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vie vivante, et cela sans abandonner les conquêtes de la science. Savoir nous en servir pour notre bonheur, au sein d’un milieu renouvelé, tout est là. Dans un ouvrage récent : L’Homme, Races et Coutumes, du Dr Verneau, nous lisons : « Un jour viendra où nos successeurs considéreront avec une sorte de pitié la civilisation d’aujourd’hui, dont nous sommes si orgueilleux. »

Cette réflexion, sous la plume d’un savant officiel, n’est pas pour nous déplaire. N’est-ce pas là ce que nous ne cessons de dire et redire depuis des années ? C’est pourquoi nous ne voyons pas d’autre remède pour conjurer le suicide de l’humanité (qui, d’ailleurs, est si peu intéressante, qu’elle mériterait d’être abandonnée à son sort), qu’un retour intelligent à la nature, nous voulons dire à la vie libre et vivante que vécurent nos ancêtres, retour entendu, répétons-le, non à la façon dont le comprenait Rousseau, en renonçant aux sciences et aux arts, mais en les utilisant pour notre perfectionnement intellectuel et moral : emprunter à l’histoire ce qu’elle a conservé des civilisations préhistoriques, ce qu’elle n’a pu anéantir de celles-ci, et sur ce legs du passé, construire la cité de l’avenir au sein même de la cité présente, par notre effort à devenir meilleurs, la réaliser dès aujourd’hui en agissant sur notre moi, sur celui des autres ensuite, par la persuasion, l’éducation et l’exemple, afin de hâter le retour de l’âge d’or sur la terre. — Gérard de Lacaze-Duthiers.

Bibliographie sommaire (ouvrages récents portant sur des généralités). — S. Blanc, Initiation à la Préhistoire. — Marcellin Boule, Les Hommes fossiles (2e édition). — Dr Capitan, La Préhistoire, édition revue et augmentée par Michel Faguet. — F. Déchelette, Manuel d’Archéologie préhistorique. — Furon, La Préhistoire. — René Gérin, Les hommes avant l’histoire. — Goury, Origine et évolution de l’homme. — Gérard de Lacaze-Duthiers, Philosophie de la Préhistoire (tome I). — G.-H. Luquet, L’art et la religion des hommes fossiles. — Léon Mand, La Préhistoire. — F. de Morgan, L’humanité préhistorique. — Peyrony, Eléments de Préhistoire. — E. Pittard, Les races et l’histoire. — G. Renard, Le travail dans la Préhistoire. — A. Rio, La Préhistoire (Encyclopédie par l’image). — J. H. Rosny aîné, Les origines, Les conquérants du feu. — Dr Verneau, Les Origines de l’humanité.


PRÉJUGÉ n. m. La définition du préjugé paraît assez aisée lorsqu’on l’applique aux menues opinions erronées que partagent les gens simples et peu doués d’esprit critique ; mais en examinant soigneusement toutes les connaissances de l’esprit humain, on s’aperçoit que les préjugés s’étendent beaucoup plus loin que chez les gens ignorants et qu’on les rencontre également chez des êtres très cultivés et dans tous les domaines du savoir. Le préjugé n’est plus alors une simple opinion personnelle admise sans examen, c’est une manière de penser collective, imposée par la tradition et que les casuistes essaient de justifier par de mauvais raisonnements.

C’est ainsi que les croyances sont toutes des préjugés, puisque toute croyance a précisément pour but de détruire l’esprit critique et de s’établir sur des actes de foi, ôtant ainsi au croyant toute possibilité de juger sainement. Toute opinion basée sur la foi est donc un préjugé. Pour en saisir plus nettement le côté absurde et imaginatif, étudions quelque peu le mécanisme d’un jugement et l’origine des préjugés.

Tout jugement est une utilisation présente d’une série d’expériences antérieures établissant une certaine identité entre une série de faits actuels et une série de faits passés. Les travaux du grand physiologiste russe Pavlov ont permis de comprendre que toute connaissance est le résultat d’une réaction du système nerveux à une influence du milieu, ou à un fonctionnement organique

inné, déterminant un certain nombre de réflexes, s’enchevêtrant les uns dans les autres, selon des lois biologiques qui commencent à être mieux observées et mieux classées qu’autrefois. Les jugements s’effectuent donc à l’aide de réflexes. Les réflexes conditionnels, étudiés par Pavlov, sont des réflexes associés à d’autres réflexes primitifs, et se substituant à eux, pour déterminer les mêmes actes, alors que, normalement, ces réflexes secondaires ne pourraient y parvenir seuls. Si, par exemple, on gratte un chien, et qu’on lui donne ensuite à manger, le seul fait de le gratter le prédisposera, ultérieurement, à manger. Mais, ce fait ne met en action qu’un réflexe conditionnel, qui ne saurait, en aucun cas, s’il n’est suivi d’alimentation, le prédisposer à un quelconque repas. Il y a pourtant, ici, jugement puisque, habituellement, le grattage est suivi du repas. Il y a donc une association légitime de sensations, succession de faits sensoriels, apparence de causalité ; mais c’est un rapport faux, puisque, en réalité, ces deux faits : le grattage et l’alimentation, ne sont point liés par un phénomène de causalité naturelle, mais rapprochés, au contraire, par l’imagination de l’expérimentateur. Jugement ne signifie donc aucunement vérité, mais fonctionnement de réflexes compliqués, déterminant une adaptation de l’organisme aux circonstances.

Le commencement de la pensée est donc, invariablement, une réaction nerveuse déterminant un mouvement musculaire ou une fonction organique interne. Il n’y a pas de pensée sans dépense d’énergie, sans travail intérieur. Il est donc probable que les premières pensées, ou plutôt les premiers éléments de la pensée (sensation, puis perception) sont des vérités premières, subies par le jeune humain dès ses premiers contacts avec le milieu. L’abstraction, l’idée générale, est l’invariant des sensations répétées, créé aux carrefours des influx nerveux, empiétant les uns sur les autres, sous l’abondance des impressions sensorielles. Le jugement, qui n’est qu’un acte secondaire, n’est que l’utilisation de réflexes antérieurs, la mise en jeu d’un complexe de réflexes, sous l’influence d’une action du milieu, ou d’un fonctionnement organique. Le jugement n’est donc jamais un acte indépendant. Il dépend de deux facteurs : tout d’abord de la faculté innée de grouper des réflexes en de nombreux complexes de réflexes (diffusion de l’influx nerveux à travers les cellules cérébrales), faculté dépendant inévitablement du tempérament personnel qui atténue ou augmente, déforme ou rectifie les complexes de réflexes sensoriels et les réflexes conditionnels dans leurs rapports entre eux ; ensuite de la nature et de l’abondance des documents sensoriels accumulés depuis la naissance (éducation, tradition, circonstance).

L’esprit critique est formé de la double faculté d’accumuler et de conserver les documents sensoriels ; et de les grouper et les coordonner, ensuite, logiquement. Tout être humain, même héréditairement doué d’un esprit critique et d’un tempérament équilibré, se trouve, dans la vie sociale, devant ces deux sortes de faits : les faits traditionnels ; les faits circonstanciels. Les faits traditionnels sont constitués par l’ensemble de toutes les connaissances transmises d’une génération à l’autre ; connaissances formées de savoir véritable et de nombreuses erreurs plus ou moins dangereuses. Les faits circonstanciels sont déterminés par la lutte de l’homme contre le milieu naturel, ou contre le milieu social, en fonction des connaissances : traditionnelles ou acquises personnellement.

Or, nous avons vu que la connaissance réelle n’est qu’un réflexe, une réponse exacte du système nerveux à une excitation, externe ou interne, se traduisant par une adaptation avantageuse de l’organisme entier aux circonstances nouvelles. Il peut se faire que la tradition enseigne une réponse utile ; il peut également se faire qu’elle l’ignore, ou qu’elle en donne une