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PAT
1991

rer ses productions ( !) il faut qu’il soit descendu bien bas. Prenons dans le tas (avec des pincettes). C’est Rosalie « chanson à la gloire de la terrible petite baïonnette française » dit le sous-titre :

Sois sans peur et sans reproche,
Et du sang impur des boches
      Verse à boire !
Abreuve encore nos sillons.
      Buvons donc !

Et encore, dans La petite Mimi :

Quand ell’ chante à sa manière :
Ta ta ta, ta ta ta… ta… ta… ta… tère
Ah ! Que son refrain m’enchante !
Je l’appell’ la Glorieuse,
Ma p’tit’ Mimi, ma p’tit’ Mimi, ma mitrailleuse.
Rosalie me fait les doux yeux,
Mais c’est ell’ que j’aim’ le mieux !

           Refrain
          Quand les Boches,
          Nous approchent,
Après un bon « démarrage » ”,
Nous commençons l’ « fauchage »
          Comm’ des mouches
          Je vous couche
Tous les soldats du Kaiser,
Le nez dans vos fils de fer
Ou les quatre fers en l’air !

Pardon. Arrêtons-nous pour éviter la nausée, et passons au genre sublime avec l’ineffable feu Paul Deschanel. Celui-ci opérait à la Chambre. On a réuni ses discours dans un opuscule intitulé : Les commandements de la Patrie. Et voici quelques perles :

— « Jamais la France ne fut plus grande, jamais l’humanité ne monta plus haut. »

— « …saintes femmes, versant aux blessures leur tendresse, mères stoïques ; enfants sublimes, martyrs de dévouement ; et tout ce peuple impassible sous la tempête, brûlant de la même foi : vit-on jamais en aucun temps, en aucun pays, plus magnifique éclosion de vertus ? »

— « Ah ! C’est que la France ne défend pas seulement sa terre, ses foyers, les tombeaux de ses aïeux, les souvenirs sacrés, les œuvres idéales de l’art et de la foi, et tout ce que son génie répand de grâce, de justice et de beauté, elle défend autre chose encore : le respect des traités. »

— « Et voici que l’Angleterre, visée au cœur, affronte les nécessités nouvelles de son destin et, avec le Canada, l’Australie et les Indes, poursuit à nos côtés, dans le plus vaste drame de l’histoire, sa glorieuse mission civilisatrice. » (Séance du 22 décembre 1914).

— « Chacun de ses soldats, devant les fils de fer sanglants, redit le mot de Jeanne : « Vous pouvez m’enchaîner, vous n’enchaînerez pas la fortune de la France. » Et du fond de la tranchée fangeuse, il touche le sommet de la grandeur humaine. »

— « Il serait scélérat d’ôter par une parole, par un geste, la moindre parcelle de foi à ceux qui se battent avec un invincible courage. » (Séance du 5 août 1915).

Dans un discours à l’Institut, il disait aussi, le 25 octobre 1916 :

— « Les héros qui affrontent la mort savent qu’avant de s’éteindre, leur vie, flamme brève, en allume une autre, immortelle. »

— « Oui, cette sublime jeunesse va à la mort comme à une vie plus haute. »

Et à côté de ces pitres de l’estrade ou de la tribune, que d’autres sous-produits chauffant l’opinion dans la

presse vénale, journellement, avec une constance d’autant plus rigoureuse qu’ils sont mieux rétribués ! Que n’en a-t-on lu des phrases dans le genre de celles-ci :

« La jeunesse sent obscurément qu’elle verra de grandes choses, que de grandes choses se feront par elle. Et son optimisme patriotique, sa confiance, elle l’a imposée à tous, avec une force invincible. Bien plus elle a réagi sur ceux-là même qu’avait séduits, jadis, l’illusion humanitaire. Avoir redonné à ses aînés le sens des réalités françaises, c’est ce qu’on pourrait appeler le miracle de la jeunesse. » (H. Massis et A. de Tarde, Le Matin, 23 janvier 1913.)

Ou encore :

« Nous ne pouvions passer sous les yeux immobiles de cette chère figure muette et voilée (la statue de Strasbourg, place de la Concorde), sans ressentir au fond de nous-mêmes une secrète humiliation de notre défaite et comme un remords persistant de notre inaction. » (Poincaré, 17 novembre 1918.)

Mais ici, rien ne nous étonne de l’homme qui se complaît « dans la jolie symétrie française de ces tombes dans le réveil de ce pays si longtemps opprimé. » (11 mai 1915).

Où le cynisme des prêtres s’étale dans ce qu’il a de plus abject, c’est lorsqu’ils utilisent les morts au service de leur religion. Et avec quel art ils opèrent ! D’ailleurs, pas de danger ; ils sont si sages les disparus ! « Ils ne réclament rien, pas même la gloire qu’on leur octroie si généreusement. Pas un seul ne se plaint. Ils approuvent et sanctionnent invariablement par leur silence forcé, la cause même de leur destruction avec une unanimité aussi absolue que compréhensible. Aussi il faut voir comme on use et abuse de leur mutisme pour leur faire dire et redire ce qu’on veut. » (Lux.)

Que ne feraient-ils pas que ne diraient-ils pas en effet, ces morts si heureux, si serviables, si intéressés — au sort des vivants ! Ce serait à mourir de rire si ce n’était si bête. Voyez plutôt :

« J’imagine que des profondeurs de l’immortalité ceux qui, jadis, ont triomphé à Tolbiac, à Bouvines, à Rocroi, à Denain, à Valmy, de notre perpétuel ennemi, ceux mêmes qui, dans les temps plus anciens, à Marathon, aux Thermopyles, à Salamine, à Platées, ont lutté aussi pour la liberté et la civilisation contre la lourde et tyrannique barbarie, jettent à pleines mains des lauriers sur les héros qui ont combattu aux rives de la Marne comme sur ceux qui, avec une endurance et une abnégation sublimes, ont défendu Verdun.” (Discours à la Distribution des prix du collège de Vitry-le-François, 13 juillet 1916, Jovy).

Et Deschanel :

— « Mais non ! La France n’oubliera plus, elle ne peut plus oublier ; à l’appel héroïque, ses morts se sont levés, ils sont debout, ils la regardent. »

Et c’est le culte de la charogne : « Partout, dit Lux, les « morts glorieux » sont exposés et balladés triomphalement dans les rues sur un char militaire pavoisé de drapeaux, avec un goût dont la grossièreté n’exclut pas le ridicule. On inaugure en leur honneur des monuments hideux. Et les cérémonies macabres, ayant la douleur vaniteuse des familles comme complice, la curiosité des badauds comme cortège, sanctifient, sous la présidence des assassins officiels, le grand crime de la guerre et proclament, en même temps, la gloire de la victime avec celle des bourreaux. »

L’Arc de Triomphe est devenu le grand Temple du patriotisme, la Kasba des pèlerins. « Comme si ce n’était pas assez, on a corsé le spectacle : « La Flamme du souvenir » s’est allumée pour remémorer éternellement le triomphe du crime uni à la sottise. « L’appel des