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dans les endroits publics et que lisaient les amateurs de nouvelles. Suivant Juvénal, les dames romaines passaient leurs matinées à lire cette sorte de journal dont elles recevaient des copies.

Au moyen âge, les nouvelles s’échangeaient de vive voix, apportées sur les lieux d’assemblées populaires, particulièrement sur les marchés. Là, des hommes faisaient métier de les recueillir pour en écrire des copies qu’ils adressaient à des abonnés. Leurs feuilles furent l’origine du journal. Elles publièrent par la suite des nouvelles politiques. L’une d’elles, conservée à la Bibliothèque Nationale, porte ce titre : « C’est la très noble et très excellente victoire du roi Louis XII de ce nom, qu’il a heue, moyennant l’aide de Dieu, sur les Vénitiens. » La portée de ces feuilles manuscrites ne pouvait être que très réduite ; elle s’étendit lorsque l’imprimerie permit d’en multiplier le tirage. En Allemagne, au xve siècle, elles s’appelaient Zeitung, qui signifie gazette. Le même siècle vit, encore en Allemagne, la naissance de l’almanach. A Venise, au xvie siècle, les feuillets des gazetiers étaient les Fogli avvisi ou les Notizie Seville. On les appela gazettes, du mot gazzetta, pièce de monnaie qui servait à les payer, et le mot passa en France. Avec l’imprimerie, les gazettes et les almanachs se répandirent rapidement, surtout en Allemagne où le peuple apprenait à lire plus qu’en tout autre pays. D’autres publications étaient appelées courriers. A partir de 1590 furent publiées, à Francfort les Relations Semestrales, rédigées en latin et en allemand et paraissant deux fois par an, à l’époque des grandes foires. Diverses autres publications, sans être des journaux proprement dits, parurent périodiquement de façon suivie. 1615 vit naître le Journal de Francfort, premier journal européen. Parurent ensuite celui de Berlin, en 1617 et celui de Nuremberg, en 1620. La presse allemande a été de tout temps, depuis les premières gazettes, la plus importante dans tous les genres, politique, littéraire, scientifique, et celle des autres pays n’a pas cessé de suivre ses initiatives jusqu’à la création de la presse contemporaine où la publicité est arrivée à dominer toutes les autres préoccupations. Le premier journal anglais fut l’hebdomadaire Weekly News, fondé en 1622. Dès 1702, Londres eut son journal quotidien, le Daily Courant. La Révolution d’Angleterre fit prendre à la presse de ce pays un développement que les journaux français ne connurent que cent cinquante ans après, à partir de 1789. Le premier journal italien parut en 1630. Une censure religieuse rigoureuse empêcha le développement de la presse italienne comme elle retarda celui de la presse française.

Nous ne suivrons pas le mouvement de la presse dans les pays étrangers. Nous indiquerons seulement, et rapidement, ce qu’il a été en France. On cite, comme le plus ancien document, le prospectus d’une « gazette rimée », paru en 1609, et qui disait entre autres :

« La Gazette en ces vers
Contente les cervelles,
Car de tout l’univers
Elle reçoit nouvelles. »

Ces nouvelles mettaient alors des mois et même des années à arriver. Le monde n’en était pas plus malheureux qu’aujourd’hui où, en trois heures, la téléphotographie lui transmet, en texte et en images, ce qu’il y a de plus nouveau aux antipodes. Au contraire. En voyant les résultats, cette espèce de maboulisme trépidant qui n’est capable de se fixer sur rien et oublie immédiatement, pour quelque chose de plus nouveau, ce qu’il vient à peine d’apprendre, on se demande ce que ce sera lorsque, par des moyens aussi rapides, on recevra des nouvelles du Soleil et de la Lune.

Une gazette dont l’existence n’est pas plus certaine que celle de la « gazette rimée « de 1609, est celle de

Troyes qui aurait paru en 1626, mais dont il ne reste aucune trace.

Ce fut le 30 mai 1631 que vit le jour la Gazette de Théophraste Renaudot, le « père du journalisme français ». Elle parut chaque semaine et Renaudot la rédigea durant vingt-deux ans. Il y apporta la ténacité qu’il mit dans toutes ses entreprises et qui fit soulever contre lui les haines de tous les pontifiants bénéficiaires de la routine. Le premier, il connut dès la création de la presse le sort de tous ceux qui voudraient en faire un instrument de vérité et tenteraient de s’en servir autrement que pour mentir, bluffer, soutenir la puissance d’un puffisme de plus en plus impudent. « En une seule chose ne cèderai-je à personne, en la recherche de la vérité », disait Renaudot. S’il revenait aujourd’hui, combien de ceux qui « honorent » en lui le premier de leur profession, réclameraient ou approuveraient contre lui l’application des « lois scélérates » ! Une allégorie naïve, mais caractéristique, représentait sur la couverture de la Gazette Renaudot refusant l’argent offert par les « cadets de la faveur ». C’est un geste que ne connaissent guère les stipendiés des Rafalovitch, les nourrissons de la Tour pointue et les cadets des fonds secrets, bien qu’ils prétendent tous qu’ils font des « journaux honnêtes pour les honnêtes gens » ! En fait, la Gazette de Renaudot ne pouvait vivre qu’avec l’appui du pouvoir, de Richelieu d’abord, de Mazarin ensuite et, profondément convaincu des services qu’il pouvait rendre à tous ses contemporains par le moyen de son journal comme de ses autres entreprises, Renaudot ne fut pas absolument rigoureux quant aux appuis qu’il accepta. Sa gloire la plus authentique, alors qu’il participa à tant de choses, fut de demeurer personnellement honnête et pauvre. « Le vieux Théophraste Renaudot est mort gueux comme un peintre », a dit son plus acharné ennemi, le riche Gui Patin.

Les haines contre Renaudot, gazetier, s’alimentèrent des haines contre Renaudot, médecin. Sa querelle avec Gui Patin, qui opposa la science nouvelle de la Faculté de Montpellier à l’empirisme de la Faculté de Paris, fut digne d’inspirer Molière. Toute l’Université fut contre Renaudot et le Parlement le condamna. Mais c’était le novateur, l’entreprenant, l’audacieux Renaudot qui avait raison, malgré la Faculté puisqu’il guérissait les gens, et le peuple chantait en l’honneur du quinquina dont il s’était fait le propagateur :

« En dépit de la Faculté
Notre Duc est ressuscité
Par la vertu du quinquina :
Alleluia ! »

On doit à Renaudot, indépendamment de la Gazette, la création du Bureau d’adresse et de ses Feuilles, devenues ce qu’on a appelé par la suite les Petites Affiches, qui inaugurèrent les annonces et la publicité. Du Bureau d’adresse sortit encore une autre création, celle des offices de secours aux pauvres qui devinrent les monts de piété. Il n’était pas besoin de tant d’activité créatrice pour attirer sur la tête de Renaudot les vieilles haines médiévales toujours vigilantes : invidia scolastica et invidia medica.

La Gazette se doubla bientôt des Nouvelles. Les deux réunies se vendaient un sou ; on avait l’une ou l’autre pour deux liards. Renaudot les rédigea jusqu’au 23 octobre 1653, avant-veille de sa mort à la suite d’une attaque de paralysie. Loret, le plus connu des auteurs des Mazarinades et qui composait une Muse historique, chronique en vers faisant concurrence à la Gazette, lui consacra un adieu assez ému et le 1er novembre, la Gazette fit son éloge. Un dernier mot sur Renaudot. « La presse, disait-il, tient cela de la nature des torrents, qu’elle grossit par la résistance ! » Il n’avait pas encore fait l’expérience qu’elle s’avilit par la soumission. Trois siècles plus tard il aurait fait écho à la ques-