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n’aura su se les approprier tout entières. Il connaît l’art de se rendre, en toutes circonstances, indispensable aux uns et aux autres. Il impose aux faibles son appui et aux puissants son alliance, en réprimant, par son enseignement, tout sentiment de dignité et de révolte chez les prolétaires. Pour nous en convaincre, remémorons-nous les férocités de l’Inquisition, les ambitions théocratiques de la papauté (voir ce mot), les désordres amenés, tant au moyen âge qu’à l’époque moderne, par la rivalité et la rapacité des ordres religieux. Souvenons-nous de l’enseignement de l’obéissance passive, des subtilités morales qu’enseignent et pratiquent les Jésuites, de l’immoralité et de la nocivité de la confession, moyen efficace d’espionnage universel. Évoquons un instant l’ingérence constante du prêtre dans tous les actes de l’existence de l’homme qu’il prend au berceau pour mieux le dominer. Quand l’enfant naît, il est là pour l’incorporer de force dans son église, en lui imposant sa foi ; il dirige ensuite son éducation qu’il a soin de rendre aussi antiscientifique que possible ; à son mariage, il est présent aussi pour codifier et réglementer la vie conjugale et, à sa mort, on le retrouve encore veillant jalousement à ce que le moribond meure chrétiennement et prêt à recueillir, quand il y en a, pour lui et ses pareils, la majeure partie, sinon la totalité, de l’héritage. Dominé par l’instinct de conservation, voulant durer toujours, envers et contre tous, il enseigne partout que l’homme doit se résigner à la vie au lieu d’en jouir ; il prêche constamment qu’il vaut mieux se contenter de l’injustice que de lutter pour plus d’équité, s’agenouiller devant les idoles que de se révolter, échanger le présent et ses joies pour un mythique au-delà ; comprimer ses plus nobles aspirations, ses élans les plus productifs de bonheur, pour une résignation passive, une mortification perpétuelle. Si la science et les vertus incontestables de quelques-uns des ministres d’un culte, ancien ou moderne ont pu faire, çà et là, illusion sur l’utilité du prêtre, la nocivité d’une action générale et d’un enseignement anémiants et démoralisants demeure avérée. Quoique prétendent certains, le prêtre, de par ses dires et ses actes, n’a pas cessé d’être un véritable malfaiteur social. Parasite par excellence, son activité consiste avant tout à drainer à son profit personnel et à celui des œuvres d’obscurantisme dont il est l’agent actif et stylé, le meilleur des efforts du peuple. Et détruire son prestige et ruiner son influence, arracher à son emprise les esprits qu’il subjugue nous apparaît comme une des tâches primordiales de toute campagne de libération humaine. — Ch. Alexandre.


PRIÈRE n. f. La prière est une supplication adressée aux puissances extra-naturelles afin d’en obtenir une grâce ou pour les honorer.

Par son apparition dans le culte, la prière marque une évolution du sentiment religieux. Dans la période du fétichisme primitif, il n’existe ni temples, ni rites, ni prières. Le fétiche étant considéré comme un dieu portatif, un porte-bonheur, il suffit donc de l’avoir constamment avec soi pour être préservé des accidents et des contrariétés.

La divinité, quelque forme qu’elle prenne, est toujours la réalisation inconsciente des sentiments mêmes de l’homme, une projection spontanée de ses conceptions et de sa propre mentalité. On conçoit que la nature brutale du primitif, à peine accessible aux sentiments altruistes (compassion, reconnaissance, bienveillance, etc.), ne le porte guère à prêter aux dieux des sentiments qu’il ne possède pas lui-même. L’idée de prier les esprits, afin de les émouvoir et de les disposer favorablement, ne saurait donc, dans le principe, se présenter à lui. Il communique naturellement aux dieux l’égoïsme féroce que lui impose la lutte pour la vie et les terribles difficultés qu’il trouve à satisfaire ses

besoins. Ce n’est que plus tard, beaucoup plus tard, quand il commence à s’humaniser, qu’il devient capable de comprendre que la prière, les offrandes, les génuflexions sont susceptibles d’avoir d’heureuses répercussions sur l’esprit du fétiche protecteur. Cette extension anthropomorphique de la conception religieuse coïncide avec l’apparition de l’idolâtrie. Le même enchaînement d’idées qui donne au fétiche l’apparence humaine conduit tout naturellement à lui prêter des sentiments humains. Du jour que les hommes ont cru pouvoir, par des prières, déterminer, chez leurs semblables, une modification avantageuse pour leurs désirs, il eût été étrange qu’ils n’eussent point usé de cette ressource à l’égard d’êtres qui leur apparaissaient comme plus ou moins semblables à eux-mêmes, sauf cette différence qu’ils les croyaient plus puissants et que, par conséquent, ils avaient d’autant plus intérêt à s’assurer leur bienveillance.

Aussi la prière, comme le sacrifice religieux (voir ce mot), a-t-elle toujours présenté deux caractères significatifs, caractères dont elle n’a jamais pu, quel que soit le degré d’évolution du sentiment religieux, se débarrasser.

D’abord, elle n’a jamais d’autre but que l’obtention d’un avantage matériel déterminé ; ensuite elle suppose que l’entité à laquelle elle s’adresse ne peut être sensible qu’à un intérêt du même genre. En conséquence elle s’accompagne généralement d’une offrande qui lui donne l’apparence d’un marché. Donnant, donnant ! C’est toujours le paiement anticipé d’une grâce ou d’une protection. C’est avant tout un échange proposé par l’homme à des puissances qu’il a douées d’appétit et de volonté, de sens et de raisonnement humain. L’homme ne traite pas d’égal à égal avec les dieux qu’il s’est donnés. En les créant, il s’est acquis des maîtres redoutables, le plus souvent malveillants et susceptibles, et qu’il est aisé d’offenser. Devant eux, il est comme le serf devant le baron féodal, comme le sujet devant le maître capricieux. Il ne doit pas seulement négocier les bienfaits qu’il implore, mais alléger le joug que la divinité fait peser sur lui. Il doit éloigner de lui et des siens les catastrophes suspendues sur sa tête : famines, maladies, fléaux divers, calamités, désastres publics et privés. De plus, il doit encore implorer la remise plus ou moins coûteuse des péchés commis. C’est pourquoi la prière restera toujours, même aux époques où la conception de la divinité se sera affinée, « spiritualisée », un marché, un contrat express ou sous-entendu. La prière implique la conviction que les dieux sont obligés par l’offrande des mortels. Humble « transaction » entre l’homme et la divinité, elle s’est élevée peu à peu au rang suprême, parce qu’elle engage les dieux. Prononcée à l’heure favorable, formulée selon les rites prescrits, elle évoque et maîtrise les dieux qui ne seraient pas sans elle. Le prêtre qui les dicte, s’est fait de sa puissance un monopole ; connaissant les formules sacrées et l’art de les appliquer, il s’empare ainsi de la direction du ciel et de la terre, il domine les dieux eux-mêmes, et parvient même, miracle inespéré ! à les incarner à son gré dans un fétiche solide ou liquide, en bois, en pierre, en métal ou en farine !  ! Il les gouverne donc à sa guise et peut parler sans crainte du moindre démenti, en leur nom ! A l’influence sacerdotale, à l’ignorance soigneusement entretenue et prolongée, l’expérience semble, hélas, apporter son vivant témoignage. La prière est presque toujours exaucée des dieux, car l’homme ne leur demande que ce qu’il veut et peut se procurer lui-même !

Quand l’événement espéré ne se produit pas, de deux choses l’une : ou bien le dieu est irrité ou mécontent, ou bien il manque quelque chose au mérite, à la pitié du croyant. Un échec répété ne nuit aucunement à l’efficacité de la prière, ce n’est qu’une invitation nouvelle à plus de ferveur, de piété agissante ! La prière s’avère