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païenne n’est établie que sur des systèmes divers d’oppression. Les mœurs des peuples sont remarquables par les façons originales de chaque peuple à s’opprimer plus ou moins dans la nation

Mais, où l’oppression gagne en puissance, c’est au point de vue de l’extension des Peuples ou plutôt des nations en dehors de chez elles. Cela s’appelle la colonisation, c’est-à-dire l’oppression inqualifiable sur des malheureux auxquels, par la guerre ignoble, des guerriers capables de tout, imposent, sous le prétexte cynique de civilisation, la pire des oppressions. Ces opprimés de la colonisation ont tout subi. On a d’abord méprisé leurs croyances stupides pour leur en imposer d’autres qui ne le sont pas moins. Puis, on a conquis leur pays pour les protéger en les fusillant, en les mitraillant, en brûlant, en pillant tout chez eux. On n’a tenu aucun compte de leurs mœurs, de leur religion, de leurs sentiments, de leurs aptitudes. On a varié pour eux l’oppression dite sauvage, en leur inculquant les bienfaits de la civilisation par l’exemple de l’injustice, et de la cruauté. On leur a donné le goût de l’ivrognerie en les dotant de toutes sortes de mixtures dénommées eaux-de-vie, pour les abrutir ou les faire mourir. En plus de l’alcool, après s’être moqué de leurs mœurs privées, et avoir tourné en ridicule leurs cérémonies naïves ou naturelles, on les a gratifiés de nos vices et de nos maladies. Pour mieux les opprimer, on a pourri le corps et l’esprit de ces malheureux dont on a fait des esclaves pour les travaux forcés, au profit des civilisateurs et des soldats sanguinaires pour défendre et protéger les biens et la vie de ceux qui les ont asservis et qui les oppriment.

Les oppresseurs, pensons-nous, ont si bien accompli leur tâche de civilisation que tout ce qui se passe actuellement est l’indice assez clair de transformations prochaines dans le monde entier.

Les millions d’opprimés de l’Inde, dans leur passivité, se montrent formidables à leurs ennemis : les Anglais. Demain, peut-être, la classe des fonctionnaires et des colonisateurs verra une forme nouvelle de résistance à l’oppression, qui ne sera plus celle de Gandhi.

En Asie, couve une révolte latente qui n’attend pour éclater qu’un animateur, un entraîneur, un Messie… Un homme ou une nation. Qui sait ?

En Afrique, l’oppression, qui fait honte à l’homme opprimé de n’être pas de la même couleur que son oppresseur, nous réserve sans doute une future guerre de races où les blancs riront jaune.

Enfin, il n’est pas jusqu’aux pays d’Europe et d’Amérique, las, épuisés par la dernière Grande Guerre, subissant tour à tour des crises économiques, qui ne se demandent ce que pourra bien être pour eux l’avenir, si menaçant !

La tyrannie financière pourrait bien faire place à une autre tyrannie dont l’oppression ne serait vraiment cruelle qu’aux oppresseurs de la veille. Ce ne serait pas encore la perfection, mais ce serait peut-être un pas vers elle. Qui vivra, verra, dit-on. Puissions-nous voir la fin de toutes les oppressions ! Pour cela, soyons de tout cœur et de toute raison, les adversaires déterminés des oppresseurs, les défenseurs ardents des opprimés !

Il est insensé de croire qu’on peut s’affranchir soi-même en laissant subsister partout l’oppression. Il faut anéantir celle-ci dans tous les domaines : politique, économique, moral, social, national, international. Alors, seulement, la Liberté sera ! — G. Yvetot.


OPTIMISME n. m. (du latin optimus, très bon). C’est, nous dit Littré, un « système de philosophie où l’on enseigne que Dieu a fait les choses suivant la perfection de ses idées, c’est-à-dire le mieux, et que le monde est le meilleur des mondes possibles. » C’est aussi « une tendance à voir tout en beau, surtout en politique ».

Nous ne nous occuperons pas de l’optimisme philosophique qui est une véritable bouteille à encre. Constatons simplement qu’il est peut-être, dans toute la métaphysique, le système le plus funeste à l’idée de Dieu et de sa perfection, car la réalité nous fait observer à tout instant l’imperfection du monde. Même en admettant que Dieu ait fait ce monde et que, par rapport à Dieu, il soit parfait et que toutes les choses y soient bonnes, nous ne pouvons, par rapport à nous, reconnaître cette perfection et cette bonté. Il se peut que le choléra et la peste soient bons en eux-mêmes et prouvent la perfection divine ; ils n’en sont pas moins détestables pour le plus grand nombre des hommes. Il faut être un fou mystique, un de ces vésaniques que les pratiques religieuses ont détraqués, dont elles ont fait des brutes sanguinaires, pour se réjouir des calamités qui accablent le monde et y voir les effets de la « perfection divine ». Cet optimisme féroce ressemble étrangement à ce pessimisme qui n’attend le bien que de l’excès du mal. C’est ainsi que les extrêmes se touchent, et ils se touchent doublement quand, à côté des moines qui prêchent la guerre pour ramener les hommes à Dieu, des révolutionnaires professent que la révolution ne sortira que de l’excès de misère !… Les révolutions de la misère ont toujours été désastreuses pour les miséreux.

Voltaire, dans son roman Candide, a spirituellement raillé l’optimisme qu’il fait définir par son héros « la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal ». Il faut remarquer qu’il ne dit pas : « quand tout est mal ». Il a le bon sens de se garder du préjugé contraire à l’optimisme, celui des pessimistes qui, s’ils n’ont pas fabriqué un système philosophique pour enseigner que « tout est mal », n’en sont pas pour cela mieux équilibrés que les disciples du « tout est bien ».

Il faut pourtant constater que l’optimisme a, plus que le pessimisme, un fondement dans les faits naturels et sociaux. Toute la nature est optimiste et l’homme est naturellement optimiste. Il est indiscutable que dans toute la nature les forces favorables à la vie dominent celles qui lui sont contraires, que la vie est plus forte que la mort ; sans cela, le monde n’existerait plus depuis longtemps.

Il est non moins incontestable que, parmi les hommes, la tendance à la paix, à l’entr’aide, au perfectionnement individuel et à l’amélioration des rapports sociaux est plus puissante que la tendance à la guerre, à la concurrence, à l’abandon de soi-même et à l’indifférence sociale ; sans cela, les hommes auraient disparu. L’homme est naturellement porté à se faire une vie aussi bonne que possible et à en rechercher les moyens. Par intérêt, sinon par bonté, il a compris que la sociabilité est préférable à l’hostilité. C’est son espoir, sa volonté d’une vie meilleure, qui a éveillé son esprit d’invention, qui l’a lancé dans le champ illimité des recherches scientifiques, qui lui a fait trouver la machine pour diminuer son effort et soulager sa peine, qui lui fait réclamer une sécurité toujours plus grande dans un état social où, si souvent déçu, il n’en conserve pas moins l’espérance continue d’un mieux être. C’est l’optimisme qui entretient son espoir et sa volonté. Sans lui, il en arriverait à perdre tout ressort avec toute dignité et toute fierté de lui-même. « A quoi bon ? » dirait-il, comme ces abouliques à qui il est indifférent de faire une chose plutôt qu’une autre, persuadés que « rien ne sert à rien » !…

L’optimisme est nécessaire pour vivre ; il est un signe de santé physique et morale. Mais pas plus que la vie n’est un film qui déroule tous les jours, au même rythme, un même nombre d’images ayant toujours les mêmes couleurs, cet optimisme n’est constant et immuable chez l’individu bien équilibré. L’optimiste qui ne connaît jamais le pessimisme est un égoïste massif pour qui la vie est bonne et qui ne la voit pas autrement pour les autres. Le pessimisme constant est, par