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pour s’abriter au pied des falaises et loger dans des cavernes. D’arboricole, il était devenu terrestre.

Les premiers hommes inventèrent le langage et découvrirent le feu. La position verticale avait libéré la main en même temps que le cerveau. La mâchoire avait cessé de fonctionner comme instrument de préhension. La place laissée à la langue avait permis à l’homme de substituer, au langage inarticulé, un langage vraiment humain.

À quelle époque remonte la découverte du feu ? Peut-être au préchelléen, mais sûrement au chelléen. L’homme connut le feu par les volcans, et aussi par la foudre : il s’ingénia à le conserver. Puis il le produisit lui-même, sans doute en frottant l’un contre l’autre des bâtons (Lucrèce pense que l’exemple lui en fut donné par les branches des arbres se frottant entre elles sous la poussée du vent), ou en choquant un silex — la pierre providentielle et salvatrice — contre un autre silex. L’homme préhistorique a inventé le briquet. Pendant longtemps il n’eut pas besoin de feu pour se chauffer ni cuire ses aliments (il pratiquait alors le nudisme et le crudivorisme), le froid l’obligea à allumer du feu aux abords de ses cavernes, ce qui éloigna les bêtes féroces. Pour s’éclairer dans les cavernes, il inventa la lampe !

L’invention de l’écriture remonte à l’époque magdalénienne. Sur maints objets de cette époque on rencontre des signes alphabétiformes ; on y trouve de véritables lettres, des A, des E, des I, et différents signes linéaires ou idéographiques. Les glozéliens ont ajouté une centaine de signes alphabétiformes à l’écriture magdalénienne.

La religion des premiers hommes fut seulement une sorte d’entraide qui leur permit de faire face aux difficultés de l’existence. Ils vénéraient les forces naturelles et adoraient leur phallus. Les chelléens abandonnaient leurs morts sur les arbres les plus hauts. Les moustériens les inhumaient. On a trouvé, dans les époques qui ont suivi, des fosses dans lesquelles les cadavres reposaient selon certaine orientation. Nos ancêtres croyaient-ils à l’au-delà ? Nous pensons qu’entourés de mystères ils ne se laissèrent pas pour cela gagner par la superstition. Ce n’est qu’avec l’histoire que la religion devint « une affaire ».

Art préhistorique. — C’est à l’art qu’il faut demander ce que pensèrent les hommes préhistoriques, et comment ils vécurent. L’art complète sur ce point les renseignements fournis par l’archéologie et l’anthropologie. L’art est né avec l’humanité même. Du jour où la bête verticale s’est sentie saisie d’admiration devant un beau paysage, elle est devenue artiste. Quand elle a pris un silex, l’a taillé, même grossièrement, inventant ainsi les techniques, elle eut droit au titre d’être humain. La première œuvre d’art a été le premier silex taillé. C’est par la sculpture que les arts plastiques ont débuté. L’homme chelléen a trouvé dans ses courses vagabondes des silex anthropomorphes et zoomorphes. Il en a accentué la forme et en a fait des pierres-figures. Longtemps on a cru que l’art datait de l’époque magdalénienne. D’importantes découvertes, d’abord contestées, ont prouvé qu’il existait dès l’aurignacien. Les préhistoriens officiels ne remontent pas plus haut : ils nient obstinément l’existence de pierres-figures dès l’époque chelléenne (il nous a été donné d’en examiner un certain nombre dans la collection de M. Dharvent, à Béthune. Elles ont été découvertes dans les alluvions caillouteuses du quaternaire ancien. Naturellement les « officiels » ont nié leur authenticité, mais M. Dharvent, savant indépendant, ne s’est pas laissé intimider par leurs aboiements. Sa collection est unique, et constitue un des documents les plus précieux sur les débuts de l’art préhistorique). La sculpture s’est manifestée d’abord sous la forme de la ronde bosse, puis la gravure et la peinture se développèrent à l’époque aurignacienne (grossiers dessins schématiques d’hommes

et d’animaux, puis œuvres plus parfaites : Vénus de Laussel et autres). La technique s’enrichit par la suite. On a nié l’existence de l’art pendant le solutréen : or, les frises du Roc, pour ne citer que cette sculpture, ont contredit cette assertion fausse. Le magdalénien marque l’apogée de l’art quaternaire. Les troglodytes des cavernes périgourdines ont laissé des chefs-d’œuvre inimitables : ce furent d’incomparables animaliers, non surpassés depuis. Médiocres dans les figurations humaines, et cela pour des raisons qu’il ne nous appartient pas d’approfondir ici, ils sont inégalables quand ils gravent ou sculptent des rennes, des bisons, des mammouths, etc., qu’ils voient vivre sous leurs yeux. Les Combarelles, Font de Gaume, Altamira, etc., sont de véritables musées d’art préhistoriques. Art mobilier ou rupestre, les documents abondent, nous prouvant qu’à cette époque l’art et la vie se confondaient. On a essayé d’expliquer l’origine de l’art par la magie ou pouvoir que possède l’homme d’agir sur les choses d’une façon surnaturelle. Les chasseurs de rennes se seraient proposés, en dessinant des animaux, un but utilitaire, alimentaire et prophylactique : multiplication des animaux comestibles, éloignement des animaux nuisibles. On a tenté d’expliquer par la magie le réalisme de la technique quaternaire, Les cavernes seraient les sanctuaires dans lesquels opéraient les sorciers préhistoriques, sanctuaires au fond desquels peintures et dessins avaient été placés. Or, il n’est pas vrai que les figurations animales soient toujours placées au fond des cavernes. Il en est qui se trouvent à l’entrée. N’est-il pas plus raisonnable de penser qu’à côté d’œuvres pouvant avoir eu pour point de départ la magie, l’artiste préhistorique a simplement voulu occuper ses loisirs et exécuter pour son seul plaisir des œuvres d’art pariétales et mobilières destinées à orner sa demeure et les objets dont il se servait. L’homme primitif a connu la parure et les bijoux. Il a aimé s’entourer d’harmonie et de beauté. Cette tradition se retrouve chez l’homo glozeliensis, sculpteur et graveur dont les créations égalent les meilleurs dessins magdaléniens. Alors, la poterie naquit, puis les arts mineurs prirent un nouvel aspect avec les robenhausiens. La stylisation et le schématisme l’ont ensuite emporté sur l’inspiration et le lyrisme.

La découverte des œuvres d’art préhistoriques, trop nombreuses pour être énumérées ici, constitue un des chapitres récents, et des plus importants, de l’archéologie préhistorique. Ce chapitre a apporté à la science de l’esthétique un fondement réel et solide.

Philosophie de la Préhistoire. — Lamarck a dit fort justement : « Toute science doit avoir sa philosophie : ce n’est que par cette voie qu’elle fait des progrès réels. » Pour que la préhistoire joue un rôle dans l’évolution des idées, il faut qu’elle soit autre chose qu’un ensemble de faits sans liens entre eux, ou qu’une collection de vieilles pierres sans intérêt, d’où ne se dégage aucune vue d’ensemble.

« La Préhistoire est le véritable humanisme moderne », a écrit le préhistorien allemand Frobenius. Parole juste et profonde ! C’est, en effet, pour nos contemporains, une école de sagesse et d’humanité. Nous avons essayé de dégager de l’étude de l’anthropologie et de l’archéologie préhistoriques une philosophie : c’est ce que nous avons appelé la « philosophie de la préhistoire ». Cette philosophie est pleine d’enseignements, Elle nous rappelle nos humbles origines et nous montre l’évolution en marche vers le mieux. Elle exige que chacun de nous se dépouille de ses préjugés et de ses erreurs pour vivre une vie saine et naturelle, dégagée de tout l’artificiel qu’une pseudo-civilisation y a mêlé. Le retour à l’âge des cavernes ne serait point, comme on ne cesse de le répéter, un retour à la sauvagerie ancestrale, à la barbarie. L’âge des cavernes, si