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l’homme et les puissances surnaturelles dont il est le jouet passif.

Partout, il s’est trouvé des hommes qui, par leur finesse, ont su en imposer à leurs semblables en mettant le pouvoir soi-disant supérieur de leurs fétiches au service de leurs amis, moyennant une rétribution déterminée. Habiles à interpréter les songes et les présages, les signes du temps et les oracles de tout genre, ils surent gagner la confiance de leurs compagnons en leur inspirant, même par leur état morbide, réel ou simulé, une crainte superstitieuse. Le pouvoir sacerdotal fut d’abord représenté par l’homme médecin. Le sorcier, c’est déjà le prêtre, car c’est parmi les sorciers que, demain, se recruteront les clergés. Le plus souvent c’est un fou que sa folie même sacre sorcier aux yeux de la tribu entière, car chez les sauvages, la condition principale pour devenir sorcier, c’est d’avoir reçu de la nature ou acquis par l’exercice, une santé suffisamment mauvaise pour être aux confins de la folie. L’épilepsie et la chorée suffisent chez nombre de peuples pour accéder à la dignité de sorcier. Les pratiques imposées chez les non-civilisés, pour être initié au métier transforment d’ailleurs très vite un homme normal en un demi-fou, victime d’hallucinations répétées, qui sont considérées comme la preuve du caractère sacré de l’individu atteint. L’ivresse provoquée, les jeûnes prolongés, l’absorption renouvelée de substances excitantes, de narcotiques divers, les bains de vapeur, les cris, les hurlements et les contorsions précédant les actes du ministère, amènent rapidement chez les sorciers et les apprentis-sorciers, de graves désordres cérébraux qui se traduisent par des crises d’épilepsie qui, pour les populations ignorantes, sont la preuve du pouvoir mystérieux de l’homme-médecin. C’est pourquoi dès le commencement ce sont surtout les fous et les idiots qui, au nom de la religion et en vertu de ses enseignements, exercèrent sur la partie de l’humanité saine et intelligente, la prépondérance empruntée à leur caractère sacré. État de chose qui resterait incompréhensible si la religion n’était elle-même tout à fait en dehors du domaine de l’intelligence sereine et entière.

Ce serait se tromper que de supposer que les premiers prêtres étaient des imposteurs. Le plus souvent, ils furent les premières dupes de leurs propres jongleries, car l’esprit humain possède des ressources inépuisables de crédulité. La sorcellerie et son corollaire la magie n’ont pas eu leurs origines dans la fraude et ont été rarement pratiquées comme pures impostures. Le sorcier apprend de bonne foi une profession qu’il croit digne de vénération, en ajoutant plus ou moins de foi à ce qu’elle enseigne ; dupe et fourbe en même temps, il associe l’énergie d’un croyant à la ruse d’un hypocrite, Nous pouvons en dire autant d’une bonne partie des prêtres modernes.

Cependant le prestige du sorcier ne s’imposa pas tout d’un coup à l’imagination des hommes. Il fallut un long temps avant de transformer les fétiches individuels en fétiches collectifs. Les hommes ne perdirent que peu à peu l’habitude d’avoir leur gris-gris et ne s’accoutumèrent que progressivement à recourir uniquement à celui du sorcier, dans toutes les occasions, pour lui demander aide et conseils.

Mais quand ils eurent pris l’habitude de s’adresser au sorcier et à ses fétiches ; la puissance de celui-ci grandit de plus en plus, jusqu’au jour où il put prendre en mains la direction du culte et devenir le gardien et l’instructeur des croyances religieuses. Alors, le sorcier sera non seulement l’être qui inflige et guérit les maladies, qui prédit les événements futurs, provoque à son gré la pluie, la grêle et la tempête, qui évoque les ombres des morts, se met en communication avec les esprits et les divinités, mais surtout l’être supérieur doué de facultés spéciales qui lui permettent de communiquer

avec les dieux. Il sera l’intermédiaire obligé entre ce monde et l’autre ; la crainte et la vénération que les dieux inspirent rejailliront sur leurs ministres et se traduiront par des bénéfices et des immunités de toutes sortes. Investi d’un caractère sacré, participant quelque peu de la divinité, le sorcier a finalement, en apparaissant comme le seul détenteur de la vérité et comme ministre de la justice divine, conquis le pouvoir et avec lui la richesse. Ces avantages ont souvent excité la jalousie des puissants et dans beaucoup de sociétés, L’autorité civile ou militaire s’est arrogée le sacerdoce (voir ce mot).

Ce que nous venons de dire du sorcier est vrai du prêtre d’aujourd’hui. A quelque religion qu’il appartienne, le prêtre moderne, tout comme ses devanciers, interprète la volonté des êtres surnaturels, parle et commande au nom des dieux. Tout comme le sorcier péruvien, le prêtre chrétien — causons de lui principalement puisque nous le subissons plus particulièrement — consacre des pâtes et des liqueurs ; comme le mage Perse, il fait descendre la divinité sur l’autel et de plus l’offre à manger à ses fidèles ; tout comme le sorcier africain, il chasse les démons qui ont pris possession du corps humain : l’exorcisme a été d’une pratique courante dans le clergé catholique. Le prêtre, c’est l’homme qui croit et fait croire aux talismans, aux amulettes (scapulaires, chapelets, etc.), aux génuflexions, aux gestes sacrés. C’est l’être qui parle, enseigne, agit, condamne, absout, promet et surtout reçoit au nom de Dieu. Mais c’est principalement le conservateur et le parasite par excellence.

Conservateur, gardien farouche des erreurs du passé, des mensonges et des fausses notions morales si novices à l’humanité, le prêtre est l’homme qui a codifié et imposé les multiples « tabous » (voir ce mot), qui depuis toujours ont pesé sur l’activité de l’homme et l’ont paralysée si souvent. C’est lui qui jalousement maintient ce réseau d’interdictions nuisibles qui restreignent la liberté et la dignité de l’homme moderne et qui portent sur la nourriture, les jours ouvrables, l’activité sexuelle, le mariage, la maternité libre, l’éducation de la masse, la liberté d’aller et de venir, de faire et de ne pas faire, etc., etc. C’est lui qui, en sanctionnant de son autorité les « tabous » hérités d’une mentalité barbare, se fait le conservateur attitré des préjugés et des erreurs morales émasculatrices d’énergie. Il les enseigne à l’homme, en même temps que ces croyances archaïques dont la moindre est en contradiction flagrante avec la vérité scientifique. Fidèle à son rôle de conservateur à outrance, il attaque violemment les tendances, les découvertes, les opinions qui menacent à un degré quelconque l’intangibilité des dogmes et la perduration d’une autorité aussi exorbitante qu’elle est artificielle. Que l’on se rappelle, à ce sujet, l’Inquisition et les persécutions subies au cours des siècles par les penseurs indépendants.

Le prêtre est celui qui ne peut vivre que d’autrui et par autrui, c’est-à-dire en parasite. Il donne des paroles, des gestes, c’est-à-dire rien, et transforme ce rien en valeurs réelles : victuailles variées, vêtements somptueux, habitations confortables, honneurs, privilèges, revenus de tous genres, capitaux importants. Aussi rien ne lui coûte pour acquérir et conserver ces avantages. Il sait habilement en agitant juste à point le fantôme de son dieu et en imposant le tabou propice, exploiter les sentiments les plus bas des puissants comme les défaillances les plus tristes des faibles. A ceux-ci il sait persuader que l’ignorance, la crainte, la douleur sont autant de vertus qui assurent à ceux qui les possèdent la meilleure part des irréelles récompenses extra-terrestres. Il apporte à l’œuvre de domination des autres un concours assuré. En stimulant adroitement l’égoïsme, la rapacité des grands, il partagera avec eux les dépouilles prélevées sur la misère humaine, quand il