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officielle a longtemps raillé Boucher de Perthes avant de s’incliner devant les preuves indiscutables qu’il apportait. Selon l’opinion de certains auteurs il ne serait pas impossible même que l’homme ait vécu à l’époque tertiaire (périodes pliocène). La découverte de silex ouvragés et d’ossements d’animaux entaillés rencontrés dans des gisements très anciens en seraient une preuve (mais non décisive). D’après l’examen des squelettes et surtout des crânes (race de Néanderthal) l’homme primitif était d’une extraordinaire bestialité et d’une robusticité très grande. Crâne très aplati, front fuyant, arcades sourcilières volumineuses, région occipitale projetée et en arrière, marche légèrement fléchie sur les jambes, etc., tous caractères qui placent l’Ancêtre entre le Singe et l’Homme actuel. (Pithécanthrope). Puis, les races se sont mélangées, de nouvelles ont surgi et l’homme, peu à peu, par son intelligence, est sorti de l’animalité primitive. A l’âge de la pierre (période quaternaire et début de la période actuelle) « nos ancêtres en sont arrivés à un degré de civilisation qui ne permet plus de les considérer comme des primitifs ». (Histoire des Peuples, Maxime Petit-Larousse, édit.).

L’Homme subit autant l’influence du passé que celle du milieu dans lequel il vit. C’est pour cela que dans la mentalité des hommes d’aujourd’hui on constate, en maintes occasions, la survivance de la mentalité primitive. Le vernis de la « civilisation » — très superficiel — laisse apparaître les rudes instincts de l’Anthropoïde, et tel acte qui peut sembler grossier, « immoral », hors-nature, n’est que la répétition de milliards d’actes semblables commis dans les temps reculés. — Ch. B.


PRINCIPE (n. m. du latin principium, origine, commencement). Les sens de ce mot sont nombreux. Il est parfois synonyme de source première, de raison d’être. On l’applique aux éléments constitutifs des corps. Il convient aux règles de la morale, de la science, de l’art. Une sèche énumération des principes secondaires qui dirigent l’activité humaine, dans les multiples domaines où elle s’exerce, serait fastidieuse. Elle serait, en outre, bien difficile à établir, les principes ne cessant de varier avec l’état de nos connaissances. Nous parlerons seulement des suprêmes règles auxquelles toute pensée logique obéit et dont l’ensemble constitue la raison.

Nos opérations intellectuelles ne s’accomplissent pas au hasard, elles sont régies par certaines lois très générales et d’une évidence immédiate qu’on appelle les principes directeurs de la connaissance. Ossature profonde et intime de l’esprit, c’est eux qui nous permettent d’organiser l’expérience, d’établir des rapports nécessaires entre les choses et les idées. Mais la conscience, interrogée à leur sujet, reste muette ; nous les découvrons grâce seulement à l’analyse des opérations psychologiques, en particulier du raisonnement. « Les principes généraux, constatait déjà Leibniz, entrent dans nos pensées dont ils font l’âme et la liaison. Ils y sont nécessaires comme les muscles et les tendons le sont pour marcher, quoiqu’on n’y pense point. L’esprit s’appuie sur ces principes à tous moments, mais il ne vient pas si aisément à les démêler et à se les représenter distinctement et séparément, parce que cela demande une grande attention à ce qu’il fait, et la plupart des gens peu accoutumés à méditer n’en ont guère. » Ajoutons que ces principes ne sont pas immuables. C’est l’opinion de Levy-Bruhl, qui attribue aux primitifs une mentalité prélogique et mystique, dominée, non par le besoin de rester d’accord avec elle-même, d’éviter la contradiction, mais par la loi de participation. « Dans les représentations collectives de la mentalité primitive, écrit Levy-Bruhl, les objets, les êtres, les phénomènes peuvent être, d’une façon incom -

préhensible pour nous, à la fois eux-mêmes et autre chose qu’eux-mêmes D’une façon non moins incompréhensible, ils émettent et ils reçoivent des forces, des vertus, des qualités, des actions mystiques, qui se font sentir hors d’eux, sans cesser d’être où elles sont. » Les représentations collectives exercent une profonde action sur le primitif ; il éprouve un attachement mystique pour son groupe et pour son totem. C’est par des causes surnaturelles qu’il explique tous les phénomènes ; aux données immédiates de la perception, il ajoute des pouvoirs occultes, des forces invisibles, des réalités impalpables ; entre l’au-delà et le monde sensible, il ne distingue pas. Un homme meurt-il, fut-ce de vieillesse ou par accident, il suppose que l’événement est dû à un sorcier ou à l’esprit d’un mort ; le maléfice lui semble évident, même si la mort est provoquée par la chute d’un arbre ou d’un objet inanimé. « Des préliaisons, qui n’ont pas moins de force que notre besoin de relier tout phénomène à ses causes, établissent, pour la mentalité primitive, sans hésitation possible, le passage immédiat de telle perception sensible à telle force invisible. Pour mieux dire, ce n’est pas même un passage. Ce terme convient pour nos opérations discursives ; il n’exprime pas exactement le mode d’activité de la mentalité primitive, qui ressemblerait plutôt à une appréhension directe ou à une intuition. Au moment même où il perçoit ce qui est donné à ses sens, le primitif se représente la force mystique qui se manifeste ainsi. Cette sorte d’intuition donne une foi entière en la présence et en l’action des forces invisibles et inaccessibles aux sens, et cette certitude égale, si elle ne la dépasse pas, celle des sens eux-mêmes. » S’ils admettent des rapports de cause à effet, les primitifs se les représentent donc autrement que nous. Mais, grâce à une épuration progressive, les deux grands principes qui dominent la pensée scientifique actuelle, le principe d’identité et le principe de causalité, furent mis finalement en pleine lumière. Chez les anciens et même chez quelques modernes, la notion d’identité garde un sens réaliste et substantiel. Pour eux l’essence des choses correspond à l’idée qu’en possède l’esprit : raisonnements, démonstrations portent, non sur des connaissances relatives, mais sur les choses elles-mêmes, identifiées avec leurs représentations. Immuables comme leurs concepts, les choses restent éternellement conformes à ce qu’elles sont. Changement, devenir s’avèrent simple apparence sensible, vaine illusion. Si un liquide se solidifie, c’est qu’une essence nouvelle a pris la place de l’ancienne. D’où les innombrables entités que l’on retrouve encore dans la physique du moyen âge : elle réduit la nature à une collection de substances. A l’inverse, la science moderne a vidé de tout sens réaliste le principe d’identité ; elle n’accorde aucune place à la notion de substance ; ses démonstrations reposent sur un principe purement logique, privé de tout contenu imaginatif. Les relations d’identité, établies entre les divers phénomènes, portent sur les connaissances de notre esprit, non sur les choses elles-mêmes. Par ailleurs le concept de causalité s’est transformé profondément ; peu à peu, il a perdu son caractère subjectif et anthropomorphique pour aboutir à l’idée d’un rapport constant. Loin d’être le résultat d’une vue intuitive, un don gratuit de la nature, la croyance en une loi d’universelle causalité fut une acquisition tardive, le fruit d’une laborieuse conquête de l’esprit. Elle reste encore ignorée de la grande majorité des hommes : à preuve l’importance que gardent, même chez les peuples civilisés, les notions de miracle et de hasard. « Le miracle, écrit Th. Ribot, en prenant ce mot non au sens restreint, religieux, mais dans son acception étymologique (mirari), est un événement rare, imprévu, qui se produit en dehors ou à l’encontre du cours ordinaire des choses. Le miracle ne nie pas la cause, au sens populaire, puisqu’il suppose un antécédent : la divinité, une puis-