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sable qui, pour beaucoup, caractérise le positivisme. Délaissant le plan métaphysique, Comte ne veut pas que l’on donne une signification transcendante à la notion de causalité et que l’on ramène les unes aux autres toutes les catégories de phénomènes. Pourtant, dans ses derniers écrits surtout, il penche vers un spiritualisme et une finalité qui ont leur source dans la vie sociale. Sachons-lui gré d’avoir cherché à faire de la sociologie une science positive. Aux explications théologiques il substitua dans l’étude de l’évolution humaine, des vues, erronées parfois, mais qui du moins ne s’écartaient pas des données expérimentales. D’autres ont poussé plus loin depuis ; il a le mérite d’avoir ouvert la voie. Par contre, en étudiant son œuvre morale, religieuse, politique, on est pris de pitié, en voyant jusqu’où un grand esprit peut déchoir. C’est tardivement qu’Auguste Comte fit de la morale une science spéciale ; encore ses idées sur ce sujet restèrent-elles confuses et vagues. Sa manière de déterminer et de justifier les règles de la vie pratique ne saurait, en aucune façon, nous satisfaire. A l’en croire, l’homme, sans la société, ne serait qu’un animal ; à cette dernière il doit pensées, sentiments, vouloir, bien-être, en un mot tout ce qui fait de lui un homme. Seule existe l’Humanité « Le Grand Etre » ; l’homme pris isolément n’est qu’un mythe. En conséquence nous devons subordonner à la société tous nos sentiments et toutes nos pensées, nous sommes moralement contraints de lui consacrer toutes nos forces. Nous n’avons pas de droits, mais seulement des devoirs. N’étant pas libre, l’individu n’a pas à décider de l’emploi de sa vie d’après ses goûts personnels ; la société dispose souverainement de toutes ses facultés, de tout son être. On ne saurait imaginer tyrannie plus complète, bien que Comte répugne à l’emploi de la force. Si nous arrivons à posséder des droits, nous les tenons exclusivement de la fonction remplie par nous dans la société. Et Comte ose confondre cet esclavage honteux avec le véritable amour d’autrui, avec le dévouement à l’humanité ! Il ramène l’altruisme au respect de l’ordre établi, à l’obéissance aux chefs ! On ne saurait pousser plus loin l’inconscience ou le cynisme. L’admiration, professée par le créateur du positivisme à l’égard du catholicisme, du moyen âge, des jésuites, n’a rien qui puisse surprendre. Poussant plus loin, il voulut instaurer une religion avec un clergé, des temples et un culte qui n’est pas sans analogie avec celui que pratiquent les partisans de Rome. L’Humanité y remplace Dieu. Elle n’est pas conçue comme la cause efficiente du monde, mais comme la souveraine puissance dont nous dépendons, comme la Providence qui, par ses bienfaisantes inventions, nous protège contre l’action brutale des forces naturelles. Ce nouveau Dieu a quelque chose de la grandeur et de la bonté du Dieu des théologiens ; il enveloppe tout ce que les ancêtres ont laissé de meilleur. L’esprit des morts nous hante ; c’est eux qui continuent de gouverner les vivants. Un triple culte, personnel, domestique, public, fut institué par Comte en l’honneur de l’Humanité. Le culte personnel comportait de nombreuses prières et s’adressait aux femmes, « nos anges gardiens », qui représentent pour nous la Providence. Destiné à sanctifier les événements essentiels de la vie, le culte domestique comportait neuf sacrements. Au culte public se rattachait l’institution d’un calendrier positiviste rappelant les principales époques de l’histoire et le souvenir des grands hommes. On prévoyait l’existence d’un sacerdoce hiérarchisé, de temples, de fêtes. Les idées sociales et politiques de Comte découlent du même besoin de systématiser à l’excès, d’établir un ordre rigide. Entre le capital et le travail ne doivent pas survenir de conflits d’intérêts. L’ouvrier est un fonctionnaire, au même titre que le capitaliste ; il a droit à une large indemnité pour son entretien. C’est aux hommes compétents qu’il appartient de prendre les mesures exigées par

les circonstances. Mieux instruites, les masses renonceront à la souveraineté populaire qui n’est ni juste, ni efficace. Un double pouvoir, l’un temporel, l’autre spirituel, assurera la prospérité générale. Chaque république, d’étendue médiocre, aura pour chefs temporels des banquiers ; au-dessous d’eux viendront, par ordre d’aptitude à exercer l’autorité, les commerçants, les manufacturiers, les directeurs d’exploitations agricoles. Dans le domaine spirituel, c’est à des philosophes qu’appartiendra le souverain pontificat ; savants, artistes, poètes, prendront place dans la hiérarchie sacerdotale. Ce nouveau clergé, composé d’aspirants, de vicaires, de prêtres, de grands prêtres aura pour fonction d’enseigner, d’administrer les sacrements, de surveiller la moralité publique, d’admonester les coupables et même de les excommunier. Tous ces chefs, comme aussi les capitalistes seront désignés non par l’élection, ni héréditairement, mais par cooptation ; autant que possible chaque chef choisira son successeur. Comte, qui se réservait le souverain pontificat, se chargeait de désigner les premiers directeurs spirituels de la cité. Nous pourrions multiplier les détails grotesques ; ce qu’on vient de dire suffira pour édifier le lecteur. On ne s’étonnera pas qu’un grand nombre de positivistes, les plus sensés, les plus clairvoyants, aient repoussé cette organisation sociale et cette religion. L’Action Française, d’un côté, les socialistes, à l’opposé, ont invoqué Auguste Comte en faveur de leur doctrine ; on y trouve maintes affirmations contradictoires, en effet ; mais un partisan de la liberté sympathisera difficilement avec ce défenseur de l’État omnipotent. Quelques-uns de ses disciples se donnèrent le ridicule d’accepter l’œuvre du philosophe dans sa totalité et de pratiquer le culte positiviste. « Comme saint Paul, écrira le brésilien Miguel Lemos, nous préférons être tenus pour insensés, en suivant les leçons de notre Maitre, qu’être reconnus pour sages par la frivolité contemporaine ». Pendant plus de trente ans, Pierre Laffitte fut le chef des comtistes orthodoxes français ; en Angleterre, les grands pontifes furent successivement Richard Congreve et Fr. Harrison. La Suède, le Brésil, le Chili eurent des groupes remuants qui se bornaient à mettre servilement en pratique les préceptes du fondateur. Plus féconde fut l’action de disciples dissidents, Littré, Start Mill, Lewes, qui n’admettaient qu’une minime partie du comtisme et repoussaient absolument le Système de Politique positive. Quant à l’action diffuse de la nouvelle philosophie, on l’a exagérée singulièrement ; nous ne lui devons ni Spencer, ni Renan, comme on l’a prétendu : le premier s’est toujours défendu d’avoir subi l’influence de Comte, le second ne pouvait supporter la lecture du Cours de Philosophie Positive. Mais certains professeurs de Sorbonne estimèrent qu’elle leur serait d’un grand secours pour instaurer une religion nouvelle, celle de l’État ; par ailleurs des catholiques, comme Brunetière, André Godard, etc. la jugèrent capable de rajeunir l’apologétique chrétienne. Ce fut la vraie raison de son tardif succès. Durkheim doit beaucoup à Comte, et l’on sait qu’il exerça, de son vivant, une sorte de dictature philosophique dans l’Université. Faussement, on a confondu positivisme et comtisme ; les deux ne sauraient fusionner et le second reste un épisode d’importance secondaire dans l’histoire du progrès de l’esprit scientifique. Si Comte s’inspire de tendances positivistes dans ses premiers écrits, il retourne plus tard, inconsciemment ou non, aux vomissements de la théologie. — L. Barbedette.


POSSESSION n. f. Il est à remarquer que la possession n’est pas toujours synonyme d’appropriation. La possession représente l’occupation d’une richesse, le fait d’avoir présentement à sa disposition tel objet, produit, etc. C’est ainsi que, bien souvent, la possession représente la jouissance actuelle d’un bien non fondée