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rapports entre les faits déjà constatés et, de la sorte, constituent une découverte que la science s’assimile par une coordination rationnelle en un système plus large et d’une portée plus étendue. Ces variations constituent un changement de forme, un progrès… Il en est de même de la civilisation qui varie avec les circonstances ; de même, aussi, pour l’organisation sociale, qui se modifie avec le besoin d’ordre. L’on peut en dire autant des religions révélées, qui dépendent du plus ou moins d’appui que les sociétés ou gouvernements leur demandent pour se conserver. L’exemple récent du pape-roi est la caractéristique de notre époque où l’odieux le dispute au ridicule. L’ignorance sociale du peuple et des… élites peut, seule, expliquer ce que certains considèrent comme un progrès, lorsque bien d’autres n’y voient qu’un recul de la civilisation. Ces variations sont le résultat d’une marche quelconque et représentent en bien ou en mal un progrès.

La raison, la morale, la justice, c’est-à-dire la vraie religion ne peuvent varier sans cesser d’être vérité. Pour elles, le mieux est l’ennemi du bien et il n’y a pas de progrès possible ; aussi, un protestantisme, si bien ordonné qu’il paraisse, ne représente qu’une succession non interrompue de variations.

Une agitation aussi confuse, dans un ordre social quelconque, mène nécessairement à reconnaître la nécessité de mettre un terme à ce progrès déréglé que la raison condamne et l’expérience confirme.

L’on a l’habitude de dire : il faut toujours marcher. À cette proposition, nous dirons oui et non. En effet, marcher est bien si l’on sait que la route qu’on suit nous mènera au but recherché ; mais marcher est indifférent et même mauvais si, en suivant le chemin à parcourir, on dépasse le but et si l’on aborde le port de l’Indifférence ou de l’Abîme. On marche pour arriver à un but et, le but atteint, on s’arrête ; marcher encore serait montrer qu’on ne savait pas ce qu’on voulait ; et dépasser le but, c’est le manquer.

Quand les hommes veulent avancer réellement, se sentant mal là où ils sont, il faut qu’ils soient convaincus de la possibilité d’être bien dans certains cas déterminés ; sans cela, ajouter à leurs maux le mal inutile de s’agiter sans résultats rationnels serait une folie.

Lorsque l’Humanité sera bien, quand les hommes arrivés au terme du progrès moral sauront qu’ils ont, qu’ils possèdent tout le bonheur qu’ils méritent, va-t-on supposer qu’ils s’agiteront encore pour retomber au mal ? De ce qu’ils ont mal raisonné jusqu’à ce jour, faut-il conclure qu’ils raisonneront toujours mal ? Nous ne le pensons pas. S’ils le faisaient, ce serait pour être mal de nouveau ; et alors ils ne seraient effectivement que des toupies ou des écureuils qui tournent sans savoir pourquoi, et le mot progrès n’aurait même plus aucune signification.

À notre époque d’ignorance sociale, le progrès dans le mal est certain et sert à titre d’indication nécessaire. N’oublions pas qu’il n’y a de mal que celui qu’on sent inévitablement ; ils ne sentent le mal qu’au physique.

Aussi longtemps qu’on peut faire croire aux malheureux qu’ils sont dans cette situation providentiellement, inévitablement, ils ne sentent le mal qu’au physique, ce qui, pour les exploiteurs des masses laborieuses, est peu de chose. Ce n’est que quand ces malheureux examinent, que la société ne peut plus les empêcher de comparer et de discuter, que les prolétaires sentent moralement leur malheur et cherchent à s’y soustraire. Pendant que les prolétaires s’agitent au lieu d’agir, et espèrent, par des moyens de fortune, faire cesser leurs souffrances, le mal contre lequel ils s’insurgent, plus ou moins chaotiquement, continue à être, en attendant une éducation rationnelle, une condition d’ordre relatif dans la société capitaliste.

À mesure que les prolétaires laisseront tomber les œillères qui les empêchent de voir clair, ils prendront

conscience de la valeur de leur personnalité, aussi bien que des conditions sociales qui leur sont faites par leurs seigneurs modernes, et s’appliqueront à anéantir le paupérisme moral et matériel qui sert de refuge aux maux qui les accablent.

Les apôtres du progrès continu sont, par cela même, des partisans de réformes partielles et successives qui ne portent que sur les effets en laissant subsister la cause ; elles sont empiriques et ne peuvent que prolonger l’agonie d’une société qui se meurt d’hypocrisie et d’exploitation économique et sociale.

Ces prétendues réformes, plus ou moins empreintes d’éclectisme, ne font qu’entretenir le mal au lieu de le supprimer et ne constituent un progrès qu’en apparence. C’est ainsi que le bien n’étant pas déterminé, tout progrès est un pas de plus vers le mal. Par là, nous voyons que le malheur est essentiellement progressif ; s’il n’en était pas ainsi, il serait tolérable et n’aurait pas de fin. C’est le progrès excessif du mal qui imposera à l’Humanité la nécessité de s’y soustraire et la mettra sur la voie de la Vérité, de la Justice qui est son unique remède.

À ce moment, le progrès, dans tous les domaines, donnera toute la mesure de ses possibilités. — Elie Soubeyran.


PROGRESSION n. f. (du latin progredi, progressus, avancer). Une progression mathématique est constituée par une suite de rapports égaux ; elle peut être ascendante ou décroissante. Toutes les sciences adoptent cette signification dès qu’il s’agit de mesure et de calcul. En psychologie, Fechner, formulant la fameuse loi psychophysique qui porte son nom, déclare que, quand les excitations croissent en progression géométrique, les sensations croissent en progression arithmétique. Ce qu’on peut résumer, d’une façon plus simple, en disant que les sensations croissent comme les logarithmes des excitations. Dans la progression géométrique, on passe d’un terme à un autre en le multipliant par une quantité fixe : on aura 1, 2, 4, 8, par exemple, ce qui représente 1, 1 × 2, 2 × 2, 2 × 2 × 2. Dans la progression arithmétique, on passe d’un terme à un autre en ajoutant toujours une même quantité ; ainsi, la progression 1, 2, 3, 4 équivaut à 1, 1 + 1, 1 + 1 + 1, 1 + 1 + 1 + 1. On a d’ailleurs fortement critiqué la formule de Fechner ; ceux qui en admettent le principe déclarent que le rapport exact d’une excitation à la sensation provoquée est beaucoup plus compliqué qu’elle ne le suppose. La progression mathématique croissante aboutit rapidement à des chiffres invraisemblables. C’est ainsi que la reproduction des êtres unicellulaires par simple division (chaque cellule donnant naissance à deux cellules nouvelles) conduit parfois à des résultats stupéfiants. Placées dans des conditions favorables, certaines bactéries donnent journellement 70 générations. Il en résulte, d’après les calculs, qu’en vingt-quatre heures, une seule bactérie pourrait produire une quantité de microbes si énorme qu’il est difficile de l’exprimer numériquement. Le poids de cette masse égalerait 4.720 tonnes. Un infusoire qui, en sept ans environ, donnerait 4.473 générations, constituerait, d’après les calculs de Woodruff, une masse protoplasmique dont le volume surpasserait plus de 10.000 fois celui de la Terre. Pour atteindre un volume égal à celui de notre globe, quatre mois suffiraient. Et, si les conditions favorables de développement lui étaient maintenues durant quelque cent ans, elle pourrait combler l’univers visible par sa seule multiplication. Heureusement pour nous, les microbes rencontrent des conditions qui retardent ou empêchent cette pullulation ; et nous n’avons pas à craindre qu’un pareil événement survienne jamais.

Sans s’arrêter à des considérations numériques, on emploie aussi le terme progression pour désigner une