qui a créé le monde et les êtres qui le composent et l’habitent. L’univers, dans son ensemble comme dans ses moindres détails, doit être nécessairement sans défaut ; jamais il ne peut y avoir une seule avarie dans l’agencement parfait des multiples rouages composant le mécanisme du cosmos ; car, émanant d’un être parfait, le monde doit être parfait. Une fois créé, il doit continuer à évoluer sans heurts, ni accidents, puisqu’il réalise la perfection.

Comment admettre alors un dieu gouverneur, une providence qui surveille, dirige, répare, même, l’œuvre parfaite du créateur ? La nécessité d’un gouverneur, d’un technicien surveillant la gigantesque machine qu’est l’Univers est incompatible avec la perfection du geste créateur, car l’intervention de ce technicien prouve sans conteste la maladresse et l’incapacité du créateur. Que penser alors d’un dieu maladroit, d’un ouvrier qui rectifie sans cesse son œuvre ? Comment concilier cette notion avec celle de la toute-puissance et de l’omniscience d’une entité infiniment parfaite ? Supprimer un attribut de Dieu, c’est nous mettre en présence d’un dieu incomplet et nous forcer à nier son existence. La providence nie donc le créateur, et le monde, loin d’être le résultat d’une création absurde et impossible, se conserve éternellement par sa virtualité propre, et ses lois sont, aujourd’hui, ce qu’elles étaient hier.

En second lieu, la croyance à un dieu gouverneur est la négation absolue de l’activité intellectuelle et matérielle de l’humanité. Elle nous force à admettre et à pratiquer un fatalisme absolu, plus rigoureux dans son application que la doctrine du déterminisme biologique que les croyants rejettent avec horreur. Si Dieu gouverne l’Univers, depuis le plus petit phénomène jusqu’au plus complexe ; s’il dirige aussi bien l’apparition d’une comète, l’évolution d’une nébuleuse que l’éclosion d’une humble fleurette ou la chute d’un grain de sable, il ne se passe rien dans le monde qui ne soit l’expression de sa volonté. Contre elle, l’homme ne peut rien, jamais il ne pourra en arrêter l’action bienfaisante ou maligne : on ne lutte pas contre la volonté divine. Si elle dirige les mondes dans l’espace et maintient l’harmonie dans l’univers, quel besoin d’imaginer une mécanique céleste et d’en rechercher les lois ? Si elle régit le moindre phénomène, la science devient inutile, nuisible même puisqu’elle s’oppose à la volonté divine. Toute recherche est vaine, puisque Dieu ne nous permettra de connaître des secrets de la nature que ce qu’il voudra bien nous montrer et qu’il peut, à tout instant, bouleverser toute son œuvre. Ce thème n’est-il pas la consécration absolue de la passivité humaine ; ne conduit-il pas aux renoncements les plus complets ? N’est-il pas la négation de tout effort, de toute lutte, de toute recherche. L’homme est réduit à jouer, dans le monde, un rôle de pantin, de marionnette grotesque dont la divinité tire les ficelles à sa fantaisie.

La notion de providence se détruit immédiatement lorsqu’on réfléchit à l’existence du mal. Le mal existe ; mal moral et mal physique. Partout nous constatons l’existence perpétuelle et universelle de la douleur, la lutte et l’inégalité entre les êtres. La loi de la vie, notamment, est d’une indicible cruauté et, à tout instant, des catastrophes dévastent le monde : inondations, séismes, typhons, éruptions volcaniques, etc. Les souffrances morales sont tout aussi nombreuses, aussi destructives que les manifestations brutales de la nature.

Puisqu’une providence gouverne la nature, il faut bien croire que tous ces cataclysmes, que toute cette souffrance sont son œuvre. Comment l’idée d’un dieu infiniment bon peut-elle se concilier avec toutes ces horreurs ? Si la providence existe, elle est l’auteur responsable de la souffrance, puisque rien n’arrive sans

sa volonté. Dieu fait alors figure d’un despote implacable, d’un tortionnaire cruel qui se réjouit du mal de ses créatures. Reprenons à notre compte le raisonnement d’Épicure et posons avec lui les questions suivantes : ou dieu veut supprimer le mal du monde et ne le peut pas, ou bien il le peut et ne le veut pas. S’il le veut sans le pouvoir, il n’est pas tout-puissant ; s’il le peut sans le vouloir, il n’est pas infiniment bon. Dans les deux cas, il cesse d’être dieu, parce que ses attributs se contredisent et s’excluent mutuellement. La providence nie donc l’infinie bonté et la toute-puissance du Créateur !

Comme les autres attributs de dieu, la notion de Providence s’avère non seulement impossible, mais nuisible.

Les preuves tirées de l’ordre du monde et de l’harmonie universelle, preuves sur lesquelles elle s’appuie, ne sont convaincantes que pour ceux qui ne veulent juger les notions qu’on leur inculque qu’en faisant usage de la logique du sentiment ; elles permettent de faciles développements poétiques et déclamatoires qui dispensent de chercher l’essence des choses et de conduire les raisonnements selon les règles de la logique pure. Faisant avant tout appel aux sentiments, elles sont consolantes et, comme l’a dit le poète :

Le malheur inventa le nom de Providence,
L’infortuné qui pleure a besoin d’espérance.

Elles empêchent de voir les choses telles qu’elles sont, et conduisent sûrement à des aberrations sociales : soumission, résignation, en éliminant l’homme, entité réelle, au profit de la divinité, entité fantôme. — Ch. Alexandre.


PRUD’HOMIE, n. f. PRUD’HOMME n. m. Prud’homie a le sens de probité, sagesse dans la conduite, grande expérience des affaires. Le mot Prud’homme signifie homme sage, probe et avisé. Nous ne nous occuperons ici de Prud’homie que considérée comme une institution juridique ayant une mission déterminée, et de Prud’homme que comme membre de ce qu’on appelle les conseils de Prud’hommes. Le dictionnaire Larousse définit ainsi ces Conseils : « Les Conseils de Prud’hommes ont pour mission de concilier ou de juger rapidement les contestations s’élevant entre patrons et ouvriers, relativement à l’exercice de leur industrie. Ils ont été institués par la loi du 18 mars 1806, modifiée et complétée par les lois des 14 juin 1853, 7 février 1880 et 11 décembre 1884. Ils sont établis sur la demande motivée des chambres de commerce ou des chambres consultatives des arts et manufactures. Il n’en existe que dans les villes constituant des centres industriels. Ils sont recrutés parmi les patrons et les ouvriers, en nombre égal, et se composent d’au moins six membres, non compris le président, le vice-président et le secrétaire. Ils sont élus pour six ans et se renouvellent par moitié tous les trois ans. La liste des électeurs est arrêtée par le préfet ; elle comprend les patrons, les chefs d’ateliers, les contremaîtres et les ouvriers. Pour être éligible, il faut être électeur, être âgé de trente ans accomplis, savoir lire et écrire. Tout conseil de prud’hommes se divise en deux bureaux, qu’il constitue lui-même : l’un appelé bureau particulier ou de conciliation ; l’autre, bureau général ou de jugement. Le bureau particulier est composé de deux membres : l’un est patron, l’autre ouvrier ; il a pour mission de régler à l’amiable les contestations. Au cas de non-conciliation, l’affaire est renvoyée devant le bureau général, qui statue en dernier ressort, lorsque le chiffre de la demande n’excède pas 200 francs en capital ; s’il excède cette somme, il y a appel possible devant le tribunal de commerce. »

Le Dictionnaire Larousse n’en dit pas plus, mais ce qu’il dit est exact, sauf à tenir compte des modifications apportées depuis la guerre de 1914-1918, en ce qui con-