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1768

probre la nature, sa claire et vivante réalité, en déclarant que tout était mauvais en elle, que l’homme devait se laver de ses impuretés en pratiquant le culte de la mort, l’ascétisme, les mortifications, en renonçant à toute force créatrice et à toute personnalité. Malgré les contraintes de cette discipline étouffante, destructrice et criminelle, le naturalisme persista dans les formes vivantes de la pensée aussi bien que dans la vie populaire, en attendant que les révoltes de l’esprit lui ouvrissent le champ des sciences expérimentales. Dans la littérature et les arts du moyen âge, il tint en échec la scolastique qui voulait emmurer la vie, il l’obligea à recourir a cette symbolique abracadabrante qui prétend interpréter dans le sens des dogmes les manifestations d’une nature toujours triomphante.

La Renaissances marqua un triomphe éclatant du naturalisme sur cette scolastique. Elle brisa les barreaux de la cage médiévale, apporta l’air et la lumière dans cet in-pace ténébreux et donna son essor à la pensée moderne. Lentement, à travers les confusions créées par la multiplicité des courants spirituels, des interprétations métaphysiques et théologiques acharnées à faire l’union impossible de la raison et de la foi, de la liberté et de l’autorité, de la pensée et du dogme, parmi les embûches et les persécutions ecclésiastiques, malgré l’anathème et le bûcher, la science naturaliste imposa. ses expériences. Le naturalisme n’était plus sujet de sentiment, d’inclination, d’imitation esthétique ; il était dans l’étude scientifique, il offrait à l’expérimentation humaine le plus vaste et le plus riche des laboratoires, il allait la mener de plus en plus vers ce positivisme qui remplacerait, au xixe siècle, l’imagination pure et serait à la hase de la critique et de la science contemporaines.

La formation d’une aristocratie intellectuelle dévoyée, sortie de la Renaissance et dévouée au conservatisme social, créa un nouveau courant contre-naturaliste. Sous le couvert d’un humanisme édulcoré rallié au nominalisme contre le réalisme et qui allait se traduire par ce souci de « beau langage » dont Molière marquera si rudement l’hypocrisie dans des vers comme ceux-ci :

« Le moindre solécisme en parlant vous irrite,
Mais vous en faites, vous, d’étranges en conduite. »


On aboutit aux conventions du classicisme. À l’anathème contre la nature, source du péché, s’ajouta le majestueux mépris du « bon goût » qui distingua les espèces nobles des roturières et trouva dans le cartésianisme la justification artificielle, et d’apparence scientifique, de la prétendue supériorité de l’homme pensant et sensible sur une nature mécanique dépourvue de pensée et de sensibilité.

Le « retour à la nature » du xviiie siècle fut conventionnellement sentimental. On mit une bonne volonté affectée à s’attendrir à la vue des bois, des fleurs, des animaux, quelquefois des hommes, quand il s’agissait des peuples primitifs d’Amérique, dont les récits des navigateurs vantaient les mœurs communistes. Ces attendrissements cachaient la plus complète sécheresse de cœur. C’est ainsi que le « bon roi » Louis XVI, et la cour, pleuraient sur le sort de Latude, mais tout ce monde le laissait « sur son fumier », à Bicêtre, mangé de poux, logé sous terre, et souvent hurlant la faim. (Michelet.) On attachait des rubans dans la laine des moutons, on allait en perruque poudrée et en robe à panier traire les vaches dans les étables de Trianon. Florian et d’autres poètes donnaient le ton de ces fadeurs sentimentales que Marie Antoinette appelait de la « soupe au lait ». Mais le jeu n’était pas toujours si innocent ; on raffolait dans les alcôves des Patagons ou des Marocains solides, capables de « prodiguer leurs embrassements vingt-deux fois dans une même

nuit ». (Bachaumont.) Tout cela constituait le snobisme du temps. On était tellement convaincu de la supériorité des classes de droit divin qu’on confondait dans une même différence celles inférieures des paysans, des ouvriers et des animaux. On ne se rendait pas même compte de la portée révolutionnaire des Idées des Encyclopédistes qu’on répandait avec une complète inconscience. C’était le bal masqué sur un volcan, et tout le monde serait naïvement surpris quand le volcan ferait éruption en 1789.

Le mouvement romantique qui précéda et suivit la Révolution, continua le « retour à la nature ». Il fut à peine plus compréhensif devant le naturalisme. Les passions avaient emporté l’étiquette et le bon ton, comme il convenait en période révolutionnaire, mais les conventions romantiques étaient aussi loin de la réalité que celles du classicisme. Le romantisme qui réagit au nom de la liberté de l’art contre la littérature noble et contre ses règles, mit le drame bourgeois à la place de la tragédie ; il ne fit que changer de rhétorique et d’oripeaux comme la Révolution n’avait fait que changer la classe dominante. Le classicisme avait été l’expression de la puissance nobiliaire ; le romantisme fut celle de la bourgeoisie. (Voir Romantisme.)

Le Naturalisme, dont on a tout particulièrement donné le nom à une école littéraire de la seconde moitié du xixe siècle, a beaucoup plus que le romantisme rompu fil d’une idéologie périmée. Le romantisme avait eu des bases plus particulièrement littéraire ; celle du Naturalisme furent scientifiques et sociales. Les découvertes mécaniques avaient bouleversé les conditions économiques ; celles des laboratoires et de la critique ne modifièrent pas moins les connaissances et les idées. La vérité naturaliste s’imposa avec une force de plus en plus éclatante, malgré la résistance du vieil ordre conservateur et de la science empirique. Ses matériaux lui étaient apportés et ses étapes étaient marquées par les Auguste Comte, Darwin, Claude Bernard, en philosophie expérimental ; Hugo, Michelet, Quinet, Sainte Beuve, Taine, Renan, Fustel de Coulange, en critique et en histoire ; Cousin, Fourier, Proudhon, Marx, Bakounine, en sociologie. Son influence s’imposa de plus en plus en littérature et en art. En littérature, elle suivit une véritable gradation allant de Balzac à l’école naturaliste, dont Zola fut le principal représentant, en passant par Stendhal et Flaubert. Le naturalisme trouva dans le roman sa forme littéraire la plus caractéristique et la plus complète (voir roman). De même dans les arts, la peinture en particulier, il triompha en allant de Delacroix à Cézanne en passant par Courbet, Daumier, Corot, Manet et les impressionnistes (voir Peinture).

La poésie fut plus rebelle au naturalisme. Après avoir été particulièrement brillante dans la période romantique, elle s’attarda et se réduisit dans « l’art pour l’art » qui fut la forme des Parnassiens puis des Symbolistes. Le plus grand poète du siècle, Baudelaire, termina le romantisme et commença le naturalisme en dominant de très haut toutes les formules et toutes les écoles pour offrir leurs modèles à toutes. Mais si le Naturalisme n’a pas un Hugo, un Lamartine, un Musset, un Vigny, ni même un Béranger, sa poésie est dans sa prose où elle atteint les plus beaux vers.

Enfin, le théâtre résista longtemps au naturalisme. Il fallut une lutte très vive pour que celui-ci s’y implantât ; il ne l’a jamais complètement conquis, Il lui a cependant donné des Œuvres devant lesquelles le théâtre romantique s’efface de plus en plus. Par-dessus le romantisme, Becque, Courteline, Mirbeau, rejoignent Molière et Beaumarchais. Mais le panache reprend facilement sa place sur les tréteaux ; on l’a vu particulièrement dans le cas de M. Edmond Rostand, qui ne s’éleva pas au-dessus d’un Scarron et dont on a fait, par réaction anti-naturaliste et nationaliste, un