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NEO
1790

conservateurs sociaux et dans les cercles mondains. Ma vie entière, je garderai l’impression de vide et de sottise que j’éprouvai à la lecture du manuel de philosophie scolastique composé par Farges et en usage dans presque taus les séminaires de France, au début du xxe siècle. On m’avait toujours dit que les grandes vérités métaphysiques et religieuses reposaient sur des preuves convaincantes et que les nier c’était nier l’évidence même. Devant la piteuse argumentation de Farges, devant son verbiage sans consistance et ses raisonnements sans profondeur, je fus surpris au-delà de ce que je puis dire ; malgré un déchirement intérieur, je résolus d’étudier les bases du christianisme, et, sans pousser plus loin, je m’arrêtai avant de pénétrer dans le sanctuaire. C’est en lisant les apologistes les plus orthodoxes, en étudiant la philosophie et l’histoire, que j’achevais ensuite de perdre progressivement les restes d’une foi profondément ébranlée dès mon premier contact avec le thomisme. Depuis j’ai compris que le catholicisme n’était pas faux seulement, mais qu’il était l’un des pires chancres du genre humain spécialement dangereux parmi des religions toutes nuisibles. Aussi ne puis-je que sourire des élucubrations d’un P. de La Brière, d’un Maritain et des autres jésuites, de robe longue ou courte, que les organes de publicité littéraire voudraient nous faire prendre au sérieux. Sous prétexte d’adapter la, scolastique à la pensée moderne, tâche d’ailleurs impossible nos néo-thomistes escamotent dextrement les insanités dont la philosophie de l’Ange de l’École est pleine. Compilateur, superficiel et sans génie, Thomas d’Aquin a laissé une œuvre qui fourmille d’incohérences et de contradictions. Ses modernes disciples ont pour eux les faveurs de la bourgeoisie riche et des universitaires qui veulent être reçus dans les salons ; malheureusement, la raison, le simple bon sens même, moins faciles à corrompre, sont absents de leurs écrits.


Qu’on le veuille ou non, le catholicisme est à l’agonie ; agonie qui peut se prolonger longtemps, mais dont l’issue fatale sera la mort. Nul médecin ne saurait guérir ce malade : et c’est en vain que se pressent à son chevet de nombreux docteurs attirés par l’appât du gain, Entre les faits observés aujourd’hui et ceux qui marquèrent la fin du paganisme gréco-romain, le parallélisme apparaît saisissant. Déjà les empereurs devenus chrétiens avaient fermé les temples, que la noblesse, restée fidèle aux dieux nationaux, proclamait toujours le maintien du culte ancestral nécessaire à la prospérité de Rome. Au ve siècle, Claudien, prince des poète, choyé par l’aristocratie, méconnaît encore de parti-pris le christianisme vainqueur. Symmaque se fait l’éloquent défenseur du paganisme expirant et, comme un Barrès ou un Bourget, c’est au nom de la patrie qu’il adjure les autorités de rester fidèles aux dieux des premiers romains. Dans les écoles, la mythologie continue d’être en honneur ; et le terme païen (paganus, paysan) suffit à témoigner de la persistance du vieux culte chez les habitants des campagnes. Or riches nobles, écrivains, agriculteurs sont aujourd’hui les soutiens du catholicisme moribond, et leurs raisonnements sont identiques à ceux des païens du ve siècle. — L. Barbedette.


NÉOLOGISME. On devrait dire plus exactement néologie ; une néologie, au lieu d’un néologisme.

La néologie (néo, nouveau ; logos, discours) est « l’emploi de mots nouveaux ou d’anciens mots en un sens nouveau ». (Littré.) Le néologisme est « l’habitude, l’affectation de néologie ». (Littré.) L’usage de néologisme a prévalu en même temps que s’est répandue l’affectation de produire des mots nouveaux, et aussi en raison de ce que ce terme indique avec l’emploi de ces mots, les mots eux-mêmes. Ainsi blagologie est un

néologisme ; l’emploi de blagologie est à la fois une néologie et un néologisme.

On appelle indifféremment néologue ou néologiste « celui qui invente ou aime à employer soit des termes nouveaux, soit des termes détournés de leur sens ancien ». (Littré.)

L’affectation néologique a pris, aujourd’hui, les proportions d’une véritable épidémie. Si elle n’atteint que superficiellement la langue elle-même, celle-ci sachant bien, à la longue, se dépouiller de ses floraisons parasitaires, par contre elle constitue un danger immédiat pour la clarté des idées et la netteté des rapports entre les hommes. Or, nous vivons dans un temps où il est plus que jamais nécessaire d’avoir des idées claires et de parler nettement en face d’une situation sociale de plus en plus trouble et artificieuse. Le néologisme est un des moyens les plus insinuants de confusionnisme et d’incompréhension. Lorsqu’il n’est pas préalablement précisé dans son sens par celui qui l’invente, il répand l’équivoque de la pensée, multipliant les interprétations contradictoires, les faux fuyants, les réticences, les rectifications, tout ce’qui fait l’arsenal d’une casuistique que la lâcheté générale des consciences, la veulerie non moins générale des caractères, rendent de plus en plus dangereuse pour ceux qui en subissent les désastreux effets. De plus en plus on ne comprend pas ce qu’on entend et ce qu’on lit, ou on le comprend de travers. Aussi est-il particulièrement regrettable que, par une adhésion au snobisme, à une sorte d’élégance intellectuelle à rebours, des anarchistes donnent dans cette manie trop innocente à leurs yeux, et fassent ainsi, sans y réfléchir suffisamment, le jeu des pêcheurs en eau trouble.

Une langue ne peut se passer de mots nouveaux, La néologie est un des principes, essentiels de son existence et de son évolution, celles-ci devant s’accorder avec l’existence et l’évolution de la pensée que la langue a pour fonction d’exprimer. La vie se transforme à toute heure ; la pensée qui suit cette transformation et souvent la devance, doit trouver dans la langue et dans le même temps son moyen d’expression toujours approprié. Chaque découverte nouvelle, dans quelque domaine que ce soit, implique nécessairement la création de mots nouveaux. Chaque nouvel aspect des rapports entre les hommes doit trouver son interprétation immédiate. C’est ainsi que le langage a été en incessante formation. Les langues qui ne disent plus rien e nouveau périssent avec les peuples qui n’ont plus rien à dire. Il n’y a que les religions, c’est-à-dire les choses dont la pensée est à jamais figée dans des formules d’une prétendue perfection définitive, qui peuvent faire usage des langues mortes, et encore. Le latin peut suffire au 270e pape pour marmonner aujourd’hui les litanies que le premier pape marmonna il y a vingt siècles. Il lui est insuffisant pour parler du paratonnerre qu’il a fait installer sur son palais, de l’éclairage électrique de ses églises, de son automobile, de son téléphone, de son phonographe, de tous les progrès dont il est heureux de jouir, bien qu’ils soient ceux de la science « fille du diable ».

Il y a le langage technique. Il a commencé avec la première activité manuelle et intellectuelle de l’homme. Il n’a pas cessé de produire des néologies pour répondre au développement de toutes les formes de cette activité : scolaires, scientifiques, agricoles, industrielles, commerciales. Il y a le langage populaire en constante modification aussi et s’enrichissant pour les échanges d’idées de plus en plus étendus entre les hommes. Des étrangers sont venus d’autre régions, se sont mêlés au clan, à la tribu, à la famille au village. Il a fallu s’entendre avec eux. Ils ont apporté leur langage dont de nombreux mots ont été adoptés. C’est ainsi qu’à travers les temps se sont formées des langues, vastes synthèses