cuments mal déchiffrés ou déchiffrés à la lumière de nos connaissances actuelles. Pour les autres, c’est rejeter de l’existence individuelle ou sociale le frelaté, l’artificiel ou soi-disant « artificiel ». Pour une troisième catégorie, le Naturisme c’est la pratique d’un système spécial d’alimentation, d’hygiène, de thérapeutique, d’une vie simple ou prétendue simple. Il en est d’autres qui appellent Naturisme la rétrogradation vers des mœurs, des formes de gouvernement ou de groupements sociaux, des habitudes, des religions supposées plus proches de l’état de nature que les nôtres.
Les premiers êtres humains faisaient sans doute ce qu’accomplissent les animaux : ils obéissaient à leurs instincts et à leurs passions, ce qui n’est pas toujours agir avec simplicité. Peut-être que certains naturistes contemporains ne se trouveraient pas autant à l’aise que cela si — par un coup de baguette magique — on leur faisait faire machine en arrière et les installait dans quelque milieu très primitif. On peut supposer qu’être naturel, pour la bête humaine de ces temps-là, c’était se précipiter sur l’inconnu qui apparaissait et l’abattre d’un coup de massue ; c’était encore s’élancer sur la première femelle surprise, la forcer à la course et la violer, à demi-assommée. Être naturel c’était vivre dans un état de terreur continuelle : peur du fauve qui rôde autour du gîte ou du campement, peur du vent qui siffle et secoue le feuillage des arbres, peur des météores, peur de la nuit, peur de l’ombre, peur des cadavres, peur de l’inexpliqué, peur de l’incompris… Crainte toujours et sans cesse. Être naturel, c’était consommer les produits qu’on avait à sa disposition, tout de suite et sans épargne, manger jusqu’à rassasiement et même davantage, s’endormir, se réveiller, se récréer, et recommencer… Être naturel, c’était se soumettre à plus fort que soi, physiquement parlant, bien aise encore d’être laissé en vie !
On demeure étonné de la naïveté de certains explorateurs et aussi de quelques écrivains de talent qui alignent des phrases à propos de la beauté morale des spectacles naturels et en profitent pour opposer la vie simple et instinctive des groupes indigènes que nous dénommons « sauvages » à la vie compliquée et souvent mécanique des civilisés. Ce qui charme le « civilisé », l’homme élevé à l’ombre de la culture moderne, lorsqu’il est placé en face des scènes purement naturelles, c’est qu’elles répondent à des aspirations sentimentales et artistiques qui ont parfois leur source dans le souvenir ancestral des conditions primitives de la vie. C’est vrai des fleuves qui coulent, larges et majestueux, entre des rives ornées d’une végétation surabondante ; des forêts aux arbres immenses et magnifiques ; du sol fertile qui ne demande que peu de travail pour fournir un rendement extraordinaire ; de la faune à la forme et au coloris si variés qu’ils défient la plume et le pinceau. Tout cela, certes, offre aux yeux un spectacle autrement grandiose et saisissant que les parcs de nos grandes villes, dessinés au cordeau. On oublie, dans la fièvre de la description. que cette abondance et cette luxuriance dans les formes, dans les parfums, dans les couleurs, sont le résultat des rayons solaires qui tombent à pic, pour ainsi dire, sur ces régions merveilleusement douées. L’homme civilisé, cultivé, sent monter des profondeurs de son être intime comme une bouffée d’admiration et même de stupéfaction qui a beaucoup de ressemblance avec les accès d’extase religieuse dont sont coutumiers les grands croyants.
Un examen fait de sang-froid montre bientôt qu’il n’y a rien de « moral » dans la beauté des scènes de la nature, rien même dans leurs conditions d’existence et de formation qui puisse donner à un cœur sentimental prétexte à se réjouir. L’expression de puissance que dégagent en général la flore et la faune équatoriales
Malheur tout autant à celui dont la constitution est incapable de résister aux intempéries qu’à l’infortuné moins habile que son ennemi au maniement de la massue ou de l’arme de jet. J’aime les spectacles qu’offre la nature autant que quiconque : ils font vibrer mes sens ; je goûte avec volupté les effluves qu’ils rayonnent. Ils enrichissent mes expériences artistiques de la vie. Mais je ne vois en eux rien qui m’influence, « moralement » parlant. Ils me font vivre plus amplement, plus sensuellement, voilà tout. Et je ne leur demande pas autre chose.
Il y a un manque de bonne foi évident chez l’écrivain qui se pâme d’enthousiasme devant un animal à la robe superbement bigarrée ou devant je ne sais quel arbre gigantesque au feuillage magnifique, et qui oublie que c’est grâce à la disparition de ses concurrents — toujours obtenue par la violence ou l’oppression — que l’un ou l’autre ont subsisté. Il n’y a pas seulement l’avoir dans le « grand livre de la nature », il y a aussi le doit. Et l’enthousiasme n’est pas une raison suffisante pour passer une page sur deux.
Imaginez, d’ailleurs, que les plantes chétives, ou dépourvues de fleurs aux couleurs vives aient eu raison des grands arbres ou des plantes aux fleurs colorées — imaginez que les insectes ternes ou les petits animaux grisâtres ou endormis dominent sur les vertébrés à la démarche majestueuse ou les oiseaux au plumage richement orné. Imaginez une mousse gris sale au lieu de l’herbe verte des prairies, des eaux uniformément lourdes et opaques à la place des eaux courantes et des ruisseaux limpides — cela, bien entendu, dans les conditions d’appréciation mentale qui sont les nôtres. Croyez-vous que les hymnes dédiés à la beauté de la nature ne seraient pas remplacées par des malédictions ?
— « Retour à la nature »… Mais il s’agit de savoir ce qu’un contemporain cultivé entend par le « retour à l’état naturel ». On comprend que les hommes intelligents soient dégoûtés de la civilisation européenne et se soient rendus compte que l’acquis scientifique et intellectuel mis à part, elle ne diffère pas, quant au fond de l’état qualifié « barbarie » — c’est-à-dire que ces hommes fassent entrer le sentiment dans leurs aspirations et leurs conceptions de la vie. On comprend que ces êtres humains veuillent s’établir dans un endroit isolé, loin des agglomérations sociales et y vivre d’une existence plus conforme à leur tempérament et à leur horreur de notre civilisation. Mais il n’y a rien là qui ressemble à un « retour à la nature » — il y a une fuite des conditions de la vie civilisée « actuelle », un exode de certains hommes à mentalité spéciale vers des circonstances et un environnement physique et psychique autres, il n’y a pas de conversion au « naturisme ».
La tendance « naturienne » ou « néo-naturienne », apparaît sympathique en tant que considérée comme réaction contre le surmenage fiévreux, insensé de l’industrialisme et du commercialisme spéculateurs et rationalisés. Mais que cette tendance prétende représenter l’individualisme anarchiste, c’est ce qui ne saurait se concevoir !
L’apparition de l’artificiel indique que l’homme est sorti de l’animalité… cela n’implique pas, bien entendu, une supériorité morale ou immorale sur l’animal. On peut considérer comme artificiel tout ce qui a été ajouté aux besoins primordiaux de la bête humaine. On peut même dire que là où il est naturel que le fort domine le faible, l’insoumission du faible est de l’arti-