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césure, privé de la gymnastique de l’enjambement, se retrouve plus aérien, bondit vers les espaces libres. Le passé moyen-âgeux ne suffit plus. On vole vers l’Orient, un Orient conventionnel, mais plein de couleurs, rutilant et chaud, où la fantaisie ne connaît aucun bâillon. La formule du romantisme tient dans un mot : Liberté. Mais, liberté dans le cadre d’une prosodie consentie, régulatrice, permettant les bonds de l’imagination et ne présentant que des obstacles aisés à franchir ou à tourner. Ceci pour la technique. Pour l’expression, la liberté sans rivages, selon le mot que Vallès reprendra plus tard. Tout le xixe siècle qualifié de « stupide » par un polémiste délirant, aussi bien dans l’ordre politique et social que dans l’ordre scientifique ou littéraire, s’explique par ce mot : Liberté. La Révolution a profondément agi sur les esprits et le pédantisme des siècles précédents rebute toute une jeunesse ardente, avide de mouvement, brûlée de curiosité, Il y a bien encore quelques retardataires qui s’efforcent de défendre le temple classique. Mais les jeunes iconoclastes sont trop nombreux et leurs assauts s’avèrent impétueux. Les Lemercier, les Baour-lorman reculent. Le romantisme va s’affirmer dans un ouragan.

Ses sources sont l’Orient et le Moyen Age. Ses maîtres, il va les chercher ailleurs qu’à Rome et à Athènes. Et il se dresse impétueusement contre les derniers champions de la tragédie ou de la poésie didactique représentées par un Castel qui chante la forêt et les plantes, un Boisjolin qui rime une Botanique, un Campenon, un Gudin, un Laya, un Lemercier, un Arnault, un Raynouard, un Brifaut. Tout cela sent la fin. C’est la queue sans prestige du grand siècle, sans la légèreté libertine et l’ironie aimable du xviiie. Il est même curieux que Jean-Jacques, Diderot, Voltaire, les Encyclopédistes aient pu bénéficier de successeurs aussi indigents. Mais il est vrai, d’autre part, qu’en dépit des apparences, la révolte romantique est provoquée par eux. L’influence d’André Chénier reste mince et, seules, des femmes élégiaques comme Mlles Desbordes-Valmore, Aimable Tastu, Sophie Gay, Delphine Gay (Mme de Girardin) se réclament de lui.

Cependant, outre l’influence des philosophes du xviiie, particulièrement de Rousseau, il faut noter celles de Bernardin de Saint-Pierre et de Chateaubriand, les vrais parrains du romantisme. En même temps, le théâtre anglais (Shakespeare) et le théâtre allemand (importé par Mme de Staël), influencent les jeunes écrivains. Ossian et Byron ne contribuent pas peu au renouveau du lyrisme. Gœthe exerce une attraction formidable sur tous. Bientôt la guerre est déclarée aux « vieilles perruques » et Mme de Staël baptise la nouvelle école. Hugo, qui débute, repousse le mot : romantisme ; puis, devant les railleries des héritiers de Boileau, il le reprend comme un drapeau.

C’est au théâtre surtout que les plus formidables bagarres vont se poursuivre. Hugo va lancer Cromwell et son inoubliable préface. Il piétine les règles de la tragédie avec son unité de temps et de lieu, son abus du confident — qu’il remplace d’ailleurs par le monologue — sa monotonie, son absence d’action ! Le drame du xviiie siècle, si timide, si pondéré, s’élargit, prétend à exprimer toute la vie humaine, à en extraire à la fois tout le sublime et tout le grotesque. Shakespeare est passé par là, grâce à Frédéric Soulié qui donne Roméo et Juliette. Les classiques protestent. Mais Alexandre Dumas donne Henri III et sa cour, et Victor Hugo livre l’inoubliable bataille d’Hernani. Le public répond à l’appel. E. Casimir Delavigne, lui-même, le dernier des classiques, se laisse gagner.

Dans la poésie pure, Lamartine triomphe, tout en demeurant à l’écart du mouvement avec ses Harmonies, ses Méditations, son Jocelyn. Et Victor Hugo va dominer son siècle, depuis les Odes et Ballades, en passant par les Orientales, les Feuilles d’Automne, les Voix

intérieures, les Rayons et les Ombres, les Châtiments, les Contemplations, la Légende des siècles, jusqu’à l’Art d’être grand-père. A côté de ce géant, Alfred de Vigny, avec ses Poèmes antiques et modernes ; Alfred de Musset, considéré comme l’enfant terrible du romantisme, alors qu’il demeure sensiblement classique ! Derrière, le chansonnier Béranger, l’auteur des Iambes ; Auguste Barbier ; le chantre de Marie : Auguste Brizeux ; le lamartinien Victor de Laprade, etc., et les fantaisistes Théophile Gautier, Théodore de Banville.

Le mouvement romantique qui provoque une véritable révolution dans la poésie et au théâtre ne tarde point, cependant, à tomber dans l’excès. Une réaction se dessine avec Ponsard, l’auteur de Lucrèce et de Charlotte Corday et Emile Augier. Puis les querelles s’apaisent. D’autres écoles vont voir le jour. Charles Baudelaire, dont Hugo dit qu’il a créé un frisson nouveau, compose ses Fleurs du Mal qui sont à l’origine du symbolisme et du parnassisme. A la vérité, toute la poésie moderne est contenue dans Hugo le Père, qui a tout dit et dans Baudelaire, le maître de la forme. De ces deux sources, vont partir tous les courants.

Contre le romantisme, c’est la croisade naturaliste, d’abord avec Zola qui, malgré lui, reste imprégné de ce qu’il appelle la « sauce romantique ». Le romantisme, au fond, n’est fait que de couleurs et d’images. La réalité lui échappe. Telle est la nouvelle thèse. Mais le naturalisme lui-même, va subir de rudes assauts. Voici le symbolisme qui triomphera avec Paul Verlaine, petit musicien sans idées, et Stéphane Mallarmé le théoricien du groupe, qui verse dans l’abscons et, pourtant, apparaît aujourd’hui comme un modèle d’éblouissante clarté. Soyons juste. Tous deux sont des poètes. Verlaine a des accents auxquels il est difficile de résister. Mallarmé, pur et noble, est aussi harmonieux qu’inventif. Mais l’engouement les a situés à une place d’où la postérité les délogera. D’autres symbolistes ont exercé une influence profonde sur les générations d’aujourd’hui : l’amer, le féroce Tristan Corbière, le néantiste Jules Laforgue, le vibrant et coloré Arthur Rimbaud, l’immense et marécageux Verhaeren ; le petit-fils de l’abbé Delille, Albert Samain… Citons encore Henri de Régnier, Gustave Kahn, Maurice Maeterlinck, Stuart Meril, Francis de Viellé-Griffin, Adelphe Retté, Rodenbach, Paul Valéry… Nous sommes loin du romantisme. Le vers classique, disloqué par la bourrasque de 1830, aboutit au vers libre. On ne jure plus que par l’assonance et le rythme. Les derniers romantiques sont représentés par François Coppée, un excellent poète quoi qu’on puisse dire et qui se tient à mi-chemin entre les romantiques et les naturalistes ; Jean Richepin, truculent, argotique, baudelairien et hugolesque, et Edmond Rostand, le dernier, verveux et d’une aimable fantaisie.

Parallèlement au symbolisme, se développent le Parnasse et l’école romane. A la tête des parnassiens qui veulent imposer le culte de la beauté plastique (Verlaine, d’abord parnassien, s’écriait : Est-elle en marbre ou non, la Vénus de Milo ?), c’est d’abord Leconte de Lisle, très grand, au-dessus des chapelles ; De Heredia ; Sully Prudhomme (qui prend une place à part dans la poésie « philosophique » ). L’école romane a pour chefs, le Grec Jean Moréas, qui se réclame de Ronsard, et Raymond de la Tailhède. Poésie froide, semée d’archaïsmes. A côté de ces chefs de groupements, Laurent Tailhade, poète aristophanesque, d’une verve cruelle et vengeresse, mais pauvre en sensibilité lyrique.

On comprendra aisément que nous nous voyons dans l’obligation de résumer. Les chapelles se multiplient. Les groupes « poétiques » se succèdent. Saint-Georges de Bouhelier découvre le « naturisme » qui a fait long feu. Jules Romain lance l’unanisme. De bons poètes encore : Fernand Gregh, issu de Verlaine ; Maurice Magre, René Arcos, Georges Duhamel, Jean-Paul Toulet, André Salmon, etc. Mais il semble que les recher-