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POE
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ches de ces derniers temps ont épuisé la poésie. Les manifestes, les tendances, les théories se heurtent dans un pêle-mêle déconcertant. Le symbolisme aboutit à Francis James (candide, mais poète), à l’imbuvable Paul Claudel, à l’abondant, trop abondant Paul Fort. Le romantisme est mort. Les parnassiens sont exsangues. Les « romans » sont exténués. Et, pour couronner le tout, les excentricités du jour, dont le surréalisme, déjà caduc, à base de freudisme et de communisme nuageux.

Est-ce la fin ? La poésie n’est pas forcément le vers dont la formule varie à travers les siècles, Le vers n’est qu’un exercice. La poésie, pour triompher, doit exprimer les aspirations d’une époque et ouvrir une large fenêtre sur demain. Tout ce qu’il y a de trouble, de vague, de « contenu » dans un siècle, le poète en aspire le suc dont il fera le miel qu’il nous offrira. A travers les bouleversements d’aujourd’hui, quel est le rôle du poète ? Au cours des âges, il a chanté l’amour, les lauriers, les dieux. Il s’est efforcé de violer le mystère. Le poète doit être de son temps et de tous les temps. Il lui faut traduire les aspirations profondes des hommes en proie à la douleur, à l’incertitude, à l’espérance.

Notre siècle est celui du Machinisme, du Progrès Scientifique, de l » Exploitation cynique, de la Sottise et de la Guerre. Mais il est gros de possibilités féeriques. Il contient toutes les clartés et tous les apaisements du futur. Que nous veulent tous ces bardes bardés d’incompréhension qui éjaculent péniblement leurs métaphores éculées, leurs bouts rimés et leurs proses rythmées ? Toujours le thème sempiternel : la gloire l’amour, la nature et ses feuilles desséchées et ses petits oiseaux ! Et il y a un Monde qui meurt, un Monde qui nuit, un immense effort vers l’avenir. On attend le Poète, le Vrai, qui scrutera les horizons, saura dire la peine des hommes et indiquer du doigt le chemin sur lequel l’humanité passera si elle ne veut pas mourir stupidement et ignominieusement. Point besoin d’écoles. Foin des chapelles ! La forme, pour impeccablement pure qu’elle soit, passe. Il n’en reste que l’aspect documentaire, l’expression fugitive d’un instant de la vie multiple et mouvante. Le poète est en face de l’éternité. Il lui faut s’installer sur une cime et plonger dans les perspectives. Prophète et guide, Victor Hugo était cela. C’est pourquoi il est grand parmi les grands. C’est pourquoi on lui doit tout. Poètes de demain, qui de vous va devenir un Dieu ?

Pour reprendre une formule célèbre, le poète sera anarchiste ou il ne sera pas.

Ceci ne veut pas dire que le poète doit adopter un credo politique ou social. Il est en dehors et au-dessus de nos luttes. Mais il ne peut point ne pas communier avec les vœux d’une humanité douloureuse qui cherche sa voie, à tâtons, parmi les égoïsmes déchaînés, les ambitions infécondes, les rivalités criminelles. Pour lui, pas de frontières. Il plane sur nos mêlées stériles. Il s’érige sur nos compartiments nationaux, décorés du nom de Patrie. Il est l’Homme qui se fait Verbe et vers quoi convergent tous les espoirs. A travers la confusion des idiomes, dans les malentendus immenses qu’entretiennent les préjugés, il apparaît la « claire Tour qui sur les flots domine ».

Le poète appartient à la Terre entière. Il emprunte les mots de sa tribu, veille soigneusement à la pureté de sa langue. Mais les mots ne font que vêtir l’Idée.

Le poète est Lumière, Vérité, Bonté. Qu’il use du sarcasme, du blasphème, de l’ironie, de l’amertume, il n’est que cela ou il n’est pas poète.

Le poète sait le néant de tout, et que le ciel est vide, et que les êtres sont en bataille contre les êtres. Mais il sait aussi que la vie, ce bouillonnement précaire et fugace dans le mouvement universel, a un sens — un sens unique vers la Compréhension totale et l’Harmonie — et que rien ne compte, rien ne vaut de toutes nos

agitations ridicules, si l’on n’a pressenti la grande, l’éternelle Loi de la Solidarité et de la Liberté.

La légende veut qu’Amphion, la lyre en mains, fit se dresser les pierres qui venaient, à son appel, se placer les unes sur les autres. Ainsi se bâtit la cité. La légende veut aussi qu’Orphée chantant, les bêtes féroces vinssent se coucher à ses pieds. Le poète saura charmer d’autres bêtes féroces qui pullulent dans la jungle sociale et constituera la grande Cité Humaine. Mais il faut, pour cela, qu’il renonce à cette sorte de masturbation funeste où il se complait et s’abîme. Il faut qu’il se fasse entendre. Il associera ses souffrances à la grande souffrance universelle. Il mêlera ses doutes, ses négations, ses espérances à celles de ses frères. Il dira la laideur de ce monde, magnifiera la Révolte qui, seule, crée et bâtit. Il entraînera les foules rampantes, non plus vers les boucheries immondes ou vers l’esclavage, mais vers les sommet s où resplendit l’Amour, et leur montrera, du doigt, le Chanaan, toujours promis, jamais atteint ; un Chanaan non pas offert par un Dieu dérisoire, mais pressenti, rêvé, voulu par l’Homme. — Victor Méric.

P. S. — A cet exposé rapide, mais qui devait être bref, attendu que le sujet traité est immense et que des volumes compacts ne l’épuiseraient point, il faut ajouter quelques aperçus concernant la poésie chez les peuples voisins.



Poésie allemande. — L’Allemagne a débuté par l’épopée avec son Niebelungenlied qui est l’œuvre d’un grand nombre de poètes demeurés anonymes, Elle a eu, comme la Grèce, ses aèdes. Les Niebelungen s’inspirent de la mythologie scandinave, chantent les Dieux et les Héros, et les batailles. La poésie des peuples enfants est toujours la même, à quelques variantes près. Épopées, chansons de gestes. Le rapprochement, avec la Grèce, peut se poursuivre. L’Allemagne a aussi son odyssée, Gudnina, poème anonyme qui conte la vie périlleuse des aventuriers normands. Puis, dans les siècles qui viennent, l’Allemagne a ses trouvères, ses troubadours qui parcourent le pays en chantant des liéder, C’est l’ère des Minnesanger.

Au xve siècle, une réaction se dessine. Les Meister-sänger (maîtres chanteurs) traduisent les douleurs, les joies, les espoirs du monde populaire. Le plus célèbre de tous ces poètes est Brant qui écrit la Nef des Fous, en dialecte alsacien. C’est une satire violente et puissante des mœurs de l’époque.

La Renaissance touche l’Allemagne, mais elle s’exerce, grâce à Luther, dans le monde religieux. Hans Sachs compose ses Chants du Carnaval qui inspirèrent, plus tard, Richard Wagner. En même temps, la légende de Faust prend son essor. Et l’on voit apparaître les chansons dites de société qui vont se développer (xviie siècle).

Au xviiie siècle, Klopstock compose sa Messiade, un poème épique sur le Christ. Wieland s’inspire de nos chansons de gestes. Bürger triomphe dans la ballade, Mais il faut arriver à Gœthe, le poète le plus puissant de l’Allemagne, un des pères du romantisme, pour voir s’épanouir le génie allemand. Faust, Werther, Herman et Dorothée sont immortels. Son Roi des Aunes est inoubliable. Ajoutons que Gœthe était un esprit transcendant et que son influence sur le monde entier subsiste. Il se plaçait au-dessus des différences de race et de langue et se penchait sur notre Révolution. La pensée humaine doit beaucoup à ce poète grand parmi les plus grands.

Schiller, ami de Gœthe, a laissé des drames, des ballades, des romances. C’est également un grand poète lyrique. Toute son œuvre respire l’amour de la justice et de la liberté. Citons : Guillaume Tell, Les Brigands