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Cette liberté sans rivages, cette liberté de l’immense Océan, est de moins en moins celle qu’il faut aux barbillons nageant dans l’aquarium journalistique ; elle leur fait peur. De plus en plus ils sont soumis au conformisme hypocrite des malfaiteurs régnants et résignent toute pensée qui résiste aux tripatouillages sportulaires. Ils se dressent contre elle, non pour la discuter et la combattre ouvertement — ils sont trop lâches pour cela — mais pour la discréditer, pour l’étouffer sous la calomnie policière ou sous la conspiration du silence. « Silence aux pauvres ! », disait douloureusement Lamennais, il y a cent ans ; il le répéterait aujourd’hui. Depuis cent ans, les journaux ont de plus en plus établi leur sécurité sur leur domestication au pouvoir. Non seulement ils se sont corrompus avec lui, mais la corruption du pouvoir n’a été possible que par la corruption de la presse, parce qu’elle a failli complètement à sa tâche qui était d’éclairer l’opinion, parce qu’elle s’est faite, a dit Albert Bayet, « la première vassale de la féodalité industrielle ». Dernièrement, le Temps, le plus important, le plus représentatif et le plus hypocrite des journaux bourgeois, celui où les Tardieu des N’Goko-Sangha et des Homs-Bagdad donnent des leçons de moralité politique avant de la pratiquer comme chefs du gouvernement, a été vendu au Comité des Forges. « Les hommes du fer ou de la houille achètent aujourd’hui l’opinion comme Oustric achète un garde des Sceaux. » (A. Bayet, Cahiers de la Ligue des D. de l’H., 20 novembre 1931.)

Entre tant d’exemples de domestication de la presse, celui du Figaro est typique. On ne parle guère de l’ancien Figaro, celui de la Restauration. Il serait aujourd’hui un homme de mauvaise compagnie pour les Bartholo et les Bazile, les flibustiers et les cafards, qui opèrent à son enseigne. Entre tous les journaux dits de « la petite presse », le Corsaire, le Pandore, la Silhouette, le Lutin et nombre d’autres feuilles d’opposition, le Figaro fut, de 1826 à 1830, celui qui porta les plus rudes coups au gouvernement de Charles X, à ses Villèle et à ses Polignac. Il écrivit entre autres, en 1827 : « Dorénavant, tout écrivain qui n’aura pas 50.000 francs de rentes, sera un homme sans considération et sans talent. D’agrès cette nouvelle découverte, M. de Rothschild va se trouver le gros génie de l’époque. » Le spirituel barbier annonçait ainsi le « gros génie » qui, cent ans après, se dirait Figaro ; nous voulons nommer M. Coty.

« De la peau du lion l’âne s’étant vêtu
Était craint partout à la ronde ;
Et bien qu’animal sans vertu,
Il faisait trembler tout le monde. »

a raconté La Fontaine qui flairait, lui aussi, les « gros génies » à la Coty. Emile Gaboriau a composé tout un volume, sous le titre : L’Ancien Figaro, des « bigarrures », « coups de lancette », « nouvelles à la main », etc. dont Figaro cribla alors les puissances souveraines. En voici quelques-uns qui seraient encore d’actualité aujourd’hui :

« On parle d’établir de Paris à Bruxelles des relais en permanence à l’usage de MM. les agents de change, les financiers, les libraires, etc., qui désireraient faire banqueroute. »


— « Un missionnaire observait très pertinemment que l’infâme Voltaire avait assez écrit pour perdre deux millions d’âmes, et pas assez pour allumer dix bûchers. »

— « Depuis que l’abbé G… a fait brûler Voltaire et Rousseau, on sait de quel bois les jésuites se chauffent. »


— « Il y a un proverbe florentin conçu ainsi :
Qui fait ses affaires ne se salit pas les mains. M. le comte de… doit avoir les siennes furieusement propres. »


— « Un auteur célèbre a dit que l’existence entière des jésuites fut un grand dévouement à la religion et à l’humanité. Ajoutez : et aux petits garçons. »


« Il y a des gens bien élevés, en Russie : les potences ont quinze pieds de haut. »

— « La statue de Louis XIV qui a été érigée à Lyon à coûté, tous frais faits, 537.950 francs. Que l’on dise ensuite dans vingt biographies que Louis XIV ne vaut rien. »

— « Un juge présidant les dernières assises A certain vagabond reprochait son larcin.

— Ah ! parbleu ! répond-il, dites donc des sottises, Sans les voleurs, bientôt vous crèveriez de faim. »

— « Les valets détestent la liberté parce qu’elle ne leur permet pas de se montrer plus insolents que leurs maîtres. »

— « La garde meurt et ne se rend pas. » M. de Villèle a retourné ce proverbe ; il ne meurt pas et ne rend rien. »

— « Comment pense-t-on dans votre régiment ?

— On ne pense pas.

— A la bonne heure. »

— « De quoi vous plaignez-vous, vous a-t-on défendu de penser ? »

— « Panem et circenses. Des truffes et des cordons. »

— « Thémis a maintenant pour attributs un bâillon et un timbre. »

— « La liberté est trop lourde, a dit M. de Cur… Il se rappelle peut-être le temps où il traînait le char de la déesse. »

ÉPITAPHE

« J’ai vécu des produits de ma plume vénale ;
J’ai vécu d’un journal par moi mis à l’encan ;
De honte j’ai vécu ; j’ai vécu de scandale ;
J’ai vécu de la croix ; j’ai vécu du turban ;
J’ai vécu, j’ai vécu, gazetier famélique,
Quatre-vingts ans passés… Mais je voulus, enfin,
Vivre un matin de l’estime publique,
Et le soir j’étais mort de faim. »

« — Le mensonge déshonore.

— C’est possible, répondit M. de V…, mais ça n’ôte pas un portefeuille. »

— « Il y a plus de honte à être debout dans certains salons qu’à tomber dans le ruisseau. »

— « La meilleure rime à ministre est sinistre. »

— « La garde meurt et… les ministres restent. »

— « On vient de publier une biographie de tous les bons ministres de France. Cet ouvrage n’est pas long. »

— « Ces messieurs conviendront au moins qu’ils ne nous gouvernent pas gratis. »

— « M. de Cumulando est devenu très riche en visitant les pauvres. »

— « On a beau agrandir la Chambre, elle sera toujours moins large que leur conscience. »

— « Ils brisent les cachets des lettres pour revenir aux lettres de cachet. »

— « Au lieu de décorer les gendarmes et de casser les boutiques, on ferait mieux de décorer les boutiques et de casser les gendarmes. »

— « Qu’on dise que les jésuites ne se fourrent pas partout, il y en a même aux galères. »

— « Si l’on chasse les mendiants, à quoi serviront les aumôniers ? »

— « Séminaire vient de semen ; cela signifie mauvaise graine. »

— « Les ministres ne sont pas comme les jours, ils se suivent et se ressemblent. »