Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
OBJ
1816

Il nous plaît certainement mieux de concevoir les « Objecteurs de Conscience » comme de véritables « réfractaires », c’est-à-dire non seulement antiguerriers, mais aussi nettement, farouchement antimilitaristes. Tout Objecteur de Conscience, sous cette forme, ne peut accepter l’idée d’un. militarisme quelconque. L’Armée étant, par son essence et sa composition, aux antipodes de la fraternité et de la paix et une des causes primordiales du meurtre collectif.

L’Objection de Conscience sans plus, est la manifestation réfléchie d’hommes qui se refusent à porter les armes, à s’en servir contre leur prochain, c’est la négation de toute autorité au service de l’assassinat. Le geste ainsi considéré entraîne fatalement la négation de l’Idée de Patrie et de défense nationale, puisque ces objecteurs, en se refusant à prendre les armes, se refusent à défendre la Patrie sous quelque forme que ce soit. L’Objection de Conscience, ainsi conçue et pratiquée, est une des manifestations de l’idéal anarchiste.

S’il en est qui nient cette façon de concevoir, nous les renvoyons simplement dans le domaine du réel, à l’exemple. Quels furent, en temps de guerre, les Objecteurs de Conscience connus que nous pouvons citer ? Barbé, Lecoin, Devaldès, Gaston Rolland, Henri Faure, Roux, les frères Berthalon. Depuis la guerre de 1914-1918 : Chevé, Abrial, Bauchet, Prugnat, Guillot, Bernamont, Odéon, tous anarchistes ou, pour le moins, anarchisants.

Nous pourrions encore citer quantité d’ « Objecteurs de Conscience » qui préférèrent franchir les frontières plutôt que de consentir à revêtir l’uniforme du soldat. Tous ces objecteurs sont de véritables « réfractaires », des antiguerriers, des antimilitaristes.

En conséquence, dire que l’Objection de Conscience n’est pas de source anarchiste serait nier la valeur morale des objecteurs ou se refuser de les considérer comme tels.

Le bel exemple de nos camarades n’aura pas été vain, nous en sommes convaincus. Ils furent les pionniers d’une ère de fraternité qui s’affirme chaque jour plus nettement, mais dont seul le temps consacrera, par sa réalisation, l’œuvre entreprise. Boutant les endormeurs des peuples et les soutiens des pouvoirs établis, les humains sauront alors, dans un geste de fraternité humaine, imposer leur volonté de paix aux puissants du jour, en transformant le geste individuel des « Objecteurs de Conscience » en un refus catégorique, de chacun et de tous, de prendre part à toute tentative de meurtre qui pourrait se produire, sans plus s’occuper des raisons et des causes qui la détermineraient. — M. Theureau.

OBJECTION (de conscience). Pas un homme de cœur n’oserait se déclarer hostile ou simplement indifférent à l’Objection de Conscience. J’ajoute : pas un homme doué de raison. La seule critique — la seule — que, sinon le cœur, du moins la raison puisse formuler contre le geste de l’Objecteur de Conscience, c’est que, ce geste, ne changeant rien à ce qui est, ne supprimant ni le militarisme, ni la guerre, il est stérile et vain.

On peut aisément écarter cette critique. Elle peut s’appliquer à tout effort : discours ou écrit dénonçant les méfaits de l’armée et les abominations de la guerre ; car un discours — si éloquent qu’il soit — et un écrit — si magnifique qu’il puisse être — n’abolissent ni le militarisme, ni la tuerie. Or, sont-ils, pour cela, stériles et vains ?… Il faut qu’il soit dit et qu’on sache que nul effort : parole, écrit ou action, ne reste infécond. Il se peut que le résultat n’en soit pas immédiat, ni perceptible ; il n’en existe pas moins. Et l’acte possède une valeur d’exemple, de démonstration, de « propagande par le fait » qui l’emporte, et de beaucoup, sur l’écrit et la parole.

Au surplus, l’Objecteur de Conscience n’a pas la naïveté de croire que son refus de prendre les armes et de se rendre à la caserne aura pour effet immédiat et certain de mettre fin aux armements et d’abattre les casernes. Mais, — le mot l’indique, — il écoute sa conscience qui lui interdit d’utiliser et même d’apprendre à manier des instruments de meurtre en cas de guerre ; et il n’est pas douteux que son refus de servir a toute la signification et, toute la portée d’une irréductible protestation contre l’obligation qu’on veut lui imposer, en temps de guerre, d’y prendre part.

Toutefois, l’Objection de Conscience s’inspire de motifs divers, vise des buts, variés et revêt des caractères différents, On a exposé, ci-dessus, les trois formes principales de l’Objection de Conscience. Voici, en quelques mots, ce que je pense de chacune de celles-ci ;

L’Objection de Conscience à base légale. Reconnue, autorisée par la loi, l’Objection de Conscience n’expose celui qui s’en réclame à aucune répression. Elle cesse ainsi, d’être un refus d’obéissance, un acte de révolte. Elle affaiblit, — que dis-je ? — elle annule la portée révolutionnaire du geste de l’objecteur qui, par ailleurs, peut être un partisan farouche de la légalité.

L’Objection de Conscience par système de remplacement : c’est déjà mieux que la précédente ; mais consentir à servir la patrie sous quelque forme que ce soit, c’est reconnaître l’obligation de se soumettre aux exigences de la collectivité nationale ; c’est s’arrêter à mi-chemin dans la voie de l’Objection de Conscience ; c’est payer en monnaie civile ce qu’on refuse de payer en monnaie militaire : c’est en fin de compte, reconnaître et acquitter une dette.

L’Objection de Conscience sans plus : celle-là seule a mon entière approbation, car, seule, elle constitue un geste précis et formel de révolte individuelle, s’accompagnant de tous les risques, de toutes les responsabilités et de toutes les sanctions que comporte ce geste. Seule, elle s’apparente à l’action révolutionnaire collective par la force de l’exemple et la puissance de la contagion. Seule, enfin, elle relève de l’Idéal anarchiste, qui répudie tout militarisme et repousse toute participation directe ou indirecte, matérielle ou morale, militaire ou civile à la guerre.

Ainsi conçue et pratiquée, l’Objection de Conscience est fondamentalement anarchiste.

Je me résume : l’Objection de Conscience que je considère comme indiscutablement révolutionnaire et anarchiste, c’est celle que l’objecteur formule à peu près ainsi : « J’ai acquis la conviction que la Guerre est une folie et un crime : folie de la part des Peuples qui consentent à la faire ; crime de la part des Gouvernants qui la préparent, l’organisent et, l’heure venue, l’imposent à leurs peuples. Je ne veux pas tomber dans cette folie ; je ne veux pas me faire le complice de ce crime.

« Ma vie m’appartient et je ne reconnais à personne le droit d’en disposer sans et a fortiori contre ma volonté. Respectueux de la vie de mes semblables, je ne consens pas à priver qui que ce soit de la sienne. Ma conscience m’interdit donc de m’exposer à devenir un assassin ou une victime.

« Je refuse de prendre les armes ; je me soustrais à l’obligation militaire, quelles que puissent être, pour moi, les conséquences d’un tel refus. Je le déclare catégoriquement : en temps de paix, je ne ferai partie à aucun titre de l’Armée ; car, ne voulant pas être soldat, je n’ai pas à faire l’apprentissage du métier de soldat ; en temps de guerre, je suis irréductiblement résolu à ne prendre à celle-ci aucune part, pas plus indirecte que directe, pas plus sur le front qu’à l’arrière, pas plus comme civil que comme combattant.

« Ne comptez sur moi d’aucune façon ni dans aucun cas.