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ploiera de l’initiative. Il acquerra une fierté de l’œuvre accomplie, une saine satisfaction personnelle, un intérêt si vif à son travail qu’il lui sera une source de joie de vivre et non plus un collier de misère. Le même goût au travail, le même souci d’une exécution irréprochable, la même lutte contre la routine et le « toujours pareil » se retrouveront dans tous les métiers, dans toutes les activités possibles – ce qui, à l’heure actuelle, n’est le privilège que d’une minorité, le plus souvent de travailleurs intellectuels, artistes, savants, écrivains, tous ceux qui œuvrent sous l’impulsion d’une vocation ou d’un choix déterminés.

La propriété ainsi comprise et mise en pratique n’a plus rien de commun avec « la propriété c’est le vol » ; elle marque un degré d’évolution et semble devoir être à la base de l’émancipation totale, de l’affranchissement de toutes les autorités. Ce sera la puissance créatrice restituée à chaque individu, selon ses capacités, bien entendu.

Il est évident que des accords peuvent survenir entre les consommateurs-producteurs pour que soit évitée la surproduction, qui ne s’entendrait, la spéculation ayant disparu, que du surplus de la production, une fois que celle-ci aurait couvert les nécessités du producteur, isolé ou associé, ou que, par le jeu des échanges, ces nécessités auraient été satisfaites. Spéculation et exploitation ayant disparu, on ne voit pas que l’accumulation présente plus de dangers que dans le communisme. À vrai dire, qu’il s’agisse de communisme ou d’individualisme, leur réalisation économique au point de vue pratique ne peut être séparée d’une mentalité nouvelle, d’une auto-conscience rendant inutile le contrôle, sous quelque nom qu’on le désigne.

L’anarchisme, dans quelque domaine qu’on le conçoive, est fonction de l’entière absence de contrôle ou de surveillance, l’un et l’autre ramenant toujours à la pratique de l’autorité. — E. Armand.

PROPRIÉTÉ. La propriété représente la chose possédée en propre ; mais il n’y a de chose possédée, de propriété, que par rapport à l’homme.

La propriété, ou appartenance, comprend tout corps qu’un être capable de raisonner se rend propre, s’approprie pour son usage exclusif.

Il y a plusieurs espèces de propriétés que l’on désigne sous les noms de : propriété foncière et mobilière ; propriété individuelle et collective ; propriété de droit absolu et de nécessité relative ; propriété corporelle et enfin propriété intellectuelle.

Au cours des âges et des situations sociales, l’homme, stimulé par le besoin, approprie à son usage ce qu’il estime pouvoir lui être utile, soit en le produisant lui-même, soit en le recevant du producteur en don, en prêt à loyer ou à titre vénal.

En légalisant la possession exclusive qu’elle garantit comme propriété, la société sanctionne le travail qui est censé n’avoir de rapport qu’avec un besoin rationnel et non d’abus. Il va sans dire que partout où il ya société, il y a propriété.

Pour vivre, la société, qui est la collection des individualités, légitime la propriété en l’organisant relativement aux circonstances et à l’avantage exclusif des classes dirigeantes.

Sans entrer dans des développements qui auront leur place ailleurs, nous allons brièvement nous occuper des propriétés annoncées, et tout particulièrement de la propriété foncière,

Selon la période à laquelle on l’analyse, la propriété foncière s’annonce sous un aspect plus ou moins différent quant à son organisation. À l’origine des sociétés, étant donné l’étendue de l’Univers et la faible population qui l’habitait, la propriété foncière prenait certains aspects selon les circonstances et les besoins de ceux qui se l’appropriaient. L’ordre était plus facile à obte-

nir que de nos jours. De modifications en modifications, la propriété foncière, à travers les âges, aboutira à la propriété individuelle de notre époque. Ces diverses modifications, apportées au droit de propriété, n’ont été possibles que par l’ignorance des peuples tenus à dessein en dehors des connaissances de l’époque. Ce qui a été relativement bien à un moment donné ne l’a pas été à un autre et ne l’est plus à notre époque. Aliénée à un ou à plusieurs, la propriété foncière a été base d’ordre despotique, comme elle sera base d’ordre rationnel lorsqu’elle sera aliénée à tous, ce qui mettra le sol à la disposition de qui voudra l’utiliser.

Ainsi, le sol, ou propriété foncière générale, se présente à l’homme sous le caractère de l’indispensabilité. Il n’en est pas de même de la propriété mobilière, qui est le résultat du travail sur ou dans le sol, et qui représente le capital, c’est-à-dire une chose utile qui aidera à la production de richesses nouvelles. Mais l’économie politique, qui est la science de la production organisée pour l’intérêt des classes possédantes et dirigeantes, confond adroitement l’utile avec le nécessaire ; et ce petit tour de passe-passe légitime l’exploitation des masses au profit des minorités régnantes et possédantes. C’est de l’escamotage social fait au nom de la légalité.

Quand la liberté est suffisante pour examiner la justice de l’opération, l’appropriation individuelle du sol est un des principaux mobiles de l’anarchie en progrès accéléré. Tenues dans l’ignorance, les masses, à qui on apprend mille choses, et qu’on évite d’instruire sur les causes de leur misère et de leur servitude, s’agitent sur des buts plus ou moins puérils, socialement parlant, et n’agissent pas pour leur véritable intérêt. Elles sont le jouet d’illusions habilement entretenues pour le profit personnel des élites et de leur état-major.

Réfléchissons que la propriété mobilière – ou capital – est toujours fonction du régime d’appropriation du sol, et que rien ne peut changer – socialement – tant que la source passive de toute richesse reste appropriée individuellement.

Pour arriver à l’ordre social réel, une partie de la propriété mobilière, et provenant des générations passées, doit entrer, avec la propriété foncière, au fonds commun de prévoyance sociale. Quant à la richesse intellectuelle, dans une société organisée dans l’intérêt de tous, elle doit être socialement distribuée et rendue accessible à chacun suivant ses aptitudes.

Partout où la propriété s’annonce comme étant la prolongation de la personnalité humaine, cette propriété représente le fondement et le respect de la liberté individuelle qui permet une égalité relative dans une atmosphère de fraternité sociale. — Elie Soubeyran.


PROSCRIPTEUR n. m. Celui qui proscrit. « Tous les temps et tous les régimes ont eu des proscripteurs », indique le Dictionnaire Larousse, sans autre commentaire sur ce mot.

Nous pouvons ajouter que le proscripteur est, en effet, celui qui proscrit ; mais celui-ci, s’il n’est le tyran lui-même, en est l’instrument, le valet, l’exécuteur officiel des hautes et basses œuvres.

En régime d’autorité, c’est ainsi que s’administre la volonté de l’empereur ou du roi contre les sujets récalcitrants ou simplement mécontents, le « bon plaisir » du souverain fait loi. On ne peut s’étonner qu’il y ait des proscripteurs quand on ne s’étonne pas qu’il y ait des monarques de droit divin ou des usurpateurs audacieux se faisant proclamer, par la ruse ou par la force, les maîtres d’un peuple ou d’une nation.

D’ailleurs, ne sont-ce pas souvent les peuples qui réclament des tyrans, comme les grenouilles de la fable demandaient un roi ? Mais il arrive aussi que les peuples se débarrassent de leurs monarques. Il est évidemment plus rare de voir un peuple supprimer son tyran