Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PRE
2112

conventions, la loi, qui n’a jamais créé un grand homme alors que la liberté a engendré des colosses et des horsmesure. Fichte disait que, si l’humanité était moralement accomplie, elle n’aurait pas besoin d’État ; Wilhelm de Humboldt, en 1792, défendait la thèse de la réduction de l’Etat à sa fonction minimum ; Alfieri, en Italie, écrivait De la Tyrannie.

De tous côtés, l’autorité, sous une forme ou sous une autre était battue en brèche. Spinoza, Comenius, Vico, Voltaire, Lessing, Herder, Condorcet ont été des libertaires par certains points, certaines formes de leur activité littéraire. En luttant contre les supplices infligés aux sorciers, contre la sévérité des châtiments des délits, contre l’esclavage — pour la libération de la femme — pour une autre éducation de l’enfant — contre la superstition religieuse et pour le matérialisme : Spee, Thomasius, Beccaria, Sonnenfelds, John Howard, Clarkson, Mary Wollstonecraft, Rousseau, Pestalozzi, La Mettrie, d’Holbach, ont sapé les piliers de l’autorité. Il faudrait un volume pour rappeler les noms de ceux qui ont, à un point de vue ou à un autre, contribué à ébranler la foi en l’État et en l’Église.

Aussi nous arrêterons-nous à William Godwin, dont nous considérons l’Enquête sur la justice politique et son influence sur la vertu et le bonheur en général (1793) comme le premier doctrinaire de l’anarchisme digne de ce nom. Il est bien vrai que Godwin est un communiste-anarchiste, mais sa négation de la loi et de l’État convient à toutes les nuances de l’anarchisme. — E. Armand.


PRÉHISTOIRE (du latin prœ, avant et histoire). Définition. — La préhistoire suppose une définition de l’histoire. Elle est elle-même une histoire, — l’histoire de l’humanité en l’absence de l’écriture. L’histoire serait le récit des faits et gestes de l’humanité transmis par l’écriture. Peyrony donne de la préhistoire cette définition : « La préhistoire est la science qui, se basant sur des faits positifs, recherche ce qui s’est passé avant que les hommes aient relaté par écrit les faits dont ils étaient témoins. » Capitan définit ainsi la science préhistorique : « La préhistoire cherche à reconstituer la vie des premiers hommes, alors que, sauvages tout à fait primitifs, ils vivaient comme ceux-ci, n’ayant qu’une seule préoccupation : lutter contre la mort qui de toutes parts les menaçait et parvenir à continuer de vivre. » Nous croyons inutile de reproduire ici les nombreuses définitions qui ont été données de la Préhistoire par les savants. Toutes se ramènent à la précédente. Est-il juste cependant de définir la préhistoire comme étant l’histoire de l’humanité en l’absence de l’écriture ? L’écriture ne suffit pas à établir une démarcation entre la préhistoire et l’histoire. En effet, l’écriture ne date pas des temps historiques : nos ancêtres des cavernes avaient découvert des signes linéaires susceptibles de fixer leurs pensées sur une matière dure bien avant les phéniciens, auxquels on attribue l’invention de l’alphabet. Ne disons pas que la préhistoire est l’histoire de l’humanité en l’absence de l’écriture, mais l’histoire de l’humanité alors qu’existait une écriture dont nous ne connaissons pas la clé. Une écriture a bien existé pendant la préhistoire, mais nous ne l’avons pas encore déchiffrée. On interprète certains signes comme étant des marques de chasse ou de propriété. Il en est qui sont de véritables lettres, parmi lesquelles on en retrouve quelques-unes dont nous nous servons pour écrire ces lignes. Si nous ne sommes pas parvenus à déchiffrer l’écriture linéaire préhistorique, dont on constate l’existence 25.000 ans environ avant notre ère, pendant l’époque dite de la Madeleine, nous avons à notre disposition, pour reconstituer la vie de nos lointains ancêtres, une écriture particulière, qui est celle de l’art. Cette écriture peut être comprise de tous. Certes, on peut encore l’interpréter. Cependant le langage

de l’art finit par livrer tous ses secrets à celui qui fait un effort pour les découvrir.

Plutôt que l’écriture, ce sont des conditions morales qui séparent la préhistoire de l’histoire. On peut dire qu’avec l’histoire commence une ère d’esclavage et de bluff, et que l’homme a cessé de vivre librement pour s’assujettir à des gouvernements et à des lois. Les monuments de l’histoire prouvent surabondamment cet état d’esprit que les monuments de la préhistoire sont loin de nous révéler. Déjà l’époque néolithique, avec les menhirs et les dolmens, nous fait pressentir ce que sera un monde en proie à l’autoritarisme, ayant succédé à l’anarchie, — ici le mot anarchie n’est point synonyme de désordre, mais d’harmonie —, à l’anarchie qui fut le premier état social de l’humanité.

Méthode. — Pour reconstituer l’homme primitif, la science préhistorique a recours à toutes les sciences. Elle s’appuie sur toutes les connaissances humaines. Elle n’a que l’embarras du choix. Elle utilise toutes les méthodes. Ces méthodes, maniées avec prudence, nous permettent d’approcher d’une vérité approximative, relative, qui peut nous suffire. On combinera la méthode objective avec la méthode subjective. L’imagination et l’observation se prêteront main forte. Comment se passerait-on de l’observation en préhistoire ? D’autre part, l’observation toute seule ne suffit pas. Parfois, l’imagination nous met sur son chemin, ce qui nous entraîne à dire que le préhistorien idéal doit être doué d’autant de sensibilité que d’intelligence, et être savant et artiste à la fois.

En préhistoire, il faut commencer par le commencement. On partira donc du système solaire. La méthode astronomique précédera toutes les autres. Ensuite la géologie nous livrera la clé de bien des énigmes. La méthode géologique, qui en englobe elle-même d’autres, nous permettra de pousser plus avant nos investigations. Méthode astronomique, méthode géologique, ce sera là notre point de départ. La méthode stratigraphique permettra d’étudier couche par couche les débris abandonnés par les différents peuples qui se sont succédé. Le préhistorien sera tour à tour anthropologiste, archéologue, ethnographe, botaniste, zoologiste, minéralogiste, etc. L’archéologie combinée avec la paléontologie animale et la paléontologie humaine associées à la méthode esthétique et à la science de l’art permettront au préhistorien de « ressusciter » la vie des générations disparues. Nous pensons que l’étude de l’art préhistorique peut achever de recréer l’état d’âme et la mentalité des primitifs préhistoriques. On se gardera bien d’assimiler ceux-ci à des enfants, où même à des sauvages (la méthode ethnographique a du bon, à condition de ne pas en abuser).

Nous n’avons indiqué ici que très succinctement la méthode suivie par la science préhistorique. Répétons que toutes les sciences sont pour elle de précieux auxiliaires. D’autre part, le préhistorien doit être un esprit libéré de tous les préjugés, un ennemi des coteries et des formules toutes faites, et ne pas s’enfermer dans une théorie et s’y complaire, lorsque de nouvelles découvertes viennent les infirmer. C’est dire que la passion du vrai passera chez lui avant la passion tout court. Les préhistoriens n’ont pas toujours donné l’exemple de la sagesse : on assiste à de véritables pugilats oratoires qui ne nous les montrent guère sous un jour favorable. L’envie, la jalousie, l’incompréhension en font des êtres aussi laids que les moralistes et les politiciens. Le préhistorien devra donc s’affranchir des petitesses et des égoïsmes engendrés par la déformation professionnelle, l’esprit de corps, etc. Qu’il médite ces paroles d’un des siens : « Notre préhistoire est aujourd’hui si compliquée, elle nous révèle, à chaque instant, des particularités si singulières de l’ethnographie de nos ancêtres, qu’il ne faut jamais rien nier a priori. » Qui dit cela ? Le docteur Capitan, qui n’a pas toujours lui-