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marchand de cognac (no 7 bis), Les Baudin de nos jours (no 38), L’assiette au beurre municipal (no 55), Pour être député (no 56), Têtes de Turcs (no 61), Les bonnes paroles du camarade Briand (no 410). De même dans la première série des Hommes du Jour, par Méric et Delannoy.

Mais le politicien se peint lui-même encore mieux que n’importe quelle critique, grâce à l’ingéniosité que lui donne son besoin de paraître, de faire croire à son génie, à sa sincérité, à son dévouement, à tout ce qu’il ne possède pas. On a composé des recueils de ses discours et écrits choisis, ceux de Clemenceau et de Briand entre autres. Il manque ceux de M. Millerand, un des plus complets spécimen du genre, et c’est dommage. Il serait particulièrement édifiant de voir réuni ce que ce verbeux personnage a dit de plus caractéristique, depuis qu’il déclara la guerre au « vieux monde qui trébuche dans la boue et dans le sang », jusqu’au jour où il s’est gavé de cette boue et de ce sang comme président de la République. Comme tout ce qui bourdonne, tout ce qui piaille, tout ce qui se faufile pour être au premier rang devant le photographe, le politicien gesticule, grimace, hurle ; il est partout et l’odieux ne l’arrête pas plus que le ridicule. Il est l’arriviste, le bluffeur, le puffiste de la politique. Il préférerait être mort que de ne pas attirer l’attention sur lui, même pour recevoir des pommes cuites. Il avale toutes les couleuvres, donne dans tous les panneaux, même pour célébrer la gloire du grand poète Hégésippe Simon, ou pour délivrer de la tyrannie le noble peuple des Poldèves, qui n’ont jamais existé ! Il fait fi de tous scrupules, de toute fierté, de tous sentiments qui ne sont pas que verbaux, sauf peut-être dans l’intimité. Quand il a semé la ruine et la misère autour de lui, d’un « cœur léger », il pleure peut-être sur lui-même, comme M. Lechat.

Le politicien n’a pas d’opinion ; il a des appétits et il les promène d’un parti à l’autre dans l’espoir de mieux les satisfaire. Mais il ne sait pas sortir d’un parti « à l’anglaise », discrètement ; il faut qu’il s’en aille avec bruit et explique ce qu’il appelle « reprendre sa liberté d’action et de vote ». Il pratique ainsi l’ostentation du reniement. On n’est pas fier, généralement, d’être un renégat ; mais pour un politicien, c’est un sujet d’orgueil qui lui permet de se montrer dans les journaux sous ses aspects photogéniques les plus avantageux. La Fouchardière a raconté que la collection de M. P. Boncour comprend à cet usage 6.327 clichés aussi rares que curieux !

Le politicien prend les attitudes de dignité bouffonne du Matamore pour dire : « Jamais nous n’accepterions un mandat impératif. Nous plaçons au-dessus de tout notre conscience et ce que nous considérons être notre devoir. » Malheureusement, on ne sait jamais où est sa « conscience » et ce qu’est son « devoir », pas plus qu’on ne sait jusqu’où va son « dévouement » à la chose publique. Il a une si sainte horreur des responsabilités qu’il n’a pas même le courage de ses votes ! Il a inventé le « scrutin secret » pour pouvoir soutenir qu’il a voté blanc quand il a voté rouge, et tous les jours la peur de l’électeur lui fait rectifier ce que lui ont fait faire les bonnes combinaisons parlementaires. C’est ainsi que les politiciens manifestent ce que M. Jean Piot a appelé « la rigidité dans l’abandon des principes ». On comprend qu’ils ne veuillent pas de mandat impératif de leurs électeurs !… « Vieilles phrases, vieux mensonges, vieux galons », disait A. Karr, des boniments politiciens. Ils pensent tous comme certain ministre : « Il y a trente ans, je me serais fait couper en quatre pour mes principes. Aujourd’hui, je coupe mes principes en quatre. » A-t-on besoin d’avoir des scrupules quand on a tant d’esprit ?

Ces hommes, qui ont une si haute conscience et un si grand sentiment de leur devoir, sont surtout cramponnés au mandat qui les fait bien vivre. Aussi, comme dit La Fouchardière, « avant de voter une loi, ils ne se

demandent pas : « Est-ce que c’est utile au pays ? », ils se demandent : « Est-ce que c’est avantageux pour la coterie ? ». » La coterie, c’est le parti qui les soutient, ce sont les camarades sans lesquels ils ne seraient rien. L’ex-prolétaire, l’ex-travailleur qui, dans quatre ans de haute solde municipale, départementale ou législative, à laquelle s’ajoutent tant de profits affairistes, amasse une fortune que ne lui aurait jamais rapportée son métier quel qu’il fût, se révèle un parfait bourgeois. Il n’est pas un Cincinnatus et, lorsqu’il a été blackboulé, il use de tous les moyens pour ne pas retourner à sa « mistoufle » originelle. On ne veut plus voyager et payer sa place en 3espagnol classes dans la vie quand on a « resquillé » en 1re, et on s’accroche à ses prébendes, même si on n’y a plus de titres. Le « peuple souverain » peut avoir signifié à l’ex-député qu’il l’a assez vu. Le parti est là : c’est un syndicat de défense politicienne. Il le fait installer dans une sinécure avantageuse en attendant l’occasion de le faire réélire quelque part. C’est ainsi que d’anciens chambardeurs deviennent chefs dans l’administration, préfets, trésoriers payeurs généraux, ambassadeurs, gouverneurs de colonies, etc. en attendant de se « dévouer » de nouveau pour un mandat électoral. Si l’homme est devenu impossible auprès de ses premiers électeurs, on le patronne dans d’autres circonscriptions. Il ne connaît rien des intérêts locaux qu’il aura à représenter, mais il n’en a pas plus besoin qu’un ministre dans les choses de son ministère. Il y en a qui font ainsi le tour du pays sans trouver à se caser. On en fait alors des sénateurs par les combinaisons du suffrage restreint. Élevés à cette dignité (Senatorum ordinem adipisei, Cicéron), ils sont définitivement garés de la bagarre électorale, au-dessus du forum et du caprice de la foule qui ne les méprisera jamais autant qu’ils la méprisent. Ils planent au rang des dieux ! Il y a ainsi des familles entières pour qui le parasitisme politique est héréditaire, qui se le transmettent de père en fils comme une sorte de droit dynastique. Henry Becque n’entendait rien à la politique lorsqu’il disait :

« Et j’attendais la République
Sans en attendre rien pour moi. »

Chaque parti politique est la pureté même. C’est toujours chez le voisin que se produisent les collusions immorales. On crie d’autant plus fort contre celles de l’adversaire qu’on fait le silence sur les siennes. « Le propre des hommes de parti est de se soutenir, même sans s’estimer, parce qu’il est moins utile de s’estimer que de se soutenir », dit la morale politicienne. Quand les intérêts des partis différents ne sont pas trop opposés, il y a alors la solidarité politicienne qui joue. « J’aurais pu désavouer mon prédécesseur. Je ne l’ai pas voulu ; ce sont des choses que l’on ne fait pas ». disait M. Caillaux devant la Commission d’enquête informant sur l’affaire Oustric. M. Caillaux appellerait un agent de police pour arrêter un pickpocket opérant sous ses yeux la substitution d’un portefeuille particulier, mais il ne dit rien quand le pickpocket s’attaque au portefeuille public. C’est de la morale politicienne. Toute notion d’équité est ainsi complètement faussée au profit des intérêts politiciens ; ils font de la justice une chose absolument circonstancielle. Non seulement il y a une justice de classe, instrument de la lutte de classe, qui multiplie l’illégalité et l’arbitraire contre ses ennemis de classe et pratique une perpétuelle violation de la liberté individuelle, mais il y a une justice de parti, de boutique, de caverne électorale, et elle sévit de plus en plus grâce aux mœurs politiciennes. M. E. Jaloux a écrit, un jour, ceci : « Un convoi de forçats est parti pour la Guyane. Est-on sûr qu’aucun innocent ne s’y trouvait ? Je déplore seulement que les choses ne deviennent crucifiantes dans ce pays que lorsque la politique et les intérêts de caste s’en mêlent. »