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donc tribut et rachat, hommage forcé autant que volontaire, moyen d’expiation et de rédemption… Ajoutons que la prière répond, pour les faibles, à un besoin de s’appuyer sur autrui (à plus forte raison si on lui accorde des pouvoirs étendus, miraculeux) de faire appel à des interventions extérieures dans les heures de désarroi et d’angoisse d’abord, puis en face de menues difficultés et de mésaventures puériles.

Tous les peuples ont prié. De l’Orient à l’Occident, en Amérique comme en Océanie ; dans les solitudes glacées du Nord comme dans les plaines torrides de l’Equateur, les hommes ont adressé des hymnes, des supplications aux puissances extra-naturelles. En des termes sinon identiques du moins similaires, en de courtes oraisons ou de longs palabres, les peuples ont demandé ce dont ils ont besoin : beau temps, bonne chasse, santé, victoires sur les ennemis, longue vie et prospérité pour eux et leurs alliés. Mieux même, certains ont porté, cousues dans leurs vêtements ou dissimulées dans de petits sacs de cuir, des formules regardées comme les plus efficaces versets de la Bible, citations du Coran, etc. Rappelons les « moulins à prières » des bouddhistes, les gestes accompagnés de paroles machinales ou saugrenues ; les litanies murmurées par des milliers d’humains égrenant des chapelets, petites boules assemblées en colliers ; les incantations des sorciers, les oraisons toujours récitées au XXe siècle, grimoires qui guérissent les brûlures, le charbon, les chancres, arrêtent l’incendie et le mal de dents ! et nous aurons alors une idée plus nette de l’universalité de la prière.

Mais, à côté de ces suggestions mesquines de l’égoïsme, se situent des inspirations plus élevées et plus larges. À mesure que se formaient les conceptions de vertu, de probité, de justice, l’illusion religieuse s’en emparait pour en faire l’attribut des dieux. Ceux-ci devinrent les dispensateurs et les juges des instincts et des actes moraux, les arbitres des infractions aux lois qui règlent les heurts résultant de l’antagonisme des intérêts. C’est pourquoi l’homme finit par demander aux dieux des qualités morales autant que des biens physiques. Et le prêtre, affermissant encore sa puissance, suggéra aux foules que les dieux s’offensaient des crimes, des fautes commises sur la terre et qu’ils pouvaient, à leur gré, les absoudre ou les punir. Ainsi les dévots s’habituèrent à demander aux dieux et à leurs interprètes des absolutions complètes qui leur permirent de recommencer indéfiniment les mêmes actes répréhensibles, ceux-ci étant assurés d’une rémission plus ou moins onéreuse. L’introduction dans la prière, des scrupules moraux et du repentir a plus contribué à l’asservissement des foules, à la puissance sacerdotale, qu’au perfectionnement des croyants.

La prière conserve toujours la faveur des masses, parce qu’elle est avant tout la résultante d’une croyance invétérée à la puissance du hasard. La généralité des hommes est convaincue qu’il existe dans l’enchaînement rigoureux des phénomènes de la nature, un certain flottement, un je ne sais quoi qui permet d’échapper, dans une certaine mesure, à l’ordre des choses. Et pourtant la conception de la divinité s’oppose à la puissance de la prière. Toute oraison échoue devant un dieu omniscient, infaillible et immuable. Dès le principe, Dieu a tout ordonné, tout prévu. L’induire à changer, c’est l’outrager, car que penser d’un infaillible qui se dément ? Comment accorder sa suprême justice, son infinie bonté avec une partialité passagère ? Et que penser d’un être qui, vivant sur une des plus infimes planètes d’un univers gigantesque, peuplé de milliards de mondes, implore une divinité définie comme un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part ? Comment se reconnaît ce dieu, parmi la clameur sans fin, les désirs contradictoires et opposés des 1.800 millions d’hommes parlant plusieurs milliers de langues ou idiomes différents ?

La prière, tard venue dans l’arsenal des conceptions mythiques, est une arme d’une efficacité surprenante entre les mains des clergés. C’est un appel renouvelé à la résignation passive, une bastille de l’initiative et de l’activité. Puisqu’il suffit de marmotter quelques paroles pour changer du destin les décrets imminents, pourquoi s’évertuer à faire preuve d’énergie et de volonté ? De plus, puisque la prière du simple croyant a déjà tant de vertu, car elle suffit souvent à déterminer chez les dieux un changement favorable à l’intéressé, quelle ne doit pas en être sa puissance quand elle passe par la bouche du prêtre ! De là, à remettre la direction de tous les actes de la vie entre les mains du prêtre, il n’y a qu’un pas qui est vite franchi (voir prêtre).

Et si la raison humaine ne s’était révoltée à temps, faisant crouler les théologies, en se rangeant du côté de la science, nous risquerions beaucoup de n’être plus que des caricatures d’hommes ne sachant plus que réciter des oremus et balbutier des pâtenôtres du lever au coucher du soleil, pour le plus grand profit des « majordomes du ciel ! ». — Ch. Alexandre.

Bibliographie. — Lefebvre : La religion. — Le Clément de Saint-Marcq : Histoire générale des religions. — Véron : Histoire naturelle des religions. — Salomon Reinach : Orphéus. — Tylor : Civilisations primitives, etc…


PRIMAIRE Adjectif qui vient de primus et de primarius (le premier dans le temps, dans le lieu). Il indique ce qui est au commencement, au premier degré. (Terrain primaire, enseignement primaire, etc.)

Nous ne nous occuperons de ce mot qu’au sens figuré qui en a fait un substantif pour dire d’un individu : « C’est un primaire ». Son usage est récent ; il est ignoré des dictionnaires. Il s’est établi dans les mêmes circonstances et le même milieu de sottise nationaliste que celui du mot « intellectuel », employé comme terme de mépris ironique contre les professeurs et écrivains « dreyfusards ». Si « intellectuel » est périmé, dans ce sens péjoratif, depuis « l’affaire », « primaire » est devenu d’emploi courant, entretenu par le snobisme de « gendelettres » pour la plupart illettrés, mais dont la vanité primaire s’exerce dans un pédantisme de façade, en admiration devant les porteurs de reliques universitaires qui « pensent bien » et dont la situation est plus souvent le résultat de l’intrigue et de l’esbroufe que du savoir.

Car le savant, celui qui sait véritablement, est modeste. Il n’étale pas sa science à la foire aux vanités. Il sait surtout qu’il a encore plus à apprendre qu’il n’a appris et, devant la qualité et les moyens de ceux qui parviennent, devant leur bourdonnante affectation, il se dit, autant pour ne pas être ridicule que pour conserver sa propre estime, le mot d’Elisée Reclus : « Gardons-nous de réussir ! » Mais le pédant s’estime trop pour ne pas se croire au-dessus du ridicule, car il sait tout, il connaît tout. Volontiers, il déclarerait que le monde a tout appris par lui et n’aura plus rien à apprendre après lui. Il est l’alpha et l’omega, le commencement et la fin, comme Dieu le Père ; mais pas plus que lui il ne compte ses sottises qu’il déifie en multipliant son besoin de paraître. Il regarde du haut de ses échasses quiconque n’est pas trois fois docteur, grand-maître ès-sciences et ès-arts ; il méprise le « primaire » qui n’est rien, ou si peu de chose, « pas même académicien », et dont les médiocres diplômes, quand il en a, ne font jamais qu’un parent pauvre dans l’illustrissime famille des dindons savantissimes et doctorissimes.

Le « primaire » c’est l’aliboron dont se gaussait feu M. Barrès, et dont s’égaient toujours les héritiers de son narcissisme d’esthète poseur et de politicien roublard. C’est l’autodidacte instruit à l’abri de la férule