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POE
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celle qu’il faudra faire une nouvelle « dernière » fois « pour que nos enfants ne connaissent plus ce crime : la guerre ». On repartira « frais et joyeux » et ceux qui en reviendront diront encore : « C’était le bon temps !… » (M. Dorgelès) en exhibant leurs « gueules cassées », leurs moignons et leurs misères, pour faire de la publicité à leurs « camarades » politiciens et académiciens. On plutarquise partout, à jet continu, nationalement et internationalement, sous les dictatures et dans les caricatures de démocraties. Bellicisme et pacifisme se confondent dans le belli-pacisme et le paci-bellisme. Les mêmes journaux qui chantent la renommée de M. Briand « pèlerin de la paix », font une large place aux manifestations contre la guerre, publient des appels des femmes contre l’éducation militaire de leurs enfants, chantent en même temps la gloire du général Mangin « broyeur de noirs », gémissent avec tous les aboyeurs de la publicité des plaques blindées et des munitions sur « l’insuffisance de notre préparation militaire », et offrent aux enfants, pour faire leur éducation pacifiste, l’histoire du petit Turenne qui, à huit ans, avait appris, dans Plutarque, l’histoire des héros grecs et romains, et à neuf ans, couchait « par un temps de neige sur l’affût d’un canon » !… Des prêtres, des savants, des poètes, exaltent les vertus, l’utilité, la beauté de la guerre ; des guerriers font des tableaux idylliques de la paix. Tous ces compères passent à la caisse des marchands de canon, de godillots et de conserves que leurs victimes, médusées par le respect de l’ordre, ne se décident toujours pas à accrocher à de justicières potences.

Le plutarquisme, qui possédait déjà dans les moyens de l’industrie publicitaire des ressources infinies, en a trouvé d’autres, plus intellectuelles et plus littéraires, si l’on peut dire, dans l’histoire romancée dont le goût s’accorde si bien avec les pétarades, le bluff, la grossièreté, la fausse distinction et l’héroïsme canaille de notre époque de mutisme. Il y a eu de tout temps de faux mémoires, des apocryphes, qui ont fait figure de documents historiques et dont l’importance correspondait à celle de leurs prétendus auteurs. On a vu ainsi de faux écrits de rois, de ministres, d’une foule de personnages plus ou moins illustres, bourrés des faits les plus imaginaires, des mystifications les plus audacieuses, qui sont devenus des vérités de l’histoire suivant les intérêts des partis. L’histoire romancée a ajouté à ces falsifications la note littéraire imaginative, sentimentale du roman pour entraîner l’esprit public à une soumission de plus en plus abrutissante aux disciplines de l’ordre militariste, religieux et policier. La lâcheté publique, qui n’a aucune réaction contre le plutarquisme de la tribune, de la chaire, du journal, n’en a pas davantage contre les « lois scélérates » et la matraque policière. On l’oblige, aujourd’hui, à saluer le drapeau ; on l’obligera demain à saluer des processions.

A la suite de la Révolution, les premiers temps du xixe siècle avaient vu l’engouement public pour l’histoire. Walter Scot l’avait mise dans le roman avec un vif succès. Il se créa une industrie qui mit le roman dans l’histoire et qui fabriqua à tour de bras, pour toutes les classes et tous les partis, l’histoire romancée. On eut le choix entre des mémoires de personnages de la vieille cour échappés à la guillotine, de marchandes de modes, d’anciennes catins tombées dans la dévotion, de conventionnels, etc. Les mêmes officines où se signalaient par leur activité les Max de Villemest et les Lamothe-Langon, fabriquaient, avec un égal entrain, une Correspondance du pape Clément XIV, des Mémoires de la duchesse de Berry, de Mlle Bertin, modiste de Marie-Antoinette ; de Léonard, son coiffeur, de Sophie Arnould, et de Pauline, la « veuve de la Grande Armée », ou de Bourrienne et de Brissot. L’histoire de Cagliostro avait épuisé les forces de plusieurs feuilletonnistes quand A. Dumas s’en empara et y attela une

vingtaine de ses « nègres » habituels. Il prétendit alors, non sans esprit, apprendre l’histoire aux historiens et au peuple, et il déclara, non sans raison : « Les historiens passent si souvent, sans les relever, près des infamies des princes, que c’est à nous autres romanciers à faire, dans ce cas-là, leur office, au risque de voir, pendant un chapitre, le roman devenir aussi ennuyeux que l’histoire. » Le républicanisme d’A. Dumas était alors émoustillé par la loi du timbre qui menaçait son industrie feuilletonesque.

L’histoire romancée d’aujourd’hui, pas toujours moins ennuyeuse que l’histoire, est nettement du plutarquisme en ce qu’elle a un but bien déterminé de prosélytisme suivant les fins de l’ordre. Grâce au confusionnisme qui a supprimé toute distinction des valeurs, on annexe des révolutionnaires, ou tout au moins des esprits indépendants, à la réaction et au néo-catholicisme. Plus souvent on fait de conquérants, d’inquisiteurs, de dictateurs, de débauchés, des exemples d’hommes de paix, de tolérance, de liberté, de sainteté. C’est un galimatias qui fait de notre temps « une époque bénie par les farceurs, les visionnaires, les confusionnaires, illusionnistes, faiseurs de boniments, marchands d’orviétans, inventeurs de spécifiques à la graisse de chevaux de bois. » (.J.-R. Bloch). Des foules de Loriquet, clercs et laïques, de toutes les religions et de tous les partis, continuent à maquiller, fausser, plutarquiser l’histoire et la vie tout entière. Ils plutarquiseront tant qu’ils rencontreront des hommes pour croire à leur imposture et pour obéir à l’ordre criminel dont ils sont les soutiens. — Edouard Rothen.


POÉSIE. Rien d’aussi vaste que ce mot qui est sujet aux interprétations les plus diverses et revêt bien des sens. D’Homère à MM. Paul Claudel et Paul Valéry, pour prendre deux pôles, il y a de la marge. L’application qu’on a pu faire de la poésie (le mot et la chose) varie à l’infini et l’on éprouve quelque embarras à rechercher une signification à peu près exacte.

Il est évident qu’au berceau des civilisations, la poésie se confond avec le chant. Le poète chante. Il chante les guerriers victorieux, l’amour, les champs, le ciel et la terre. Orphée chantait et les bêtes les plus féroces se couchaient à ses pieds. Amphion chantait et, aux accents de sa lyre, les pierres de Thèbes se rangeaient les unes sur les autres. De même, Tyrtée chantait et les guerriers se précipitaient dans la mêlée. Les premières manifestations de la poésie sont du genre lyrique et du genre héroïque. Il faut y joindre le genre bachique ou dithyrambe, en l’honneur du dieu du vin, et le genre érotique.

Ainsi, au début, on rencontre les chants de guerre, l’ode héroïque ou pindarique (du nom de Pindare), les chœurs lyriques qu’on trouve dans les tragédies, les cantates, les chansons… Au Moyen Age, ce seront les mêmes essais, les mêmes tâtonnements avec les chansons de geste. La guerre, l’amour, les rivalités des dieux et les grands de ce monde font les frais de la poésie.

Plus tard, avec l’évolution des langues, la poésie se sépare du chant, est soumise à des règles fixes que certaines révolutions d’écoles tenteront d’enfreindre et que les époques dites de décadence s’enorgueilliront de mépriser. Mais, en résumé, la poésie doit tenir compte d’un certain rythme. Chantée au commencement, elle est, par la suite, scandée, soit, comme chez les anciens, par le jeu des syllabes longues ou brèves ; soit, comme chez les classiques français, par le jeu des hémistiches, de la césure et de la rime. Chez les contemporains, le vers est torturé, disloqué, ne relève plus que de vagues assonances et d’une musique approximative. La poésie se réfugie volontiers dans l’abscons, échappe à toutes règles et rejoint la prose tant