Lorsque l’heure est tardive, et que le bal qui a suivi le banquet touche à sa fin, on les surveille sans en rien laisser paraître ; on invente mille farces pour les empêcher de faire ce qu’ils ont à faire. Quand ils se croient bien seuls, on simule un incendie pour les contraindre à déguerpir à demi vêtus, ou bien leur extase est troublée, à l’instant le meilleur, par l’arrivée d’un flot de convives en ribote, venus pour leur apporter au lit de la soupe et du vin chaud. Quels préparatifs, quel décor pour une première nuit d’amour ! Il est vrai que, chez les Hottentots, le sorcier bénit les conjoints en les arrosant de son urine.
Les premiers contacts gagneraient certainement à plus d’intimité et de réserve. Ne pourrait-on se décider à laisser en paix les nouveaux époux ? Aucun cérémonial ne remplace ni n’embellit l’amour, qui ne trouve sa plus haute expression que dans la liberté entière du don réciproque, et dont la meilleure fête est celle de la mutuelle possession.
La Russie Soviétique a réduit à leur plus simple expression les exigences du mariage. Il n’est plus qu’une formalité d’état-civil ; encore est-elle dénuée de complications vaines. Le jeune homme à partir de l’âge de dix-huit ans, la jeune fille qui a seize révolus, n’ont, s’ils veulent s’unir, qu’à se présenter, munis de quelques pièces d’identité, devant le scribe désigné pour cet office. Sans qu’aucune autorisation familiale soit requise, leur déclaration d’union est enregistrée. Et c’est tout !
Les nouveaux mariés peuvent prendre pour nom, indifféremment, celui de l’épouse ou celui de l’époux, ou bien les deux noms de famille associés par un trait. Leurs droits sont identiques. Chacun d’eux conserve la libre disposition de son avoir personnel. S’ils veulent divorcer, libre à eux. Nulle nécessité de l’approbation d’un juge, ni d’enquêtes de police vexatoires et inconvenantes, pour qu’ils soient dégagés de tout lien. Il n’est pas même exigé qu’ils soient d’accord pour cette séparation. Il suffit que l’un des deux se rende au bureau de l’état-civil et déclare qu’il renonce à l’union pour que ce soit chose accomplie. Le conjoint absent est informé par lettre. L’enregistrement du mariage soviétique ne répond qu’à deux objets : l’obligation d’entr’aide des époux, qui se doivent assistance en cas de dénuement ou maladie ; la responsabilité de ces derniers à l’égard d’une partie des frais d’entretien et d’éducation des enfants nés de leurs amours, même lorsque celles-ci n’ont été que temporaires.
Quelles que soient les formes politiques et religieuses, ou les pratiques rituelles d’un pays, le mariage, du point de vue de l’utilité sociale, ne correspond pas à autre chose quant au fond, qu’à ces deux ordres de préoccupation, de nature strictement économique. La femme étant appelée à être mère, c’est-à-dire placée avec régularité, pour un temps plus ou moins long, dans l’impossibilité de travailler pour gagner sa vie, alors que les enfants déjà nés constituent pour elle une très lourde charge, force lui est bien, en dehors de tout esprit de lucre, de rechercher auprès de l’homme de son choix des garanties matérielles que ni sa famille ni la société ne sont disposés à lui assurer. Cependant l’homme ne les accorde, ces garanties, qu’autant que la femme réserve pour lui seul ses faveurs, et s’engage à ne pas lui faire supporter l’entretien de rejetons qui ne seraient point issus de ses œuvres. C’est pourquoi, dans notre organisation sociale, la femme ne peut être vraiment indépendante que lorsque ses ressources personnelles lui permettent de se suffire constamment à elle-même et d’élever, par surcroît, des enfants, si elle ne se voue à la stérilité volontaire. C’est pourquoi l’émancipation féminine ne pourra être totale que lorsque les femmes pourront trouver, dans le mutuellisme d’une société plus rationnelle et plus humaine, les avanta-
MARIAGE. — Outre l’union sexuelle, le mariage est aussi une communauté d’intérêts, et c’est cette communauté qui maintient l’union malgré les traverses des amours illégitimes. Dans la classe bourgeoise ces intérêts forment souvent un bloc inébranlable. Mais même lorsque la religion renforçait encore les liens sacrés du mariage, le cocuage était et est encore un dérivatif fréquent à cette union forcée.
L’habitude à son tour maintient les époux dans la vie en commun. Les époux se trouvent liés inconsciemment par leurs manies, la certitude de retrouver au foyer les choses familières et le déroulement mécanique de la vie matérielle, sans que l’esprit ait à faire un nouvel effort d’adaptation. La plupart des humains ont horreur du changement, et il leur faudrait une énergie révolutionnaire pour rompre les liens de l’habitude.
Même si l’on fait abstraction de l’opinion publique, des lois civiles et religieuses, même si l’on suppose une société où l’homme et la femme seraient affranchis des questions d’intérêt matériel et pourraient vivre d’une vie indépendante, il semble bien que les unions resteraient stables dans la grande majorité des cas. D’autant qu’on peut imaginer que les questions d’argent ne viendraient plus fausser les ententes matrimoniales et que la sympathie et l’amour présideraient aux rapprochements sexuels. Fondés sur l’affection mutuelle et sur l’amour des enfants, cimentés par les habitudes de vie commune, les mariages ont toujours tendance à se stabiliser. On le voit bien dans les pays où le divorce est accordé avec la plus grande facilité, par exemple aux États-Unis. Et même en Russie, où, d’après les calomnies des gens bien pensants, la promiscuité et le dévergondage sexuels devraient être la règle, c’est au contraire les unions permanentes qui sont l’immense majorité.
Ce qui fait de l’effet, ce sont les divorces répétés des instables et des déséquilibrés de l’un ou de l’autre sexe. Mais c’est une délivrance pour l’autre conjoint, d’être débarrassé d’un individu volage ou inadapté à la vie en commun. Le divorce est nécessaire aussi pour libérer des époux mal assortis par le caractère ou pour toute autre cause, et leur permet de trouver ensuite, avec ou sans. tâtonnements, une association sexuelle convenable et mieux choisie.
Ajoutons aussi, comme cause importante de la stabilité des mariages, le progrès moral lui-même. L’opinion publique a été pendant longtemps le, frein moral principal réagissant sur les actions des individus et se traduisant par des lois de coercition civiles et religieuses. Certes l’opinion publique s’exerce et s’exercera toujours sur les actes humains, mais avec moins de tyrannie ; et de plus en plus les individus trouvent en eux-mêmes le contrôle de leurs actions. Le contrôle de soi accompagne l’adoucissement des mœurs et l’évolution morale vers la liberté. Cette liberté consiste à refréner spontanément caprices ou impulsions sans y être obligé par le gendarme. Si donc il arrive qu’un époux ait perdu son amour, mais s’il a conservé quelque estime et quelque affection pour son conjoint, il s’abstient de rompre le lien pour ne pas lui causer de douleur. Ne pas créer de souffrance, tel est l’axiome qui se dégage des tâtonnements des hommes à travers tous les systèmes moraux qu’ils ont successivement élaborés.
Un tel contrôle de soi ne va pas jusqu’au sacrifice. Seuls des chrétiens ou des stoïciens peuvent envisager l’union avec une femme acariâtre ou avec un mari autoritaire et ennuyeux par exemple, comme un devoir