Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PRE
2120

erronée et nuisible. Ce renseignement erroné : c’est le préjugé.

La tradition est donc à la fois la source du vrai et du faux. Parmi ces renseignements il en est de vérifiables et d’expérimentaux, découverts par l’esprit d’observation de l’homme : c’est la connaissance objective, origine des jugements corrects et du bon sens. Il en est d’absurdes et d’incontrôlables, basés uniquement sur la terreur, la foi, l’ignorance, la stupidité et qu’imposent la partie la plus rétrograde de l’humanité, les exploiteurs laïques et religieux : ce sont les préjugés.

Le préjugé n’est donc pas une pensée primitive, un réflexe direct ; ni un complexe de réflexes sensoriels se contrôlant les uns les autres. C’est un complexe de réflexes conditionnels erronés, aussi peu utiles au bon fonctionnement de l’homme, que n’est utile à l’appétit du chien le grattage de son épiderme.

Nous avons donc une démarcation précise entre une opinion exacte et un préjugé ; la première relève de l’expérience (réflexe conditionnel contrôlé) ; le second de l’imagination (réflexe conditionnel invérifiable). Et comme conséquence l’absence de préjugé est essentiellement le fait d’un esprit indépendant, adaptant ses faits et gestes au mieux de ses intérêts vitaux, selon un critère éthique et synthétique purement objectif.

Nous pouvons maintenant passer brièvement en revue quelques-uns des plus malfaisants préjugés.

Religion. — Toutes les religions, toutes les croyances mystiques sont des préjugés, puisque leur admission ne peut s’effectuer que par la destruction de l’esprit critique et du bon sens. Ce sont des préjugés collectifs, admis sans examen. La foi ne raisonne pas. Imposés aux jeunes êtres, ces réflexes conditionnels invérifiables et désastreux prennent, chez certains humains, une telle importance qu’ils en restent irrémédiablement déformés. Les associations de réflexes ne s’effectuent plus désormais selon un ordre logique, et selon le processus des causalités sensorielles, mais selon un processus entièrement subjectif, embrouillant certains réflexes normaux et faussant, inévitablement, tous les jugements ultérieurs. Les conséquences malfaisantes de ces préjugés se traduisent par des haines farouches, une intolérance et un sectarisme abrutissant, un fanatisme criminel semant la discorde, la guerre et la mort.

Patriotisme. — Même remarque pour la religion patriotique que pour la religion déiste. Basée sur l’ignorance des ascendances et la haine des clans voisins, elle engendre cette chose cocasse : des hommes, fils de toutes les races mêlées, se réclament d’une race pure, autochtone, inexistante, et d’un patrimoine géographique ancestral, encore plus inexistant. Tout territoire fut habité et peuplé tour à tour, au cours des siècles, par de si nombreuses populations, fondues les unes dans les autres, qu’il est grotesque de vouloir lui trouver un premier occupant. Nul ne se trouve sur sa terre ancestrale ; nul ne peut se réclamer d’une race pure, car rien de cela n’existe et n’a existé. Ce préjugé entretenu et développé par les exploiteurs est un des meilleurs moyens pour diviser les peuples, créer des haines féroces, aboutissant à des massacres monstrueux, justifiant le rôle soi-disant défensif des dirigeants.

Autorité. — Le principe d’autorité, c’est-à-dire l’imposition d’un fait par la force est un des préjugés les plus répandus. Il commence dans la famille, se continue à l’école et s’épanouit dans la vie sociale, en passant par la caserne, sa plus belle manifestation. Nulle part le culte de la raison, du bon sens, de la recherche expérimentale, de la persuasion, n’est développé pour résoudre les difficultés sociales. La force, c’est-à-dire, presque toujours la violence inique, impose à l’homme la volonté d’un autre homme. Or l’homme est un imitateur et tout geste qui, imité, nuit à l’homme, est nuisible à tous les hommes. D’où la malfaisance de l’esprit

d’autorité plus ou moins répandu chez les humains et leur nuisant par réciproque usage. Ce préjugé, qui ne repose que sur le romantisme des traditions, s’oppose à l’épanouissement de l’intelligence, appauvrit et avilit l’humanité et en retarde indéfiniment son harmonieuse évolution. L’autorité est l’antinomie de la raison et rien ne démontre, objectivement, qu’elle est nécessaire au bon fonctionnement social. Développer l’autorité ; éduquer, enseigner, coordonner autoritairement, c’est retourner à la brute, c’est reculer indéfiniment l’avènement de l’Age de la Raison.

Justice et criminalité. — Parce que les nécessités de coordination des humains les ont déterminé, selon leurs connaissances traditionnelles, à formuler des bases d’entente à formes autoritaires appelées lois, la tradition a déformé le sens provisoire, incertain et faillible de ces lois, pour en faire une sorte de chose inviolable et sacrée ; préjugé issu de l’origine soi-disant divine et magique des dites lois, car le chef et surtout le sorcier, puis le prêtre ou magicien, furent certainement les premiers législateurs des hommes terrorisés et ignorants. Ce pouvoir surnaturel, attribué à la loi, fausse actuellement le sens des réalités sociales chez de nombreux individus, qui ne qualifient de bien ou de mal que ce qui est en accord avec la loi, sans songer que celle-ci n’est qu’une invention humaine, par conséquent susceptible d’être juste ou criminelle, absurde ou sensée. La justice, d’après cette loi hasardeuse, est la personnification même du bien luttant contre le mal. Pourtant l’étude de toutes les sociétés, passées et présentes, nous montre que toujours la misère et la souffrance furent le sort du plus grand nombre des hommes et que la justice n’a jamais supprimé le mal social, précisément parce que ce mal est l’effet du même état d’esprit qui invente l’abstraction justice, sorte de puissance indépendante de l’homme, confusément divinisée par lui.

De là ce respect absurde, sacré de tout l’appareil de justice, investi par les préjugés ancestraux de l’infaillibilité des concepts absolus.

Ce préjugé déforme le jugement envers ce que l’on dénomme le criminel, c’est-à-dire celui qui désobéit aux lois, celles-ci fussent-elles criminelles ou stupides. Le criminel n’est pourtant jamais responsable puisque : criminel par manque de sensibilité, ou insuffisance de maîtrise de ses réflexes, il est tel que l’ont fait ses progéniteurs et la tradition ; il n’est qu’un effet et non cause initiale du mal ; et, s’il est criminel lucidement, il ne l’est que par la faute du milieu criminel qui l’y oblige, par nécessité défensive et vitale. Le préjugé de la responsabilité se renforce et s’aggrave ici de la férocité de l’esprit de vengeance, qui rend le mal pour le mal. Ce qui démontre bien le caractère primitif et sauvage de toute justice humaine.

Le bon sens indique que le meilleur moyen de réparer et de prévenir un mal, c’est de détruire les causes qui le créent, et non de punir ceux qui n’en sont que l’instrument.

Sexualité. — Tout est préjugé en matière de sexualité, et cela se comprend puisque le sens de la vie est faussé par les sorciers modernes, alliés aux exploiteurs internationaux. Aussi, dès le jeune âge on développe dans la mentalité des jeunes humains ces quelques absurdités : il y a quelque chose de criminel à pratiquer l’union charnelle en dehors des formes légales des sorciers laïques et religieux ; dès que les rites magiques sont prononcés par les sorciers, l’homme et la femme mariés n’ont plus ni sentiments, ni affections, ni désirs pour d’autres qu’eux deux ; en échange de quoi ils cessent d’être propriétaires de leur propre personne pour devenir la propriété de leur conjoint, sur lequel ils ont, néanmoins, droit de vie et de mort ; il y a des choses honnêtes en amour et des choses honteuses, tout comme il y a des organes honteux ; les procréations nom-