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sociale étant sensiblement différente de celles de naguère.

Par exemple, pour ce qui concerne l’organisation d’un mouvement insurrectionnel, maint révolutionnaire s’exprime encore comme si, au lieu d’être au siècle des avions, des tanks, de l’artillerie lourde, et de la guerre des gaz, nous vivions encore au temps où un paysan, avec sa faux, ou son vieux fusil à pierre, pouvait tenir tête à un fantassin régulier. De nos jours, dans une guerre civile, les armes à la portée du peuple : fusils de chasse, couteaux, revolvers et bâtons, seraient de pauvres choses. Seule, la révolte de l’armée, passant au peuple, est susceptible de lui donner la victoire et de le préserver du massacre.

Préjugé encore que l’étrange association, dans les mêmes milieux, de thèses insurrectionnelles très violentes, avec, d’autre part, les déclarations d’un pacifisme sentimental allant jusqu’à proclamer l’horreur des armes, et condamner tout entraînement physique ayant un caractère militariste. Pour ne pas être, d’ordinaire, dictée par les mêmes motifs que les hostilités internationales, la guerre civile n’en est pas moins une guerre. Elle aussi fait pleurer des mères, et couler le sang des hommes. Comme les autres, elle exige une préparation, des connaissances techniques, l’usage d’engins meurtriers. Durant la Commune de Paris, les bataillons fédérés luttaient pour un noble idéal qui n’avait rien de commun avec les objectifs contre-révolutionnaires de l’armée de Versailles. Cependant, de part et d’autre, on utilisait, pour se battre, les moyens militaires de l’époque, et l’on n’aurait pu faire autrement. Tout en étant partisan de la paix entre les peuples, un révolutionnaire, qui admet le recours à l’insurrection armée, ne peut donc, sans inconséquence, répudier le militarisme sous toutes ses formes, ni se déclarer, sans aucune réserve, pacifiste. Seuls ont qualité pour se réclamer du pacifisme intégral, et condamner l’usage des armes, ceux qui, à l’exemple des Doukhobors et des disciples de Tolstoï, ou de Gandhi, sont partisans de la résistance passive et se refusent à employer, à l’égard d’autrui, la violence, en quelque circonstance et sous quelque prétexte que ce soit.

Sont encore de graves préjugés : la conception de la Nature considérée à l’égal d’une divinité tutélaire, infiniment bonne, aimable, et prévoyante envers les êtres ; la croyance en la vie édénique des peuplades primitives ; la foi en la vertu suprême de certaines collectivités d’hommes, jugées incapables absolument — parce qu’elles sont composées de travailleurs manuels, par exemple — de se comporter comme le reste de l’humanité, en des circonstances identiques.

Il en est d’autres, qui mériteraient examen. Je crois m’être assez étendu pour disposer les hommes de bonne volonté à ne jamais s’endormir sur le mol oreiller des opinions définitives, mais à passer honnêtement en revue, de temps à autre, celles qu’ils ont choisies comme étant l’expression de la vérité sans défaut. — Jean Marestan.

PRÉJUGÉ. Le préjugé est une opinion préconçue, adoptée sans examen et sans recherche de sa valeur propre. L’analogie prédispose au préjugé.

Le préjugé représente une opinion contestable, mais qu’on ne conteste pas. Avec la multitude de préjugés qui ont acquis droit de cité, on peut se demander s’il faut travailler à détruire les préjugés, comme on peut se poser la question de savoir si on leur doit le respect qui aide à les conserver.

Cette double question trouve sa solution pratique selon les cas et les époques. Aussi longtemps que la Société exerce, sans obstacle, le monopole du développement de l’intelligence, il faut, socialement parlant, ne pas chercher à ébranler les préjugés utiles au maintien de l’ordre établi.

Il n’en est pas de même, quand les moyens de comprimer l’activité des intelligences ont échappé à la société. Alors, la guerre ouverte aux préjugés est un devoir, et il s’agit de faire tous les efforts possibles pour y substituer la vérité.

À ceux qui prétendent qu’on doit dissiper peu à peu les ténèbres qui obscurcissent la raison et n’élaguer que branche à branche l’arbre des préjugés, Colins répond : « On ne réforme pas le fanatisme, on le remplace par le réel ou on reste dans la fantasmagorie. » Que l’on admette que, pour le passé, la foi permettait de prendre le préjugé pour la vérité et se trouvait en harmonie avec l’ordre de l’époque, rien à redire, puisque l’état général d’ignorance ne permettait pas mieux. Du reste, pour toute époque possible, tout est bien, puisque l’humanité obéit à l’ordre de nécessité.

Quand la discussion est libre, les épais nuages dont l’esprit était enveloppé sont facilement percés à jour, et alors ce n’est pas peu à peu qu’il faut répandre la lumière, mais d’un seul jet, d’une seule poussée.

Il ne faut pas qu’il existe d’erreur grave ou légère, car le préjugé — erreur — tant qu’il subsiste, empêche la vérité de se faire jour. Sous cet aspect, le préjugé est toujours dangereux.

Du reste, dit L. de Potier, il est d’essence de la vérité de ne pouvoir être saisie que tout entière ou pas du tout.

Les préjugés peuvent être classés en préjugés d’éducation et en préjugés d’instruction. L’un comme l’autre n’ont pas donné lieu à la connaissance, mais à la croyance. De la participation de l’instruction à l’œuvre d’éducation naît un renforcement du préjugé, de l’erreur.

L’ignorance, mère du préjugé, peut et doit être détruite ; mais, pour cette fin, il faut connaître la vérité et l’enseigner en substituant le savoir à la foi. À notre époque encore, l’erreur, revêtue des dehors de la science, reste tenace et les préjugés persistent. L’œuvre de régénération sociale est retardée d’autant. Avant de pouvoir remplacer le préjugé par la vérité, il faut déblayer le terrain des obstacles dont le faux l’avait embarrassé, N’oublions pas que le préjugé religieux est celui qui possède, au plus haut point, la ténacité qu’aucun autre ne partage avec lui au même degré.

La politique des catholiques est, indubitablement, le moyen le plus efficace pour maintenir, pour ainsi dire indéfiniment, le préjugé religieux qu’il exprime. Pour l’abattre, la lutte ne peut s’entreprendre que sous le sceptre de la vérité. — Elie Soubeyran.


PRESSE Le substantif presse vient, comme le verbe presser, du latin pressus, qui signifie serrer plus ou moins fortement, étreindre, comprimer.

Le mot presse est à plusieurs usages. Les plus importants sont en mécanique, pour désigner des machines servant à exercer une pression sur un objet quelconque pour en réduire le volume, en modifier la forme, en extraire une partie liquide ou lui imprimer une marque. Parmi ces dernières sont les presses d’imprimerie qui servent à l’impression de l’écriture. L’importance prise par cette industrie lui a fait donner le nom de presse en la considérant particulièrement dans la fabrication des publications qui ont une régularité périodique et quotidienne : revues, gazettes, journaux. L’industrie de la presse se confond ainsi avec le journalisme (voir ce mot). C’est d’elle dont nous nous occuperons ici dans sa formation, son développement, dans ses rapports avec la pensée et dans son rôle social.

L’industrie de la presse, moyen de répandre les nouvelles relatives à la vie sociale, a existé bien avant l’invention des presses d’imprimerie. Elle répondait à la curiosité publique ; elle était indispensable. Sans remonter, dans l’antiquité, plus haut que les Romains, on peut dire que la première forme de la presse fut dans leurs Acta diurna, petites affiches qu’on exposait